[dropcap]C[/dropcap]órdoba, Argentine. Une nuit comme les autres, ou presque, dans le Parc Sarmiento. Les prostituées trans se regroupent comme tant d’autres soirs, pour partager un peu de chaleur humaine, quelques gorgées d’alcool ou un peu de drogue. Sous la houlette de Tante Encarna, matrone aux seins gonflés à l’huile de moteur d’avion, la petite communauté attend le client dans l’ombre de la végétation. Mais, ce soir, Encarna est alertée par un bruit inhabituel et, guidée par son instinct, elle trouve un bébé abandonné dans les buissons. Très vite, la décision est prise de l’adopter clandestinement.
Nous ne sommes pas des créatures de la lumière, nous sommes des animaux de l’ombre, aux mouvements furtifs et aux réverbérations ténues, comme le sont nos résistances. La lumière nous dénonce, nous expulse. »Camila Sosa Villada
Récit autobiographique aussi bref que poignant, Les Vilaines constitue la revanche de Camila Sosa Villada sur celles et ceux, à commencer par ses parents, qui ont refusé à leur enfant le droit à la différence. Marquée par la pauvreté et la violence de son père alcoolique, l’enfance de Camila commence dans une petite ville d’Argentine. Née garçon, Camila se rêve très tôt en fille, en femme plus exactement. Terrorisée par un père qui la bat et lui prédit misère et prostitution, elle fugue régulièrement la nuit et découvre peu à peu sa véritable personnalité. Le bonheur de se travestir, seule ou avec des amis, lui permet d’oublier sa peur et de voler quelques moments d’insouciance à la vie, jusqu’à cette nuit où elle sera violée par deux gendarmes en échange de leur silence auprès de son père.
« A partir de ce jour-là, mon corps a eu une autre valeur. Il a cessé d’être important. Désormais, c’était une cathédrale de néant. »
Prenant rapidement conscience que son corps peut également être une source de revenus, Camila commence à se prostituer, concrétisant ainsi les prédictions de son père. Quelques années plus tard, installée dans la ville de Córdoba, elle y fait la rencontre de cette communauté trans qui l’adoptera rapidement et lui permettra de s’installer dans la pension que tient Tante Encarna. C’est ici qu’elle vivra peut-être les plus belles années de sa vie, entourée de ses semblables, trans aux parcours chaotiques, écorchées mais pleines de vie et d’amour. C’est cette quête éperdue d’amour qui les lie toutes et ce besoin d’être vues et reconnues pour ce qu’elles sont.
Navigant entre la peinture la plus crue et ce réalisme magique que l’on rattache souvent à la littérature sud-américaine, Les Vilaines offre le portrait saisissant d’une communauté harcelée et méprisée qui lutte pour garder la tête haute et ne jamais renier sa vraie nature. Camila Sosa Villada, par petites touches d’étrangeté, intègre à son récit des personnages improbables (Encarna, âgée de cent soixante dix-huit ans, Maria, qui se transforme progressivement en oiseau ou Natali, la louve-garou) rappelant à quel point le « bizarre » et la magie sont indissociables et certains rites nécessaires à la survie. Pour ces êtres rejetés par la bonne société, l’étrange et l’occultisme sont une façon supplémentaire d’affirmer leur différence.
Court et intense, ce texte ne cache rien, et surtout pas le fossé dans lequel finissent bon nombre de trans après une vie fulgurante et cruelle. Si « être trans est une fête » est leur crédo, toute fête a une fin et la leur vient souvent trop tôt. Les Vilaines est un livre courageux et nécessaire et il n’est que justice que Camila Sosa Villada soit aujourd’hui reconnue dans son pays et ailleurs dans le monde comme auteure et actrice.
« Son truc, c’était de mendier de l’amour, cet horrible monstre. Au fond, il n’y avait que cette fièvre d’amour. »
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Les Vilaines, de Camila Sosa Villada
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Laure Alcoba
Éditions Métailié, Janvier 2021
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Image bandeau : Capture de la couverture du livre