Difficile de parler de L’homme qui lisait des livres sans faire de politique. Rachid Benzine s’empare d’un sujet brûlant : Gaza, Israël, l’Histoire mais il le fait à hauteur d’homme. À hauteur de deux hommes : un photographe de presse français qui cherche la bonne image, celle qui va décrire le conflit et sait-on jamais, changer les choses et un vieux libraire palestinien : Nabil al Jaber.
« Soudain, tu te trouves dans l’un des quartiers martyrisés. Et c’est alors l’enfer craché à la surface. Une décharge à ciel ouvert. Tout ce que la guerre vomit, détruit, ensevelit, réduit à néant. Des façades éclatées, éventrées comme des carcasses de bêtes crevées. Les entrailles de béton pendent, tordues, répandues sur les trottoirs. Les maisons ne sont plus que des cages thoraciques fracassées. Comme si elles avaient implosé en mille morceaux. Des balcons encastrés dans le bâtiment d’en face pendouillent misérablement, des canalisations se vident sur es façades. Yeux crevés des fenêtres. Trous béants qui vous regardent sans rien voir. Tout semble hurler. »
─ Rachid Benzine, L’homme qui lisait des livres
Un dialogue va naître entre ces deux hommes. Pour raconter, pour dire, pour se souvenir.
« Ne croyez-vous pas, ajoute-t-il, qu’un portrait gagne à ce qu’on connaisse ce qui est caché ? Vous me paraissez sympathique. Cet endroit vous semble amusant, étonnant, peut-être même folklorique. Le modeste libraire sur le pas de sa porte vous a sans doute intrigué. Mais n’y a-t-il pas derrière tout regard une histoire ? Celle d’une vie. Celle de tout un peuple parfois. Ne pensez-vous pas, monsieur le photographe, que vous pourriez écouter mon histoire ? »
─ Rachid Benzine, L’homme qui lisait des livres
L’exil, la souffrance, les bombardements, la maltraitance, la faim, la peur, la mort. La haine de l’adversaire, de celui qui tue et faire tomber les hommes. L’envie parfois d’en découdre quand un membre de la famille disparait dans un nuage de poussière, succombe sous les balles. Voir ses parents se battre pour préserver la vie et tenter de construire quelque chose, même dans les ruines.
« Soixante-six ans que nous vivons cette lutte. On n’a fait que ça, en fait. On est toujours là. Des fantômes, chaque jour un peu plus invisibles aux autres. Et à nous-mêmes. Comme nous le sommes aux yeux du monde depuis toujours.»
─ Rachid Benzine, L’homme qui lisait des livres
Et au milieu du chaos, « l’école » et la lecture. L’apaisement. Par la lecture. Les grands auteurs qui disent les mots. L’apaisement par la lecture mais aussi la lecture qui fait grandir, comprendre et donne le pouvoir pour se battre et se défendre via les mots. Quelques auteurs aident : Shakespeare, Mohammed Dib, Frantz Fanon. On monte Hamlet dans les ruines. On espère. Dans la Bible, on trouve le personnage de Job, on s’identifie à lui.
Mais les années passent et rien ne change. Nabil al Jaber conte son histoire à ce photographe français. Rachid Benzine choisit le « tu ». Ce pronom qui percute, nous implique, nous interpelle.
On lit L’homme lisait des livres en trois petites heures et pourtant Nabil reste avec nous et continue de nous parler comme si le roman faisait 500 pages au lieu de la centaine donnée par Rachid Benzine qui décidément aime et cultive d’un singulière façon la forme courte et percutante.



