[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C[/mks_dropcap]her Pascal Bouaziz,
Je me permets, je t’appelle Pascal. Après tout, ça fait 25 ans qu’on se connaît. Enfin… que je te connais, que tu fais un peu partie de ma famille. La première fois, je m’en souviens comme si c’était hier. C’était la grande époque, celle de la nouvelle chanson Française, où je me jetais sur tout ce qui était labellisé Lithium, gage de qualité certaine. Dominique A, Diabologum, Jérôme Minière, Perio, Françoizzzz Breut, Mendelson. Ahhhh… Mendelson. Son acte… enfin… ton acte de naissance musicale, bien qu’imparfait, était une des plus belles promesses de 1997. Tout était déjà là : ce regard acéré, implacable, terrible, cet humour pince sans rire (24 années plus tard, les envolées lyriques sur Combs La Ville me font toujours hurler de rire), cette volonté de ne rentrer dans aucune case.
Après la promesse, vint le choc. 2000 : Quelque Part. Il avait fallu deux albums et quelques EPs à Diabologum pour provoquer un séisme dans le rock Français avec #3. Toi, je me permets, je te tutoie, au bout de 25 ans… dès ton second disque, tu provoques une nouvelle secousse d’aussi grande ampleur. Pour ce faire, tu t’entoures des plus grandes pointures avant-gardistes de l’époque (Michel Cloup, Joëlle Léandre, Noël Akchoté entre autres), tu proposes un hybride entre free-jazz, rock expérimental et chanson française à texte (et quels textes !) et refaçonnes de fond en comble l’idée que nous nous faisions de celle-ci : aussi engagée que détachée, drôlement déprimante et surtout d’une rare intelligence.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]ithium s’éteint, Prohibited t’accueille le temps d’un album : Seuls Au Sommet en 2003 puis tu publies, en auto-production, avec le soutien de Dominique Marie : Personne Ne Le Fera Pour Nous en 2007. Là, en 2007, uppercut. Personne Ne Le Fera Pour Nous conforte la position de Mendelson vis à vis de la chanson française : Seuls Au Sommet. Et des sommets, ton disque en est parsemé : J’aime Pas Les Gens, Scanner, La Honte. Et puis… 1983 (Barbara). 1983, c’est la chanson fleuve. 12 minutes de mise à nu poignante, fiction autobiographique (et réciproquement) de très haute volée soutenue par un crescendo musical qui dans un premier temps vous serre la gorge, noue l’estomac et s’achève par l’activation des glandes lacrymales à très grandes eaux. 12 minutes qui laissent une empreinte indélébile sur l’auditeur et qui, à n’en pas douter, inspireront l’alter ego Michel Cloup pour Une Adresse En Italie. Et de me rendre compte que non seulement tu pouvais être impressionnant mais surtout, surtout, bouleversant.
Il faudra attendre six ans, 2013, pour avoir à nouveau de tes nouvelles. Tu changes de label (Ici D’ailleurs, le plus bel héritier de Lithium à ce jour) et sors Mendelson, disque monumental, majeur, dans tous les sens du terme. Majeur car, arrivé à 18 années d’existence, tu peux tout te permettre : publier un triple album, abandonner le chant pour un phrasé seyant mieux à tes ambitions ou mettre la musique au service de la littérature. Majeur, comme celui dressé à la face de la chanson française, geste punk affranchi de toutes contraintes : les formats volent en éclat (les chansons vont de 4 à 55 minutes avec une majorité de morceaux de plus de 10 mns), le concept de chanson également, tu fais entrer le silence par la grande porte et invente une grammaire musicale exigeante, si ce n’est extrême, laissant libre court à l’expérimentation tout en veillant à ne pas laisser de côté l’émotion. Très fort.
Après, tu enchaînes les projets, album solo, livre, le premier disque de Bruit Noir puis tu publies en 2017 Sciences Politiques, premier objet de désaccord entre toi et moi. Dans une longue amitié comme la nôtre, unilatérale certes, il fallait bien que ça arrive un jour. J’ai bien pris en compte la portée du geste, l’ambition affichée, l’importance politique inédite dans le paysage musical, en prise directe avec l’actualité. Pour autant, je ne suis pas convaincu. Comme je l’avais écrit il y a quatre ans, ce sont tes mots, ta musique qui me percutent. Pas celle des autres. L’entreprise est louable mais pas indispensable.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]ujourd’hui, je suis présent, ainsi que de nombreuses autres personnes, un peu plus de 25 me semble-t-il, pour te rendre hommage. Tu es parti. De la plus belle des façons. Il t’a fallu une petite quarantaine de minutes pour faire ton inventaire, regrouper tes affaires, organiser ton départ. Les quarante trois plus belles minutes de tes vingt-cinq années d’existence, serai-je tenté de dire. Celles où tu fais un bilan sans fard de ta vie, lucide, sarcastique, parfois terrible mais souvent teinté d’une tendresse inédite. Celles, bouleversantes, où tu reviens sur ce nom, synonyme de fierté, de fardeau, sujet éminemment personnel et universel, où le mal-être lié à ton ascendance rejoint celui de la France à leur égard, apatride quel que soit le côté de la Méditerranée. Celles qui t’amènent à te draper du cynisme de Bruit Noir dans un premier temps pour mieux te mettre à nu ensuite, nous surprendre, évoluer vers un désabusement, une nostalgie, un apaisement qu’on ne te connaissait pas jusque là et révélant au final une nouvelle facette de toi, tendre, attachante. Pascal, je te parle comme si tu étais encore là, mais, quand on parlait de toi à la maison, attachant n’était pas forcément le premier adjectif qui nous venait en tête. Déprimant, drôle, impressionnant, bouleversant, ça, oui. Mais attachant… tiens, un exemple pour illustrer mon propos, je me souviens parfaitement de mes enfants me disant : « préparez les cordes, on écoute Mendelson. »
Mais foin de digressions. Tu es parti et, quoi qu’on en dise, tu l’as parfaitement orchestré ce départ. On y retrouve la synthèse de tout ce que tu as pu créer jusque là. Des formats hors-normes, d’autres conventionnels, du rock, de la pop, du free-jazz, du post-rock, de la tension, des mélodies, ce goût pour l’audace, l’expérimentation, mais également des citations à la pelle, références autant littéraires que musicales à ton œuvre (L’avenir Est Devant, Quelque Part, Personne Ne Le Fera Pour Nous, Mendelson). Ce départ, et je me doute que tu rougirais en entendant ces mots, n’est pas sans m’évoquer celui d’un autre grand, disparu il y a cinq ans : David Bowie. J’y retrouve la même dramaturgie, la même générosité, le même sens de la mise en scène, l’humour en plus. Et puis, pour répondre à une de tes interrogations, je voudrais juste ajouter une dernière chose avant de terminer : ne t’inquiète pas Pascal, la postérité à laquelle tu ne croyais pas viendra en temps et en heure, comme d’autres artistes que tu admirais tant. Beaucoup, comme moi, y travailleront.
Maintenant, et pour terminer cette oraison sur une touche d’humour, je me permettrai juste de te citer :
» On a toujours été plutôt à l’aise avec les morts tous les deux,
de toutes façons, les morts ont la bonne dose de conversation ».
La tienne va nous manquer.
Terriblement.
N.B : en parallèle de la publication de Le Dernier Album, sort également un recueil de tous les textes de Mendelson disponible aux éditions Médiapop ou compris dans la box (cd + vinyle + livre et carte postale dédicacée par Pascal Bouaziz) en précommande chez Ici D’ailleurs ou sur le Bandcamp du groupe.
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Le Dernier Album – Mendelson
Ici D’ailleurs – 15 Octobre 2021
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