L’intéressé, bien connu de nos services, réside à Orléans. Affirmer que celui-ci vibre pour la musique est un doux euphémisme. Sur son CV, on dénombre un paquet de réalisations aussi diverses que variées. Cette fois-ci, le trop discret Matthieu Malon a ressorti des tiroirs son avatar électronique Laudanum pour un service en trois temps et trois mouvements.
En guise de triptyque aux angles précis, l’auditeur a pu découvrir avec une certaine délectation et dans leur ordre d’apparition As Black As My Heart, As Red As Your Lips et As Blue As My Veins, volumes illustrés par des pochettes où figurent les sculptures colorées de l’artiste Marc Sparfel.
Matthieu Malon bien que concepteur et artificier en chef de l’ambitieuse réalisation de 26 pistes a fait appel à un casting de choix. Au programme, nous retrouvons donc les collaborations extrêmement bien senties de Scott McCloud (Girls Against Boys), Jim Johnston, Sarah Hum, Alice Hubble, Angela Aux, Aidan Moffat (Arab Strap), Dj Need, Chloé Saint-Liphard, Marie Delta, Christian Quermalet (The Married Monk), Pete Astor, La Famille Pellegrini, Eliz Murad, ETTR…
Le 16 janvier dernier, soit quatre jours après la sortie de l’ultime pièce du puzzle, Ivlo est allé à la rencontre de Laudanum pour évoquer le noir, le rouge, le bleu et un petit peu plus.
Quelle est ta couleur préférée ?
Laudanum :
(Rires)
Je ne sais pas, ça fait quoi si on mélange du noir, du rouge et du bleu ?
Je ne sais pas.
Laudanum : Après tu vois, ma couleur préférée c’est le noir même si ma fille me répondrait que ce n’est pas une couleur et elle a raison. Je porte toujours des t-shirts noirs. Sinon j’aime assez le bleu, faut dire que j’ai les yeux bleus… En fait, j’apprécie aussi les déclinaisons du gris par exemple. Je pourrai éventuellement tenter un mélange de tout ça.
Ah oui, pas bête si jamais tu veux sortir une compil’… A propos de ce triptyque, comment est né ce projet ? J’ai lu que ce travail de longue haleine a été goupillé entre 2018 et 2022.
Laudanum : Non en fait, Laudanum je ne voulais plus en parler. Les dernières productions c’était pas mal de reprises tu vois, des tribute et des remixes un peu. Ça se cantonnait à ça… et puis j’ai juste eu envie de me remettre à l’électro. Petit à petit c’est reparti, les choses étaient en route et je me suis dit que j’allais sortir un album mais avec un esprit du genre 12 titres, une seule couleur (rires). Ce que j’aime dans Laudanum c’est d’inviter des gens pour chanter à ma place, une espèce de récréation. Ça ouvre à des rencontres qui peuvent aboutir à des collaborations. Je me suis dit, voilà j’ai 50 piges, qu’est-ce que je veux faire que je n’ai pas encore accompli ? C’est là que j’ai dressé une liste rêvée de personnes même si je ne les connais pas. Par exemple, je me suis dit que je voulais travailler avec Kim Deal.
Ok, d’ailleurs au final tu as réussi à concrétiser avec un casting assez fou.
Laudanum : Oui je finis avec cette idée si tu veux bien. J’ai tenté d’ouvrir plusieurs portes. Bizarrement plus j’avançais dans les morceaux et plus j’étais très prolifique avec une centaine d’instrumentaux. J’en ai jeté jusqu’à en conserver 30-40 puis au final 26 se retrouvent sur les trois albums. Pour être honnête, je ne m’attendais pas à ce qu’autant de gens me répondent. Pour te donner une stat’, j’ai effectué 85 demandes et j’ai obtenu 20 réponses donc c’est génial !
Justement à un moment donné tu n’as pas eu peur de porter un projet trop costaud ?
Laudanum : Je te parlais de Kim Deam mais dans la liste, j’ai visé des artistes relativement célèbres. Je me suis rapidement rendu compte que ces gens là sont intouchables même si tu vois Jason Lytle de Grandaddy m’a répondu avec un message ultra gentil mais juste pour me dire non. Idem, je suis un grand fan de Sophia. L’un des premiers avec qui je désirais bosser c’était justement Robin Proper-Sheppard. J’ai écrit un morceau en pensant précisément à sa voix. Il m’a répondu dans les deux heures de mon envoi pour décliner la proposition et que de toute manière ça n’était pas possible, m’avouant qu’il n’était pas fan du principe des collaborations. Donc pour répondre à ta question, non ça ne me faisait pas peur à partir du moment où c’était ma récré. Je ne me suis donc pas senti investi d’une grosse responsabilité. Tout s’est passé ultra naturellement en fait. Le truc qui est fort, c’est de se dire que la personne reçoit un instrumental d’un inconnu et finit par être touchée par ça.
Il y a également une personne qui compte, c’est Pierre-Emmanuel Mériaud.
Laudanum : Oui, c’est un ami de longue date. J’ai fait quasiment tous mes disques avec lui. Notre projet ensemble je crois remonte à 1995. Il a été mon témoin de mariage donc c’est un proche de chez proche. On travaille tellement fusionnellement même si le plus souvent à distance (bien qu’on habite à 5 km de distance). On se connait par cœur. Il sait ce que je n’aime pas, il connait mes lacunes, il sait là où lui peut être complémentaire de moi. C’est un producteur et programmateur génial… Quand il y a un p’tit défaut sur une boite à rythme, il va sentir qu’il faut retravailler le truc. Bref, à aucun moment j’ai été en mesure de dire « ah non, là il n’a rien compris » donc je ne vois pas la raison de changer avec une équipe qui gagne.
Exactement… alors concernant le ressenti de l’album, j’ai eu l’impression que tu naviguais avec ton expérience électronique propre à Laudanum mais aussi par le biais d’une approche beaucoup plus pop. Il y a des titres qui font penser à l’esprit d’Archive par exemple… Globalement tu restes dans l’électro pointue mais avec un résultat plus abordable.
Laudanum : Oui c’est le son Laudanum pour être clair. L’électro-pop c’est mon cœur de métier si j’ose dire, c’est tout ce que j’aime tu vois ?
Justement tes inspirations combinent plusieurs styles musicaux ? Je pense notamment à The Favourite qui clôture les trois volumes et qui me fait penser dans sa structure à un cousin orléanais de Mogwai.
Laudanum : Tout à fait. The Favourite était destiné à la base pour Ben Shemie, le chanteur de Suuns. Il a vraiment failli participer mais en fait il a décliné. Pour autant, je voulais vraiment que le morceau sorte. J’ai eu cette idée de voix créée avec l’intelligence artificielle et c’est vrai que c’est parti sur une humeur un peu post-rock même s’il n’y a aucune guitare.
Ok mais ça demeure un crescendo qui t’emporte dans une sorte de transe. A ce titre, ce que je trouve très réussi avec ton triptyque c’est que chaque pièce apporte sa touche mais il y a une homogénéité.
Laudanum : Une fois que je recevais les voix, j’y ajoutais une sorte de polish quitte à rebosser certaines parties pour donner une unité car au moment où j’ai reçu les réponses, j’ai pu travailler sur l’intégralité des morceaux pour obtenir une cohérence avec de la diversité. Je voulais de la pop, de l’électro gentille comme de l’électro exigeante, plus abstract, darkwave, un peu de synthwave, je voulais qu’il y ait de l’autotune et puis justement quand tu sentais que c’était difficile de conférer une réelle unité, ça devenait logique de scinder en trois volumes… Les trois couleurs avant même de parler des pochettes de disque.
C’est vrai que l’album bleu (As Blue as my Veins) apparait comme plus posé, moins en force.
Laudanum : C’est en tous les cas celui où il y a plus de vraies batteries. Il sonne finalement comme le précédent de Laudanum, Decades sorti en 2009. Pour te dire, le choix du tracklisting a été effectué avec l’aide d’un copain, Patrice Mancino. L’idée qu’il y ait une autre oreille qui te donne du recul, surtout que lorsque t’as bossé longtemps sur une note, tu ne sais plus ce que ça vaut. T’as vraiment besoin d’avoir un autre avis donc voilà faut trouver des gens en qui tu peux avoir confiance. Patrice est un mec qui vient de la radio donc lui, il a le sens des enchainements.
Je sais que tu es assez friand des joujoux, là j’ai franchement l’impression que tu t’es régalé avec du matériel particulier ajoutant du poids aux compo.
Laudanum: Alors je vais te dire, je ne me suis fixé aucune contrainte par rapport à tout ça. Là c’était vraiment open avec les guitares, les synthés, beaucoup de samples…. Tu vois l’axe central je pense c’est que tout partait d’un sample, peut-être qu’après il disparaissait avec les évolutions et ajouts. Pour certains, c’est réellement l’ossature. Par exemple Cold Comfort avec Jim Johnston de Monk & Canatella, le sample est la base avec la boite à rythme et sa voix après tout le reste n’est que du remplissage si j’ose dire, juste de la finesse mais le morceau suffit comme ça.
Tu as une facette plus introspective avec ta discographie sous ton propre nom Matthieu Malon. Là, tu te livres moins en laissant la parole aux autres. Est-ce que tu as imaginé de combiner les deux pour un Matthieu Malon plus électronique du fait de cette expérience ?
Laudanum : Oh tu sais il l’a été avec Le Pas de Côté.
Ah oui, c’est vrai !
Laudanum : En l’occurrence c’était un Matthieu Malon avec un i-pad.
Et il y avait du rouge et du bleu mais pas de noir.
Laudanum : Exact, je dois avoir une obsession avec ces couleurs.
(Rires)
Laudanum : Tu ajoutes aussi le truc emprunté à New Order.
Tu as déjà eu des retours positifs des médias et du public vis-à-vis des trois albums dont les sorties ont été échelonnées dans le temps ?
Laudanum : Je me demande si c’est possible aujourd’hui d’avoir des critiques négatives. En tous les cas, moi je n’en ai pas. Je le dis sans prétention, du plus petit webzine aux Inrocks c’est dithyrambique ! Forcément, ça fait chaud au cœur. Je n’en reviens pas. Déjà, je me dis que j’ai été compris, ça me fait super plaisir et en même temps l’idée que les gens apprécient, je ne fais pas pour ça la musique… Après, je ne te cache pas qu’avec un attaché de presse, le disque aurait pu avoir plus de visibilité… Je suis dans l’underground et ça me va bien.
Ce n’est plus un problème de créativité mais de positionnement.
Laudanum : C’est un ensemble de choses. D’être là au bon moment et puis j’y ai pensé souvent sur ce projet, on se dit «maintenant, place aux jeunes ».
(Rires)
Laudanum : C’est mon douzième album tous projets confondus donc j’avais le temps de devenir célèbre mais je suis sincèrement ravi des retours.
Lorsque j’ai écouté la première fois As Black as my Heart (le volume noir) je me suis tout de même dit que la prod’ était fantastique… Tiens, tu parlais de laisser la place à la jeunesse, justement aux crédits j’ai noté deux personnes qui te tiennent particulièrement à cœur présentes sur I Want The Horizon avec Scott Mc Cloud de Girls Against Boys et Dj Need.
Laudanum : Ah oui c’était rigolo de pouvoir faire participer mes filles… En plus c’était super naturel et spontané. Je venais de recevoir la voix et comme je te disais, j’allais retravailler sur le titre. Rien n’était figé. Elles étaient là dans la pièce. J’ai demandé à Adèle, alors qu’elle bossait seulement depuis un mois l’alto, de juste de faire un bourdon, de tenir la note. Colette, je lui ai demandé de doubler à la clarinette un des synthés à la fin. En tous les cas, elles sont motivées pour réitérer sur le prochain disque.
Plus tard ça sera toi en featuring de leur duo ?
Laudanum : Ah oui, je le souhaite.
Un souhait pour le futur ?
Laudanum : On a sorti le clip de m/i /g /s, le morceau avec Christian Quermalet, titre qu’il a écrit en pleine crise en Ukraine… Le titre parle de ça… C’est un vœu pieux mais souhaiter que le monde sorte de ces guerres ça me semble primordial… Sinon à titre perso, en 2024 j’ai annoncé que je me mettais en off. Ok j’assure la promo et je joue de la basse avec Have The Moskovik mais je ne compose rien. En fait, je n’ai pas arrêté depuis 2014. J’ai envie de bouquiner, là je suis sur le dernier Fabcaro, Journal d’un scénario… Il est super ! Mon envie est d’aller un peu plus au ciné car ça me manque vraiment, ça fait trop chier de regarder les films sur un écran 42 pouces.
Laudanum ·
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