[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]V[/mks_dropcap]oilà Irvine Welsh quittant son Edimbourg natal, cadre de ses Trainspotting et autres romans dérivés, prequels ou sequels, pour s’en prendre aux mœurs et vilaines habitudes de nos contemporains de l’autre côté de l’Océan, plus précisément en Floride. Il n’a rien perdu de sa verve noire ni de son sens de l’observation : Irvine Welsh est une vraie peste et son imagination ne connaît pas de bornes.
Lucy, la trentaine, vit en Floride. Elle est coach sportif, totalement obsédée par la forme physique, et ne juge son prochain qu’à l’aune de sa musculation, de ses performances et de son potentiel physique. Pour elle, même le sexe est une forme d’exercice, avec les filles et les garçons. Elle a bien une relation plus ou moins suivie avec Miles (1,85 m, 95 kg), mais ce dernier n’en a plus pour longtemps : il a le mauvais goût d’avoir mal au dos, du coup, ses performances sexuelles s’en ressentent. Et comme entre lui et Lucy, il n’y a pas grand-chose d’autre…
Cette nuit-là, Lucy sort de chez Miles qui, une fois de plus, n’a pas su la satisfaire. Sur la route, elle est confrontée à une bagarre et à une agression. N’écoutant que son courage et son adrénaline, elle parvient à désarmer l’agresseur et en profite pour lui mettre une mémorable peignée. Avec Lucy, ça ne rigole pas…
Léna, jeune femme obèse, exactement le contraire de Lucy, est témoin de la scène, qu’elle a filmée et va diffuser sur le net sans tarder. Et voilà Lucy devenue une héroïne, à son corps défendant. Aux prises avec les producteurs télé qui la veulent absolument dans leur programme de fitness, avec les agents qui veulent défendre ses intérêts… Elle ne peut plus rentrer chez elle sans retrouver devant son immeuble des hordes de journalistes et de photographes.
Finalement, ça ne lui déplaît pas tant que ça : l’idée de pouvoir quitter son minuscule appartement et de vivre plus confortablement n’est pas désagréable. Hélas, tout cela ne dure pas : l’homme qu’elle a désarmé était une victime de pédophiles à la poursuite de ses anciens bourreaux. Du coup, Lucy passe dans l’autre camp : l’héroïne devient celle qui a laissé échapper d’épouvantables prédateurs d’enfants.
Heureusement pour elle, Léna est là, fidèle au poste. Devenue littéralement fan de Lucy, Léna est une drôle de personne. Petite boule de graisse nourrie au Nutella, autres sucreries et burgers graisseux, c’est une artiste. Elle crée à partir d’éléments organiques – ossements d’animaux morts, becs, plumes et autres joyeusetés – des petits personnages étranges qu’elle met en scène dans des décors oniriques de son cru. Rejetée par les milieux de l’art contemporain, elle n’en remporte pas moins un grand succès commercial. C’est une star, à sa manière.
Entre les deux femmes va se nouer une relation qu’on qualifiera sans hésiter de sado-maso, ponctuée d’épisodes aussi horribles que savoureux. Lucy et son mépris pour tout ce qui ressemble à de la graisse. Lena et sa fascination pour la sculpturale Lucy. Lucy qui, derrière ses mots et ses attitudes provocateurs, cache un terrible secret.
On n’imagine pas, tant qu’on ne l’a pas lu, ce qu’une telle situation peut devenir sous la plume d’Irvine Welsh, qui s’en donne à cœur joie. Et pendant ce temps-là, en toile de fond, le pays tout entier se passionne pour la destinée de deux sœurs siamoises : le suspense est à son comble. Vont-elles être séparées, au péril de la vie d’une d’entre elles, pour permettre à l’autre d’avoir une vie sexuelle digne de ce nom ?
Welsh s’est donc offert pour ce roman un cadre idéal pour foncer dans le tas. Dans le tas, il y a : le culte du corps, l’homophobie, les médias, les milieux de l’art contemporain, la perte de repères et de valeurs dans une Amérique qui s’apprête à élire Donald Trump.
Impitoyablement décortiqués dans le style frontal qu’on connaît à Welsh, au fil d’une narration ponctuée d’échanges d’e-mails entre les principaux protagonistes. Il ne recule devant aucune scène ahurissante, ne nous épargne aucun détail sordide, nous balance des situations aussi absurdes qu’effarantes, bref considère son lecteur comme un punching-ball capable d’encaisser…
Et le lecteur encaisse, emporté qu’il est par une dynamique absolument irrésistible et par un humour ravageur. Bref, on termine ce roman un brin sonné, on secoue la tête pour être sûr qu’on a bien lu, et on se dit qu’une fois de plus, Welsh a réussi son coup. Et qu’on attend le prochain.
La vie sexuelle des sœurs siamoises d’Irvine Welsh, traduit de l’écossais par Diniz Galhos, Au Diable Vauvert