[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]U[/mks_dropcap]n truc à savoir sur S.G. Browne, c’est que nous avons devant nous un type qui aime les histoires. Je plagie volontairement une phrase qui revient sans cesse dans son roman :
Un truc à savoir sur Mortimer (alias La Mort) c’est qu’il est nécrophobe.
Nous suivons les traces et la vie, la longue vie de Sergio Fatum, alias Le Sort, un des nombreux assesseurs de Jerry (alias Dieu). Sergio veille donc au sort des humains en compagnie de la bien nommée Destinée, de La Mort, de La Gourmandise ou de La Paresse. Chacun de ces personnages se voit affubler, à un moment ou un autre, du fameux « Un truc à savoir sur [X] c’est qu’il/elle est alcoolique/nymphomane/mythomane », ce qui permet, en grossissant parfois le trait, de dessiner le caractère d’un personnage sur son principal défaut, ce qui est assez réussi. Mais Sergio déprime un peu : cela fait plus de 250 000 ans qu’il veille sur les humains lambda, alors que son amie Destinée, elle, s’occupe des humains dont la vie est censée être grande.
Sergio se pose donc des questions sur son travail. Il est convoqué régulièrement par Jerry (Dieu, si vous suivez) qui tente de le remettre sur la voie.
Plusieurs règles sont à respecter. La première et la plus importante : pas d’ingérence. Entendez : pas d’ingérence avec les humains.
Or, Sergio tombe amoureux de Sara, une jeune mortelle, dont la vie est entre les mains de Destinée. Comprenez que Sara est promise à de grandes choses.
Continuer à travailler pour Jerry en bafouant la règle numéro 1 est maintenant tout l’enjeu pour Sergio.
Passera-t-il à travers les mailles du filet ou recevra-t-il un nouvel e-mail de Jerry le convoquant pour le radier et lui faire perdre son immortalité ? Car Sergio ne va pas se contenter de coucher avec Sara : en pleine crise morale, il va influer sur le sort de plusieurs humains, qu’il va finir – après toutes ces années à les négliger – par prendre en affection.
S.G. Browne joue également avec les codes des comics américains, tant Batman que Spiderman ou encore Superman. Comment vivre une histoire d’amour quand on est doté de super-pouvoirs? Notre pauvre Sergio se triture la tête pour trouver des réponses à cette question. Sara s’interroge sur son amant, lui-même s’embrouille parfois dans ses réponses. Et surtout, amoureux, a du mal à mentir, s’en veut. Ce sont des moments à la fois durs et émouvants. Comment ces deux-là vont-ils se débrouiller?
Fated est drôle, souvent tendre. Écrit dans une langue qui n’hésite pas les grossièretés et singe souvent un parlé proche de nous.
Pourtant le roman de S.G. Browne n’est pas que cela. L’auteur glisse dans son propos une sacrée critique à la fois des humains, oisifs, avares, peu courageux et une critique quasi politique de la gestion d’un pays : les États-Unis (car l’action se passe principalement là-bas, même si avec l’immortalité, Sergio a le don de se déplacer à la vitesse de la lumière et peut donc passer d’un lieu à un autre au bout du globe en toute tranquillité).
Le centre commercial est l’endroit idéal pour observer la nature humaine sous son meilleur jour. Ou son pire jour, question de point de vue. Des hommes et des femmes, des adolescents, des enfants qui font du lèche-vitrine, qui s’empiffrent, qui commèrent, qui comblent la vacuité de leur existence à coup de shopping thérapeutique et d’aliments light. […] Un truc à savoir sur les humains, c’est qu’ils sont accros aux produits.
Formidable personnage, Sergio est l’archétype du gars horrible qui devient finalement assez bon, et pourtant ce n’était pas gagné d’avance :
Le sort prédétermine et régit le cours des vies humaines. Mais même si mes humains prennent des décisions qui peuvent avoir des conséquences néfastes sur leur avenir, ils n’ont pas leur mot à dire sur le nouveau sort qui leur est attribué. Moi, le Sort – Sergio, pour les intimes, je ne suis pas trop du genre à collaborer, voyez-vous. Imaginez un type solitaire. Qui fait dans le masturbatoire. Du genre Henry David Thoreau.
Difficile de ne pas dire un mot sur la grosse déception de ce roman. Déception qui n’est pas du fait de l’auteur mais du traducteur. En effet, le titre original Fated claque bien mieux que ce La Destinée, la Mort et moi, comment j’ai conjuré le sort semblant sortir des années 80 et de Comment j’ai mangé mon père.
Browne a choisi un titre sobre, pourquoi l’éditeur ou la traductrice proposent-ils d’en sortir en donnant un titre à rallonge qui, à mon avis, donne un contresens à propos de la fin du livre ?
Mystère et incompréhension pour moi. Ma première réaction, en recevant le livre, en découvrant le titre, a été d’aller voir le titre original. J’ai bien failli ne pas lire ce Fated à cause du titre français. C’eût été bien dommage car c’est un bouquin formidable de drôlerie, d’espièglerie, une comédie un peu noire et surtout bien déjantée.
En effet, Fated propose des scènes d’anthologie entre personnages bibliques et autres personnages des pêchés capitaux, entre Dieu et ses ouailles qui travaillent tous dans la peur de celui-ci. On apprend ainsi que Paresse a séché la plupart des cours proposés par Jerry. Et S.G. Browne, parallèlement à tout ce déchaînement cosmique, est capable de nous proposer des scènes d’une intimité troublante entre Sergio et Sara. Quelques scènes de sexe aussi, menées à la va-vite, tant là ne semble pas être son propos. Non, l’histoire d’amour entre ces deux personnages est bien réelle. C’est là le cœur du sujet de Fated.
La Destinée, la Mort et moi, comment j’ai conjuré le sort de S.G. Browne, traduit de l’anglais (États-Unis) par Morgane Saysana, Agullo éditions, août 2016.
Retrouvez l’interview conduite par Barz de l’auteur, S.G. Browne ici dans quelques minutes.
Site officiel – facebook officiel – twitter – Agullo éditions
C’est justement le titre qui m’a fait acheter le livre… comme quoi.
Et oui sa lecture est un vrai régal
Effectivement, nous pouvons avoir un point de vue différent!
Merci pour votre lecture enthousiaste !
Pour info, le titre à rallonge est un choix (pertinent, à mon sens) de l’éditeur. L’idée étant de faire écho aux deux romans de S.G. Browne parus chez Mirobole, à l’époque (Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère et retrouvé l’amour http://mirobole-editions.com/livres/comment-jai-cuisine-mon-pere-ma-mere-et-retrouve-lamour/ et Le jour où les zombies ont mangé le Père-Noël http://mirobole-editions.com/livres/le-jour-ou-les-zombies-ont-devore-le-pere-noel/).
De rien pour la lecture!
Quant au titre, tout le monde n’y trouve pas son compte. Et un lecteur qui a fait un commentaire ici a acheté cet ouvrage à cause du titre…comme quoi.
Merci de vos précisions.
Tout ça est très subjectif, vous avez raison. Au moins, maintenant, vous avez une explication quant à la longueur du titre.
Je me rends compte que j’ai écorché le titre d’un des romans de S.G. Browne dans mon précédent commentaire : Le Jour où les zombies ont DÉVORÉ le Père-Noël.
Tout ceci est très subjectif, vous avez raison. Au moins, maintenant, vous avez une explication quant à la longueur du titre français.
J’en profite pour rectifier une bévue dans mon précédent commentaire : Le Jour où les zombies ont DÉVORÉ le Père-Noël.
Et merci à Barz pour sa relecture attentive de la chronique et ses suggestions.