Le terme de « théâtre de cruauté » revient souvent dans le peu d’article que l’on peut lire sur ce nouveau film du réalisateur atypique Damien Odoul. Théâtre, pour le jeu des acteurs (non professionnels). Un jeu théâtral, si tant est qu’il existe un unique type de jeu dans le théâtre, qui rappelle une tradition issue de Rohmer, d’un certain cinéma français.
Mais le film va bien plus loin que le théâtre et explore la cruauté de la première guerre mondiale, en usant de moyens cinématographiques telle que l’image, un travail pictural, composé de tableaux effrayants, par le réalisateur et sa monteuse-image Marie-Eve Nadeau, qui est aussi actrice dans d’autres films de Damien Odoul. Peut-on parler de beauté, même si l’atrocité dans laquelle ce film nous plonge est bouleversante ?
Ce film est l’adaptation libre d’un livre : La peur, publié pour la première fois en 1930, écrit par Gabriel Chevallier décrivant dans ce livre, roman certes mais quasi autobiographique, cette guerre que l’on aurait voulu être la dernière. Dans ce film, on suit Gabriel Dufour, brillamment interprété par Nino Rocher partant à la guerre, cette « aventure » dont on ne mesurait pas encore l’horreur. Il part avec un ami Bertrand (Eliott Margueron). Ils forment sur le chemin de la guerre, un trio avec un certain Théophile (Théo Chazal), qui se dit poète romantique.
La guerre installe la peur dans ces êtres humains, la peur l’unique chose qui ressort de cette expérience absurde imposé par des puissants et subi par des hommes. La peur détruit, lamine peut rendre cynique, comme ce personnage anarchiste dit Nègre interprété par Pierre Martial Gaillard, ou fou comme Théophile qui passe du romantisme à la démence et encore ce Ferdinand, alcoolique, croisé au cours de l’enlisement de Gabriel dans cette guerre. Patrick Valette, l’interprète de ce personnage, est également clown dans le trio Les chiche Capon.
Jusque là on pourrait dire que l’on sait déjà ces choses là, que l’on a déjà vu des films sur la première guerre mondiale. Mais ici, la force de l’image du rythme imposent également aux spectateurs la peur. On ressent cela, notamment dans cette scène de nuit effrayante et qui nous semble interminable, où les bombardements incessants rendent les personnages (et les spectateurs) hystériquement effrayés. À l’image de Gabriel, allongé sur le sol boueux des tranchées, que les lumières des explosions et la terre éclaboussent, se tenant la tête et criant, cri inaudible et puissant, que l’on pousse aussi intérieurement. Ce genre de scène prouve que ce film réussit à faire ressentir l’unique sentiment que peut provoquer une guerre. Il donne ce message salvateur, que l’héroïsme ne vaut pas le coup de subir cette peur insensé.
Un grand film ne devrait pas passer inaperçu quand il fait ressentir ce que des hommes ont subi, et ce qui a changé incontestablement notre société. Malheureusement, sorti en pleine été, face aux blockbusters, Le film a était récompensé tout de même par le prix Jean Vigo, jury présidé par Agnès Varda. Malgré cela il passera peut être à la trappe des affiches de nos cinémas et on oubliera malheureusement (mais probablement) ce film, à l’inverse de cette peur que cette saleté de guerre a éveillée chez ceux qui l’ont vécu.
La peur de Damien Odoul, en salle depuis le 12 aout 2015.