Toutes les semaines jusqu’au 18 juillet, retrouvez une sélection hebdomadaire de conseils de lecture pour vous accompagner cet été.
[mks_icon icon= »fa-sun-o » color= »#333399″ type= »fa »] Les choix d’Adrien Meignan
[dropcap]C[/dropcap]’est tellement agréable de lire des livres qui nous attendent, comme quelqu’un qui reçoit la visite d’un ami pas vu depuis le confinement. Je n’avais lu de Mathias Enard que deux livres, mais quels livres : Zone (2008) et Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants (2010).
Depuis que j’ai persévéré dans ma passion pour la littérature contemporaine, cet écrivain majeur m’a toujours fasciné, par sa stature, ses prises de paroles et les multiples éloges que j’ai pu entendre sur lui. Il y eut bien sûr aussi le Goncourt qu’il a reçu en 2015 mais cela aurait pu faire l’effet inverse et me dissuader.
Débuter la lecture de Boussole n’est pas forcément chose aisée. Elle demande une abnégation en se laissant embarquer dans un flot fictionnel tumultueux où la langue nous emporte dans une longue nuit de remémoration.
Cette nuit avec le narrateur Franz Ritter, malade et insomniaque, je l’ai faite durer le plus longtemps possible, alternant boulimie et minutie de lecteur. Franz Ritter est musicologue et passionné par l’Orient. C’est là où nous embarque Boussole, de l’Europe à l’Orient, de l’Ouest à l’Est. Mais au-delà de cette impressionnante érudition du roman, il s’agit aussi d’une histoire d’amour, platonique, trop idéale pour exister. Franz aime et se languit de Sarah, orientaliste qui semble être le personnage principal. Cette femme que désire ardemment Franz, auquel il pensera souvent durant cette nuit blanche dans son appartement viennois, représente tous les aspects de l’admiration des occidentaux vis-à-vis de l’Orient.
Mathias Enard parle de l’Orient à travers le prisme du regard des Européens, ceux qui ont rêvé de découvrir des mystères jamais élucidés. L’Orient représente l’altérité ultime, celle qui permet de s’envisager comme un être à la conquête de connaissances mais aussi de territoires parce que l’homme est ainsi fait : rempli d’une volonté de s’accaparer les choses. Franz et Sarah voient juste dans cet Orient un idéal fascinant qui exacerbe les passions. Mathias Enard écrit dans Boussole les plus belles pages d’amour que j’ai lues depuis longtemps. Cette relation platonique restera ainsi jusqu’au bout mais n’empêchera pas la création d’une amitié sensuelle remplie d’envies et d’admirations mêlées.
L’Orient dont nous parle Franz Ritter n’est plus le même qu’hier, ravagé par la guerre et les fanatismes dont les occidentaux n’ont pas encore fini de se laver les mains. Il y a dans Boussole la description d’une nuit sur le site de Palmyre, à la belle étoile, où les corps de Franz et de Sarah se rapprochent fébrilement. Quand Mathias Enard l’a écrit, il ne savait pas que des islamistes débiles allaient détruire Palmyre. Il reste de cette cité historique ce passage du roman. À chaque lecture de ces pages, le feu fictionnel de Palmyre se ravive.
Boussole avec Zone sont des jalons importants de la littérature francophone de ces dernières années. Ils marquent à eux deux la puissance renouvelée d’une littérature trop souvent déclarée morte. Mathias Enard, par son écriture et son érudition, fait rejaillir une source où le lecteur s’abreuve. Il comprend alors de mieux en mieux, au fil des pages, son rapport au monde et à l’autre.
Boussole de Mathias Enard
Actes Sud, août 2015
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[mks_icon icon= »fa-sun-o » color= »#800080″ type= »fa »] Le choix de Velda
[dropcap]O[/dropcap]n se rappelle bien sûr le dernier roman de Marcus Malte, Le Garçon, paru chez Zulma en 2016 et qui valut à son auteur le prix Fémina (voir chronique ici). Avec ce roman-monde, on peut dire qu’il en imposait… Le lecteur avait bien conscience de se trouver face à un monument de la prose contemporaine, et son émotion le disputait à son admiration.
Avec Aires, changement de ton. Qu’on n’aime cette capacité qu’a Marcus Malte à nous surprendre à chaque œuvre ! Cette versatilité est une sorte d’élixir de jouvence pour un auteur qui surgit toujours là où on ne l’attend pas.
Les aires d’autoroute sont à la fois des lieux emblématiques de la vie moderne et des concepts démodés déjà, illustrations d’un mode de vie en perte de vitesse. Les aires, ce sont les lieux où se déroulent les histoires que nous raconte Marcus Malte. Des chapitres courts où les titres sont remplacés par les descriptions des véhicules où se déplacent les personnages. « Renault Kangoo Express 1.9 D 55 générique, 5 CV, année 2003, 113411 km, cote argus 3200 € » ouvre ainsi le premier chapitre où l’on fait la connaissance d’un certain Roland Carratero, 59 ans. Qui est cet homme, où va-t-il en ce début de mois d’août ? Pourquoi est-il dans le roman ? Et Frédéric, 38 ans, chauffeur poids lourd, pourquoi gare-t-il son poids lourd sur une aire d’autoroute, le même jour, tôt le matin ?
Près de 15 personnages vont ainsi faire leur entrée sur la scène des Aires de Marcus Malte, et chacun va donner à l’auteur l’occasion d’exprimer sa révolte, sa colère face à ce monde qui nous dévore et dont nous sommes responsables. Sans jamais oublier un féroce sens de l’humour qui donne à l’ensemble du texte une énergie incroyable, et un style à la fois audacieux et généreux. Des personnages qui se croisent, se dépassent, convergent vers un destin, victimes de notre histoire.
Aires de Marcus Malte
Éditions Zulma, janvier 2020
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[mks_icon icon= »fa-sun-o » color= »#33cccc » type= »fa »] Les choix de GringoPimento
[dropcap]É[/dropcap]tincelant Horacio Castellanos Moya ! Avec Effondrement, il donne en trois chapitres un petite idée de son talent stylistique.
Un long dialogue, théâtral avec des interventions de l’auteur comme autant de didascalies pour le lecteur. Un échange épistolaire entre un père et sa fille, Esther, sur fond de guerre entre deux pays d’Amérique latine (à cause du football et de trois matchs joués en peu de temps qui entraînent la fin des relations diplomatiques entre le Salvador et le Honduras et donc une guerre très rapide mais une guerre quand même) avec une analyse politique puissante de la situation. À ce titre, le personnage d’Esther est parfois tournée en dérision notamment quand elle se lance dans des considérations politiques et footballistiques d’une naïveté confinant au comique… À sa décharge, sa mère, Doña Lena, ne lui a jamais facilité la vie !
Et enfin, un court récit à la première personne sur la fin de vie d’une personnage âgée vu par son serviteur de toujours.
C’est brillant, dans toutes les parties. Parfois raffiné, parfois très violent, drôle et dramatique à la fois, à l’image de Doña Lena qui enferme son mari dans les toilettes pour l’empêcher d’assister au mariage de leur fille avec un communiste de trente ans de plus !
Impossible de quitter la lecture de ce court roman tant nous sommes pris par la frénésie et le talent de l’auteur. Environ deux cents pages pour explorer les relations entre un homme et son épouse, un père et sa fille et entre une très vieille dame et son domestique.
On retrouve ici des personnages de La Mémoire tyrannique, notamment Pericles, le journaliste, savamment croqué encore une fois par l’auteur. Il y a également le fils de Pericles, Clemente, toujours un peu coureur de jupons. On découvre ici un peu plus en détail sa fin tragique.
Avec Effondrement, La comédie inhumaine de Horacio Castellanos Moya continue de prendre forme. Les liens se nouent sous nos yeux. Vite, vite un autre tome !
Effondrement de Horacio Castellanos Moya traduit de l’espagnol (Salvador) par André Gabastou
Éditions Métailié, Collection Suites, août 2018