Si vous pensez qu’un livre pour enfants, c’est un peu de texte et deux ou trois images mignonnes, passez votre chemin. Ou plutôt : restez. Et ouvrez les Livres des saisons de Rotraut Susanne Berner. En effet, il ne s’agit pas ici de lire une histoire, mais de s’y promener. Littéralement.
Bienvenue dans une petite ville sans nom mais pleine de vie, avec sa gare, son marché, son centre culturel, sa campagne et ses lampadaires qui changent de décor au fil des saisons. Pas un mot, pas une ligne de texte. Juste des doubles pages muettes et néanmoins bavardes.
Le principe ? C’est le même lieu, encore et encore, qui évolue au fil des saisons. L’arbre au centre de la place change de feuillage, la dame qui avait un ventre rond au printemps a désormais une poussette en hiver, le terrain en friche devient finalement une crèche et un garçon se prend de passion pour une oie (!).
Ces apparentes incongruités feront hurler de rire les enfants (que fait ce singe dans un sac à dos ?), mais l’on observe également les détails techniques (que fait ce clone du capitaine Haddock qui apparaît discrètement ?). Quelques lectures sont nécessaires pour repérer que le décor se poursuit exactement entre chaque page. Et que les personnages marchent très lentement, car une lecture attentive nous permet d’observer qu’un quart d’heure s’écoule entre chaque scène, intervalle de temps durant lequel ils ont parfois avancé d’une dizaine de mètres seulement.
Mais cette interprétation se fait à hauteur d’adultes et cette série s’adresse aux plus petits. Dès un an, il est possible d’y trouver son compte. Car il s’agit d’un livre à trous. Pas parce qu’il manque quelque chose mais, au contraire, car il y a de la place. De la place pour l’imagination, pour les silences entre deux pages, pour les allers-retours entre les tomes. On s’amuse à retrouver Ariane, Julien, Inès, Suzanne ou Pedro dans leurs péripéties au cours de la même histoire ou, mieux encore, au fil des saisons.
Le tour de force de Rotraut Susanne Berner, c’est donc de ne jamais regarder les enfants de haut. Ils sont pris au sérieux. Avec leurs capacités d’observation et leur imagination débordante. Ils deviennent les co-auteurs d’une histoire dont ils ne feront sans doute jamais le tour. Car aucune lecture ne ressemblera à la précédente. On peut par exemple comparer deux saisons différentes, suivre le parcours d’un personnage au cours du même livre, ou tout simplement s’adonner à une lecture plus contemplative. L’enfant (et les parents) peut choisir de consacrer cinq minutes à chaque page ou seulement cinq secondes. Ces livres rendent autonomes.

Les cinq principaux tomes de la série (les quatre saisons et la nuit d’été) ont une durée de vie importante pour des livres destinés aux enfants. Accessibles dès un an, ils pourront être relus avec un autre regard jusqu’à 5 ou 6 ans. Avec le même plaisir. Un plaisir que les adultes partageront. Car s’il y a bien une chose qui accompagne l’être humain au cours de sa vie, c’est sa volonté d’avoir une prise sur les histoires qui s’imposent à lui. Rotraut Susanne Berner, malgré des dessins que certains jugeront légèrement datés (mais d’une efficacité redoutable) apporte à toutes et tous l’opportunité de se faire le narrateur de l’histoire. Un excellent préambule à des aventures telles que Où est Charlie ?
Ce qui précède, certains parents ne le découvriront pas avec cette chronique. L’oeuvre de Rotraut Susanne Berner s’est déjà invitée dans les médiathèques communales et même chez les particuliers. Mais 2025 voit l’arrivée d’un nouveau titre, destiné cette fois à des enfants plus âgés qui, au lieu de découvrir leurs capacités d’observation, cherchent à s’accoutumer avec le langage et l’écriture.
L’imagier des saisons a donc vu le jour. Et c’est une belle réussite. Non seulement il compile l’ensemble des cinq livres originaux, mais en plus, il en offre une nouvelle lecture grâce à la série d’objets apparaissant au bas de chaque page. Si les livres originaux restent à privilégier pour les plus jeunes en raison de leur format et de la plus grande place laissée à l’imaginaire, l’imagier des saisons offre une seconde vie à cette série pour des enfants de quatre ans et plus qui auraient besoin d’être accompagnés dans leurs découvertes. Quel plaisir pour les maternelles de découvrir des détails à côté desquels ils étaient auparavant passés. Et quelle fierté de reconnaître certaines lettres sur des mots simples.
Prolongeant le plaisir et la réussite que constitue la série des livres des saisons, L’imagier des saisons s’imposera assurément comme l’un des must have de toutes les médiathèques de France et de Navarre. Ce qui ne dispensera pas les particuliers de l’acquérir.