[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]D[/mks_dropcap]is moi Kristin, pour quelles raisons voudrais-tu intégrer mon label ? Nannnnnnnn parce que là, quand je jette un oeil à ton CV, je me dis que c’est bien gentil tout ça mais … tes études de classique et ta pratique du piano pour un label orienté Black Metal, je tiens à te le préciser, c’est un tantinet incongru, tu ne trouves pas ? Et puis ton nom, tu crois pas que c’est un peu à la ramasse comme blaze ? Lingua Ignota, langue étrangère, et pourquoi pas litterae studiosus ?
Quoi ? T’en as rien foutre ? Nan mais attends là, tu tapes la discute avec le boss du label de Xasthur, Leviathan, Full Of Hell, Agalloch, pas des bluettes sentimentales à la Michael Bolton. On a une identité extrême tu vois ?!
Bon, même si tu m’as l’air d’être une branque, j’aime bien ton attitude. Laisse moi un lien, une cassette, enfin n’importe quoi, on ne sait jamais.
Quelques jours plus tard :
– Allo Kristin ? Ouais, c’est bon, tu n’as plus qu’à apposer ta signature en bas de la page et tu intègres l’équipe. Pour ton premier disque, je vais juste me permettre d’ajouter un morceau mais autrement on ne change rien. Et pour le prochain, tu nous prévois quoi ?
Un disque concept sur les violences conjugales ? Bahhhh … tu l’as pas déjà fait ça ? Et tu comptes l’appeler comment ? Rassure moi, pas Harvey Weinstein au moins ! Caligula ?! Ok, au moins, on sera sur que ça nous coûtera que dalle en frais d’avocat. Et pour le visuel tu as prévu quelque chose ? Ouais ?!! Ton auto-portrait avec de très légers hématomes ? Bonnnnnnn … bah, ok, c’est parti.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]près, à l’écoute de Caligula, il ne fait quasiment aucun doute que la place de Lingua Ignota au sein de Profund Lore se trouve tout à fait justifiée. Certes, contrairement à l’identité du label, vous ne trouverez pas de guitares, seulement des effets sonores évoquant le Harsh. Mais l’étendue des émotions présentes sur ce disque est certainement bien plus extrême que n’importe quel album de Leviathan ou Prurient. Si, comme chez les copains de label, la rage prédomine, elle n’est pas fantasmée ou sublimée par la musique mais ancrée dans un contexte très réaliste, en adéquation avec la musique : la violence faite aux femmes. Sauf que, dans le cas de Caligula, c’est un poil moins basique car le point de vue exposé reste très dérangeant : celui de Kristin Hayter se mettant dans l’esprit perturbé d’un pervers narcissique ainsi que dans celui de sa victime. Elle montre ainsi les mécanismes à l’œuvre (cruauté mentale, isolement, dévalorisation de soi), et comment le pervers en question s’engouffre dans les failles de sa victime pour accroître son emprise. Bien sur, on peut toujours y voir derrière une métaphore sociétale, l’emprise exercée par les différentes strates des hautes sphères (non, je vous rassure, vous n’êtes pas dans complots faciles pour briller en société) pour endoctriner/asservir les plus faibles. Mais bon, c’est un autre sujet …
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]T[/mks_dropcap]oujours est-il que, pour en revenir à Caligula, la musique est à l’unisson du propos : extrême. Extrême de par ses choix ainsi que le panel d’instruments utilisés. Déjà, comme je le disais au-dessus, pas de guitares (choix incongru en regard de l’identité de Profund Lore). Aussi, pour appuyer le propos et notamment sa véracité, Hayter va miser sur un instrument particulier : sa voix. Et autant le dire, ça impressionne. Pourquoi ? D’un, parce que la demoiselle a une tessiture lui permettant de descendre très bas dans les graves (pas loin d’un Nick Cave) et un chant d’action ayant une résonance particulière, renvoyant à l’aspect monstrueux, ogre, que pouvait avoir PJ Harvey sur To Bring You My Love. Et de deux parce que la voix, avec le traitement effectué par Sam McKinley, sera l’élément qui apportera une tension tout au long du disque.
Ensuite, concernant le choix des instruments, là encore, ça surprend. Grand orgue, piano, violon, violoncelle sont à l’honneur et autant le dire : l’anachronisme est quasi-total. Quasi parce que bon, dans tout ce classicisme, Hayter fera tout de même appel au percussionniste Ted Byrnes et au batteur Lee Buford pour ajouter une touche de modernité à l’ensemble. Néanmoins Caligula est un surprenant assemblage de musique actuelle extrême (parfois on touche au Harsh Noise), de néo-classicisme baroque, de polyphonies et de gothique façon Anna Von Hausswolff avec ce qu’il faut de talent pour amalgamer le tout et en faire un album unique.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]U[/mks_dropcap]nique mais pas au goût de tous. Clairement. Car Caligula va cliver. Grave. L’album peut tout autant passionner que provoquer l’ennui, impressionner comme être hautement risible. Parce que, comme chez David Tibet de Current 93, nous sommes là dans une représentation théâtrale. Mais pas une représentation baroque, baignée de folie douce non, plutôt un théâtre à la Patrice Chéreau, habité, furieux, violent, malsain, collant parfaitement à l’image de la personnalité de Caligula.
Maintenant, vous voilà prévenus : entrer dans l’univers de Lingua Ignota, c’est accepter de se faire bousculer parfois jusqu’au malaise, aimer se faire récurer les conduits auditifs à la toile émeri ou encore apprécier au-delà des limites acceptables la navigation en pleine tempête. Après, avec tous les éléments fournis ci-dessus, libre à chacun d’embarquer à bord du Caligula. Mais ce ne sera pas sans conséquences, qu’on se le dise.