[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]ors de la parution du premier numéro de La Moitié / du fourbi, revue où « la littérature ouvre des pistes et des espaces », nous vous avions parlé ici de ce projet enthousiasmant porté par Frédéric Fiolof, réunissant une myriade d’auteurs autour d’un thème permettant une exploration libre et protéiforme. C’était en février 2015.
Le quatrième numéro, dédié aux lieux artificiels, est arrivé dans les boites aux lettres des souscripteurs à partir des premiers jours d’octobre et dès le 7 dans bons nombres de librairies en France, Navarre et même à New York City (true story).
Dans « Lieux artificiels », il sera question, entre autres, d’îles, de tribunaux, de villes, de paradis, de parcs plus ou moins naturels , de ruin porn, de décors et de leurres ; il sera surtout question de ceux qui les peuplent ; qui les traversent ; qui n’y sont plus.
Pour ce second numéro de l’année 2016, dont il faut souligner la très belle maquette blanc et or réalisée par Christophe Burine au graphisme, on trouvera les textes suivants : Eux de Valérie Beaudouin ; Vertigo in situ de Jane Sautière ; Jouir des ruines de Anthony Poireaudeau ; Melrose La Caillère de Jean-Philippe Rossignol ; Le sentiment de l’île par Hélène Gaudy et illustré par Xavier Mussat; (En)droit par Thomas Giraud ; Evrything must go somewhere de Lucie Taïeb ; Retour à Disneyland Paris de Frédéric Fiolof ; La Petite maison dans l’Atlantique de Adrien Absolu ; Enième visite de Gilles Ortlieb ; Le cornac blanc et l’éléphant noir de Zoé Balthus ; Brasilia, échographie d’un artifice (et de ses contraires) de André Rougier ; Artificial Wonderland photographies et entretien avec Yang Yongliang ; Au lieu de la disparition de Anne Maurel ; une conversation avec Xavier Boissel et pour finir, Pax de Hugues Leroy.
Ces textes s’imbriquent entre eux, se complètent, se font face et sont autant d’approches très personnelles de la notion de « lieu ». On soulignera notamment les mots d’ Hélène Gaudy, dont le récent Une île, une forteresse interrogeait déjà sur l’histoire des lieux, leurs traces et leur impact sur l’humain qui les traverse. Ici, son texte est sublimé par les cartes imaginaires de Xavier Mussat, qui s’amuse à créer des topographies, jouant avec les frontières du réel et de la fiction. De même pour Anthony Poireaudeau, publié également aux éditions Inculte, autour du fascinant Projet El Pocero où il était question d’une ville-jouet née de la volonté d’un homme ambitieux, contre tout sens de la réalité et de viabilité. On remarquera aussi le texte d’un auteur récemment publié aux éditions lilloises de la Contre-allée, Thomas Giraud, qui place avec talent son En(droit) dans un lieu impressionnant fait de « lourdes portes à double battant et robes noires d’avocats ».
La barre d’immeubles de Jane Sautière sert de socle à un texte embarquant dans une promenade urbaine en banlieue parisienne, devant l’Hyper Casher et le long de l’avenue de Flandre; tandis que les photos de Yang Yongliang nous projettent dans une atmosphère sombre, futuriste et irréelle, avant de finir en looping et reprendre nos esprits à Disneyland avec Frédéric Fiolof.
La conversation avec Xavier Boissel, auteur de Paris est un leurre publié aux éditions Inculte (ils sont partout!) et directeur de collection pour D-fiction, est fascinante et éclairante sur la notion d’urbanisme artificiel et de villes qui permettraient de creuser « un trou dans le spectacle ».
La question des lieux et places que l’on traverse, qui nous marquent, nous apaisent et nous émeuvent à l’heure de la vitesse et l’uniformisation, permet l’arrêt du temps. Cette pause et ce regard au-delà de ce qui est donné à voir, appellent paradoxalement à une introspection rare et souvent révélatrice de nos maux. Les maux des uns, les mots des autres, c’est cette rencontre que permet la moitié du fourbi. De façon entière.
Un pan d’une histoire passée, qui n’est pas la mienne mais celle du pays et de la ville où je suis en voyage, fait brutalement irruption dans mon présent à la faveur des résonances qu’éveille en moi le paysage au milieu duquel je me trouve plongée, sans préméditation aucune. De quoi est faite cette expérience qui abolit le temps, la distance géographique et les limites de mon moi, c’est ce qu’aujourd’hui encore je chercher à mieux comprendre.
Anne Maurel dans Au lieu de la disparition.
Nous nous sommes intéressés à Frédéric Fiolof, porteur du projet et directeur de la publication. Il a à cœur de défendre la littérature, les auteurs et la puissance des mots. Ce nom, la moitié du fourbi, il l’a trouvé pendant son brainstorming en faisant appel à sa mémoire d’enfant. C’est en effet une formule bien connu des joueurs de loto tel qu’il se pratique encore dans les villages, dans une ambiance conviviale, de façon collective et bon enfant. Sans prétention.
A l’heure du travail sur le cinquième, Frédéric Fiolof est heureux et fier. Mais également conscient que rien n’est acquis et que chaque parution est un nouveau challenge. Il reste un peu de stock des derniers numéros, mais globalement l’accueil a été chaleureux de la part des libraires et des lecteurs, nous confie-t-il. La revue est désormais disponible de manière permanente dans une soixantaine de librairies à Paris, en région et un peu à l’étranger.
Deux mois après la sortie du quatrième numéro, le prochain est évidemment déjà en cours. Le travail en amont est important, le comité de rédaction compte entre six et huit mois de travail entre le choix du thème et la parution. Le temps nécessaire pour donner un cadrage, des pistes de travail et suivre le processus de création afin d’obtenir un ensemble cohérent.
Nous avons souhaité laisser la parole à trois auteurs de la revue afin qu’ils nous présentent ce qui les a attiré dans cette aventure innovante.
Par Hélène Gaudy…
Par Anthony Poiraudeau…
Quand il commençait à concrétiser le projet de la revue, Frédéric Fiolof a cherché à constituer un « noyau dur » pour former un comité de rédaction et un bureau d’association. Il m’a contacté à ce moment-là (on se connaissait un petit peu, et nous avions quelques connaissances en commun). L’état d’esprit qu’il pressentait pour la revue, que ce soit dans l’approche, le format et la « ligne éditoriale », m’a fait envie, parce que c’était à la fois exigeant dans le contenu et ouvert dans les possibilités : traiter d’un thème, à partir d’objets littéraires ou extra-littéraires, mais avec un regard littéraire mais non-fictionnel. Ce qui m’a attiré aussi, c’est que les personnes qui allaient participer à la revue me semblaient à la fois intéressantes et sympathiques, et l’idée de participer à une aventure éditoriale collective m’a fait envie, de même que la possibilité de découvrir de nouveaux maillons de la « chaîne du livre », ou d’une revue papier en tout cas : conception d’ensemble, fabrication, distribution, ce genre de choses.
J’aime que cette revue me donne à chaque numéro la satisfaction de découvrir un objet et un contenu auxquels je me sens satisfait, et même fier, d’avoir participé. Je suis heureux de la trouver, à chaque fois (il y a certains numéros que je préfère à d’autres, mais tout de même à chaque fois), riche et de bonne qualité, que ce soit pour le contenu et pour la beauté de l’objet (et à ce niveau, il faut saluer la qualité du travail de Christophe Burine, qui réalise la maquette, la mise en page et la couverture de chaque numéro).
Et j’ai aussi envie de répondre en tant qu’auteur, plutôt que comme membre du comité de rédaction ou de l’association qui édite la revue : la revue me donne l’occasion d’écrire sur des sujets sur lesquels je n’avais pas encore travaillé, qui me tentaient ou m’attiraient, mais sans qu’un support précis de destination (à moins de se lancer dans un livre, ce qu’on ne fait pas à la légère car on sait qu’on est alors parti pour un certain nombre de mois voire d’années) n’ait pu déclencher auparavant la décision de se mettre au travail d’une façon construite et suivie. Le format des articles et la fréquence des numéros de La moitié du fourbi me permettent de me mettre au travail sur quelque chose pour quelques semaines, de creuser, d’approfondir, de réfléchir et de tenter un texte, sans que je me sente enchaîné à ce travail pour une durée intimidante. Ça procure une liberté que j’aime beaucoup (et je suis sûr aussi que ça peut déclencher des textes plus longs, amorcés par un article).
Et le mot de la fin de Thomas Giraud
(auteur dans le numéro 4)
L’intérêt pour une revue est difficile à expliquer ; beaucoup de choses entrent en compte : qualité de ce qui est écrit, intérêt pour les sujets choisis, esthétique et plus largement ligne. Je dis volontairement ligne et pas ligne éditoriale parce que justement, je ne sais pas si l’on peut parler de « ligne éditoriale » pour la Moitié du fourbi, au sens de cadre strict.
Il y a plutôt une convergence des intentions qui donne, à la fin, me semble-t-il, à voir quelque chose. A cet égard, chaque numéro dépasse la seule somme ou compilation des articles.
Elle est le tout, mais elle est autre chose.
Frédéric Fiolof a ce talent de certains commissaires d’expositions qui arrivent à faire dire quelque chose aux accrochages des différents tableaux qui tout en mettant en avant les tableaux individuellement, fait apparaître autre chose.
Site de la moitié du fourbi – blog Frédéric Fiolof – Site Inculte