[dropcap]A[/dropcap]uteur bien connu du catalogue Asphalte grâce à sa trilogie consacrée à Santiago Quinones, flic à Santiago du Chili, hautement recommandable à tous les amateurs de noir bien corsé (Les rues de Santiago, Tant de chiens, La légende de Santiago), Boris Quercia s’aventure aujourd’hui en des terres nouvelles ou, pour être plus juste, en des époques inédites pour lui.
Dans la vie, rien n’est gratuit, tout a un prix. Mais si le prix, c’est juste de connecter ton corps à leurs machines à rêves pour qu’ils puissent cultiver leur ADN, pourquoi ne pas essayer, ne serait-ce qu’un an ou deux ? Après tout, pendant ce temps-là, tu vas pouvoir vivre ce que jamais tu n’aurais pu vivre dans ta vie de merde. Le problème, c’est l’addiction.Boris Quercia.
Un futur indéterminé au cœur de la City, mégalopole au bord du chaos. Natalio y exerce la triste activité de Classe 5, les flics les plus méprisés de la société. Son boulot consiste à éliminer le plus discrètement possible les dissidents, ces citoyens réfugiés dans les sous-sols de la ville et qui refusent la société telle qu’elle leur est imposée. Dans ce monde où les hommes ont perdu la faculté de se souvenir de leurs rêves, une société propose à celles et ceux qui qui le souhaitent de retrouver cette capacité. Si le service est gratuit, de sérieux doutes subsistent quant à ce que Rêves Différents fait des données collectées sur les dormeurs. Accompagné de son électroquant, sorte de double numérique comme tout un chacun en est équipé ici, Natalio va être amené à enquêter pour le compte de cette puissante société pendant que l’insurrection gronde.
S’il est indéniable que Boris Quercia change d’univers en projetant son récit dans un univers propre à la science-fiction, on trouvera ici quelques paradigmes inchangés, des constantes de son œuvre, qui aideront le lecteur à ne pas se sentir trop déboussolé. La figure du flic, d’abord, seul contre tous, ou presque, rejeté, méprisé mais refusant de se laisser piétiner. Aussi lourds soient ses souvenirs et dure la réalité, il ne lâche rien, obstiné, coriace, rendant coup pour coup. La ville, ensuite, omniprésente, indifférente quand elle n’est pas ouvertement hostile. Quercia est un auteur résolument urbain, pas de place chez lui pour la nostalgie du rural. Tentaculaire, bruyante et désordonnée, elle est quasiment un protagoniste de l’histoire, au même titre que les humains et les robots qui la peuplent.
Il serait facile et tentant de placer ce récit sous le haut patronage de Philip K. Dick tant la filiation avec Blade Runner peut sembler évidente. Si l’hommage est indéniable, la portée du roman risque de souffrir de la comparaison tant le classique de K. Dick a mis la barre haute et posé les règles du genre. Soyons clair : Boris Quercia n’a pas à rougir de son récit, loin s’en faut. Il semble même, grâce aux similitudes avec ses romans précédents évoquées plus haut, à l’aise dans l’exercice et Les rêves qui nous restent ne souffre d’aucun temps mort.
« Un monde meilleur n’est pas nécessairement un monde plus humain » dit la publicité affichée à la sortie du métro. Je relis plusieurs fois la phrase cachée de temps à autre par des manœuvres qui passent, silencieux, dociles, les yeux rivés au sol. »
L’interdépendance apparente entre humains et robots que dépeint ici Quercia n’est que poudre aux yeux : les machines sont les vraies gagnantes de cette évolution scientifique et sociétale qui, finalement, ne fait qu’ajouter une addiction supplémentaire aux mortels que nous sommes. À travers l’omnipotente société Rêves Différents, c’est la marchandisation du monde qui est pointée du doigt, le négoce du vivant, qui, lorsqu’il sera détourné par l’intelligence artificielle, signera la fin de l’humanité.
On le voit, Boris Quercia n’a pas gagné en optimisme en imaginant le monde de demain. Il s’y montre résolument noir, comme à son habitude, et sa vision du futur reste crédible et glaçante. Le meilleur moyen d’apprécier ce roman à sa juste valeur est de le prendre comme il est, un hommage réussi à l’un des chefs-d’œuvre de la science-fiction, unique et inégalable. Cette incursion dans le domaine de la dystopie s’avère finalement moins surprenante qu’attendu quand on voit le traitement que lui impose l’auteur chilien et l’on se dit qu’on en reprendrait bien quelques pages.
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Les rêves qui nous restent de Boris Quercia
Traduit par Isabel Siklodi et Gilles Marie
Éditions Asphalte, 1er octobre 2021
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