C’est l’histoire d’une trahison. C’est aussi le récit d’un longue tranche de vie. Celle de l’armée républicaine irlandaise (IRA) aux heures les plus sombres de la guerre avec les Britanniques. Adaptation du roman de Sorj Chalandon par Pierre Alary, « Mon traître » (Rue de Sèvres) s’enfonce dans la noirceur de l’âme humaine, autant qu’il témoigne de l’amour d’un petit Français pour un (faux) père de la Nation.
C’est un beau petit pavé que cette BD, signée du dessinateur de « Silas Corey » (en collaboration avec Fabien Nury). Mais dès lors qu’un récit puissant traverse le temps et les années, il se nourrit nécessairement de nombre de pages.
Et il en fallait bien cent quarante-deux pour permettre à Pierre Alary de raconter et d’illustrer trente ans de combat, de passion et de drame made in Irlande, dans un style pour le moins réaliste, sans grand effet de manche. Sobre donc, mais efficace.
D’avril 1977 à avril 2007 : c’est dans cet espace temps que vont se construire les relations d’un quatuor avec pour toile de fond donc, l’Irlande. Tout commence à Belfast. Antoine, jeune luthier domicilié à Paris, est venu y passer quelques jours. Il y rencontre par hasard Tyrone Meehan, icône et vétéran de l’IRA, dont Jim et Cathy sont de fervents soutiens. Ces quatre là ne vont pas nous quitter.
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Sur fond de violon et de chansons rebelles, de charges anti-émeutes et d’assassinats ciblés, nous sommes pris avec eux dans un tourbillon identitaire, religieux et mortifère. Parmi les événements marquants dont nous sommes témoins, il y la mort de Boby Sands, premier des grévistes de la faim à avoir bravé l’intransigeance tatchérienne. Et puis, ça et là, nous sont distillés quelques faits de guerre.
Celle-ci n’est jamais propre. Antoine le Français pense le comprendre, lui qui va entrer dans ce qu’il qualifie de « beauté terrible, sans retour ». Mais une telle description ne peut être que véhiculée par l’émotion qui le lie à ses amis irlandais. Tyrone est le seul à tenter de lui faire comprendre que l’Irlande n’est pas son pays et qu’il n’est ici qu’un passant. Que cette guerre n’est pas la sienne. Qu’elle rend aveugle. Une manière assurément de le protéger. De la prison de Long Kesh, au sud de Belfast. Mais aussi de ses turpitudes à lui.
Car Tyrone Meehan est un salaud qui ne s’ignore pas. En témoigne les traces écrites de son interrogatoire par ses anciens camarades républicains. Des pages écrites à la machine, à l’implacable vérité, qui entrecoupent les différentes séquences de la BD.
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N’hésitez donc pas à plonger dans cette histoire où la douleur de la trahison est latente ; où la sidération se dessine, au sens propre comme au sens figuré, sur le visage d’Antoine ; et où les mots sont pesés. Des mots auxquels il convient de croire quand ils sont illustrés par des actes héroïques. Mais pour le moins choquants quand ils se révèlent contre-nature.
C’est tout le charme dangereux des gars formidables capables de prononcer de belles paroles, les yeux dans les yeux à la vie à la mort, avec un relent de saloperie bien planqué dans le ventre…