Anne Coleman a un talent fou pour la sculpture, qu’elle apprend aux côtés de Rodin. Mais c’est en travaillant des prothèses faciales pour les soldats ravagés par la guerre de 14 qu’elle va s’illustrer. Scénarisé par Sybille Titeux et dessiné par Amazing Ameziane, L’atelier des gueules cassées (édité chez Marabout) se révèle très dense, réaliste et bien ficelé.
Le récit se déroule donc en 1917, alors que la guerre et ses horreurs battent leur plein. De la chair à canon, voilà ce à quoi servent les hommes qui se battent au front, à coup de mortier puis de baïonnette. Quand ils ne meurent pas sur le coup, les soldats agonisent toute la nuit entre les deux lignes ennemies, appelant leur mère au secours. Félix Bontarel lui, c’est sa femme Suzanne qu’il implore. Un jour en effet, sa tête explose en partie, laissant son visage en lambeaux.
Dès lors, avec le sergent Antonin de Mussan, lui aussi défiguré, Bontarel est l’un de ceux à qui Anne Coleman va proposer ses services. Horrifiée devant les mutilations des soldats, elle leur crée un masque pour leur redonner une dignité et continuer tant bien que mal à avoir une vie sociale, professionnelle et amoureuse…
À la fin de la BD, quelques vraies photos d’archives témoignent de ce travail hors-norme, qu’Anne Coleman conduisit avec son amie Sabine (puisque le scénario est inspiré d’une histoire vraie). Une telle entreprise se révéla d’autant plus louable et courageuse que ces deux femmes ont dû lutter pour convaincre leur entourage et leur propre famille du bien fondé de leur démarche.
L’ouvrage est nourri d’un texte particulièrement dense, réparti en quatre chapitres et très bien écrit, même s’il est parfois difficile de comprendre de quel protagoniste parle la BD, du fait d’un enchaînement sans transition d’une page à l’autre.
Le dessin en noir et blanc, essentiellement, vient en contrepoint, se mettant clairement au service du scénario. La mise en image est savamment dosée, alternant entre gros plans, ombres blanches sur fond noir, cartes postales sépia, dessin pleine page très expressif ou minimaliste et riche de symboles.
Au final, on se laisse emporter par la virulence des scènes de guerre et d’apocalypse, par le retour à la vie émouvant et progressif de Bontarel et De Mussan, et par le retournement de situation à la fin de la BD. Incontestablement, « L’atelier des gueules cassées » est un ouvrage instructif, intéressant et prenant, qui se lit avidement comme un roman-photo et s’apprécie comme une bande-dessinée réussie.