Il y a quelque chose d’universel dans la fascination que peut exercer un fait divers. Comme on regarde un accident sur le bord de la route, dès que l’humanité vrille du cadre social établi, on scrute, on épie, on s’assure d’être bien à distance d’un tel déraillement dans notre quotidien. Le fait divers nous rappelle que tout peut toujours basculer, que la journée d’été peut virer au cauchemar, que la fête de famille est un drame en suspens, que toutes les histoires d’amour portent en elle un germe terrifiant.
Ces déraillements du quotidien, Élise Costa les connaît bien, c’est même son métier. Elle est chroniqueuse judiciaire et passe son temps entre palais de justice, chambres d’hôtel et salles des pas perdus. Cela n’est pas exactement comme journaliste, ou comme fait-diversière. Elle n’est pas là pour traquer le scoop, pour obtenir des révélations exclusives ou faire frissonner les gens dans la tranquillité de leur foyer. Non, Élise Costa raconte les procès, elle décrit le déroulé de procédures souvent inconnues du grand public, elle explique le quand et le pourquoi, qui sont les parties impliquées, comment en est-on arrivé là.
Dans Les nuits que l’on choisit, Élise Costa nous partage avec justesse et pudeur ce qui fait l’amour de son métier. Ce qui l’y a conduite, les personnes qu’elle a croisées et qui l’ont marquée pour toujours – magistrats, familles, collègues – et les affaires qu’elle ne peut pas laisser derrière elle. Quand on côtoie l’humain dans ce qu’il a de plus fragile, de plus vulnérable, on ne reste pas indifférent. Et c’est cette compréhension sans jugement, cette envie de mettre du sens dans ce qui peut nous en paraître si dénué , qui touche au cœur dans ce récit. Le ton est toujours mesuré, on sent le respect pour les êtres qu’elle croise, la douceur dans sa manière d’aborder une chronique. On perçoit également le travail acharné, le sérieux et l’implication afin de ne pas déformer le réel, de ne pas le biaiser par son propre prisme.
« Quand vous avez vu une chambre d’hôtel, vous les avez toutes vues. En revanche, elles ne s’habitent pas de la même façon. Il y a celles où l’on travaille jusque tard dans la nuit, d’autres où on appelle sa famille, et quelques-unes où l’on dort d’un sommeil de plomb. Le tourisme judiciaire ne me fait rien voir du vieux Nantes ni du plateau des Mille Étangs en Haute-Saône. Je ne sens pas les champs de lavande de l’arrière-pays provençal ni le parfum des plages de Normandie. Ce que les chroniqueurs judiciaires voient n’est pas classé au patrimoine de l’Unesco. Ce sont les dégueulasseries des hommes, leurs faiblesses, l’odeur de leur sueur et leurs regards noirs. »
– Élise Costa, Les Nuits que l’ont choisit
On se prend à en vouloir encore plus, à ce que, comme une Shéhérazade de nos failles contemporaines et millénaires, Élise Costa peuple nos nuits d’histoires pour mieux comprendre le monde.
Encore une fois, les éditions Marchialy, nous régalent par leurs enquêtes et récits journalistiques fouillés et d’une grande qualité. Leur catalogue vaste et iconoclaste nous entraîne dans des directions souvent surprenantes mais toujours réjouissantes ; ce titre ne fait pas exception.
Les nuits que l’on choisit d’Élise Costa
Éditions Marchialy, Mars 2023