Qu’on se le dise : si le premier jour des 3 Eléphants est exclusivement réservé aux concerts, les autres jours sont plus axés sur les spectacles de rue, gratuits, auxquels chacun est convié (je ne pourrai malheureusement pas me rendre sur Laval le troisième jour). Pour ce deuxième jour, je n’ai pu assister qu’à une seule performance ainsi qu’un concert de fanfare, excellent au demeurant. Et, rassurez-vous, les concerts de la soirée.
Commençons avec la performance artistique de Serge Teyssot-Gay et Paul Bloas pendant laquelle Bloas peint et l’ex Noir Désir suit, interprète chacun de ses mouvements à la guitare. Bloas prévient d’entrée de jeu sur sa « toile » : on va se faire une balade, une putain de balade. Et de fait, une heure durant, les deux va-nu-pieds utilisent leurs outils pour sculpter des formes sur toile pour l’un, des paysages sonores pour l’autre, empruntant autant à Cage qu’à Eno, utilisant cymbale, archer et parfois, lors d’un moment d’égarement, un médiator (l’accessoire, pas le médicament). Le résultat, selon sa sensibilité peut être soit fascinant soit chiant à mourir. Au vu de sa réaction (et de la mienne par la même occasion), il semblerait que le public ait opté pour la première option.
J’arrive plus tard dans l’enceinte du festival et me précipite au patio pour être sur le devant de la scène afin d’assister au concert des canadiens de Ought. Je jette un œil à droite, puis à gauche, prêt à en venir aux mains pour conserver ma place et découvre que nous ne sommes qu’une petite trentaine de personnes quand le concert commence. Les canadiens, arrivés tout juste de Nîmes, semblent fatigués (ce qu’ils avouent dès le second morceau, nous disant avoir été sur la route pendant 11 heures) mais assurent le spectacle avec leur look d’estudiantins et le feu de plancher de leur leader (qui jouera littéralement à côté de ses pompes). Malgré la malchance de débuter cette seconde journée (honnêtement ils auraient pu jouer à la place de, hum… The Horrors), ils parviendront aisément à rameuter le public avec leurs brûlots (notamment avec un excellent Today, More Than Any Other Day) et termineront leur set par un One Of A Kind incendiaire sous des applaudissements bien nourris. Bref, ce samedi sous le chapiteau commence on ne peut mieux.
Ought à peine terminé, je m’en vais vers l’arène voir les jumelles d’Ibeyi. Comme je le craignais, leur trip hop mâtiné de world m’en touche une sans faire bouger l’autre. Ok leurs voix sont magnifiques et se complètent à merveille, l’une des sœurs, véritable human beatbox assise sur son instrument de percussion, impressionne par sa maîtrise. Mais je dois confesser qu’entre deux interprétations magnifiques, trop de bonnes vibes, trop de bons sentiments, bref trop d’amour, finissent par me lasser et me donnent l’impression, dans l’esprit, d’assister à un concert de Trÿo, La Rue Kétanou et consort sans l’aspect roots-politico-environnementaliste engagé des groupes précités. Beau voire très beau par moment mais ça ne m’empêchera pas d’abandonner trois morceaux avant la fin.
Passons maintenant à la claque de la soirée : Public Service Broadcasting. D’emblée, quand je vois le trio arriver sur scène sous un tonnerre d’applaudissements, je me dis qu’il va se passer quelque chose de formidable. Rien que leur look donne le ton de ce que sera le concert : chemise à carreaux de rigueur, cravate, lunettes carrées pour tous, pantalon de velours et veste de velours côtelée pour le leader. Atypique donc. Le trio anglais pratique un humour pince-sans-rire typiquement British (pendant le concert aucun des membres ne prononcera une parole, tout aura été au préalable samplé et ce jusque dans les conneries du style : « we always wanted to play at les 3 éléphants ») et une musique hallucinante. Principalement instrumentale, faite de samples de dialogues de documents ou de films (projetés en arrière-plan soit dit en passant), le trio déploie une musique ample, très inspirée par le Post-Rock, faite de montée en puissance, évoquant plus qu’à son tour Godspeed mais en mettant de côté l’aspect politique et réfléchi des canadiens au profit d’un second degré So British. Il en résulte un concert de folie, drôle et enlevé, capable de filer des frissons à la pelle au moment où les anglais deviennent plus incisifs et suscitant l’admiration tout du long. Pour ma pomme, le meilleur concert des deux jours haut la main.
C’est le sourire aux lèvres et la tête dans la stratosphère anglaise que je me dirige vers l’arène pour The Horrors (qui remplace Balthazar, non présent à l’horaire indiqué). Pour être honnête, la descente sur le plancher des vaches est quasi-immédiate et fait mal, très mal. Que retenir de la performance des anglais ? Rouge,bleu, orange, écran de fumée, bleu, rouge, noir, etc… bon j’exagère mais outre la scénographie, The Horrors c’est pro, très pro, très très pro. C’est carré, net et sans bavures, ça dépote velu, les potards à fond, ça psychédélise à mort et fait le job. Mais on peut juste se poser une question : bordel, où est passée l’âme de leur musique ?
C’est quasi sourd donc que je m’en retourne vers le patio voir Shamir, prodige Nu-soul américain. J’écoute un morceau et me fais la réflexion suivante : bon…ben, Shamir, Shamira pas trop tout compte fait. Du coup, j’opte pour retourner voir Jessica93.
Bien m’en prend, Geoff Laporte propose, pour ce second set dans l’enceinte des 3 Eléphants, un concert plus diversifié et tendu que celui d’hier. Piochant dans Rise et Who Cares (un Away d’anthologie et un Sweet Dreams apocalyptique) et malgré quelques couacs, il montre que l’étendue de son talent ne se limite pas qu’à une réinterprétation personnelle du post-punk et de la new wave mais va bien au-delà quand il propose en ultime morceau une relecture du thème du Parrain de Rota. Toujours excellent.
Comme a pu l’être aussi Balthazar dans l’arène. Comme Ibeyi, voire même plus, leur pop/rock indé ne me touche pas. Mais Balthazar sur scène, avouons-le, c’est la grande classe. Tirés à quatre épingles, les Belges font preuve d’un grand professionnalisme et mettent d’entrée de jeu le public dans leur poche avec des chansons taillés pour la scène et un petit grain de folie classieuse. Ils assurent le show, très pros et sympas malgré les difficultés du groupe à venir sur Laval (ils étaient à l’origine programmés pour 22h et ne sont passés qu’à minuit, bénéficiant quelque part d’un public plus réceptif).
Je termine la soirée en beauté au patio avec le duo de Little Simz. Un gars, une fille à casquette (et quelle fille), des beats lourds et menaçants et un débit verbal qu’on peut qualifier d’impressionnant. Cette jeune rappeuse anglaise, hargneuse, parvient en une petite cinquantaine de minutes à mettre tout le public d’accord en le haranguant, le faisant participer, faisant de son concert un moment festif malgré des beats lourds que n’aurait pas renié un Cannibal Ox première époque. Le public le lui a bien rendu par ailleurs et c’est émue, ayant même du mal à aligner deux mots de suite, qu’elle annonce le dernier morceau du concert sous les cœurs avec les doigts de l’assistance.
C’est sur cette note positive que je choisis de m’en retourner dans mes pénates (et après avoir vu un petit bout du set de Brodinski, plutôt efficace par ailleurs), en me disant qu’entre les 3 Elephants et Addict, ça pourrait être le début d’une bien belle histoire qui pourrait se prolonger encore quelque temps. Un grand merci donc aux organisateurs (impeccables), au public du festival (impeccable malgré cette profusion de selfies ma faisant dire que le selfie, c’est le mal des festivals) et à ma cheffe (impeccable) pour m’avoir donné l’occasion de m’y rendre (ainsi qu’à Manuel).