27/12/2002 00H50
Carole en vacances, bonheur, douceur : Béa respire. Deux jours à peine travaillés, ralentis. En fait, en un sens, c’est pire. Si on a le temps de réfléchir, on réfléchit. Et si on réfléchit, on pense à ce que c’est de faire du féminin ; une rengaine, des articles lus mille fois, chez nous, ailleurs – la recette des truffes au chocolat à Noël, et le régime d’avant l’été. Peut-être la raison qui expliquerait que tout aille vite dans ce milieu.
J’ai à nouveau envie de me droguer, de me mettre à l’envers. Difficile d’envisager le nouvel an autrement.
29/12/2002
Je pouvais pas attendre les soldes, juste le french knicker Agent Provocateur. Rien que de me voir dedans, je mouille.
Pas de nouvelle de Goethe, (un gentil garçon donc, qui regagne la couche conjugale au moment de Noël). In Mum We Trust.
31/12/2002
Brand New Toy. Un joli petit film pour se mettre en bouche. Julia ne peut jouir que si elle a un de ses jouets en elle. Il peut y avoir tous les plus beaux sexes du voisinage, il lui faut son coup de vibro – son intimité, si l’on veut, sa part secrète. Film qui donne ses lettres de noblesses à l’amateur – je donnerais volontiers de moi pour passer un moment avec le soi-disant mari de Julia.
Aurélie passe me prendre dans deux heures. Un bain, et il sera temps. Une nouvelle année s’achevant dans la luxure et l’oubli de soi.
Comme il se doit.

01/01/2003 16H25
A l’école c’était toujours avec une attention particulière teintée d’étrangeté que je notais la date sur mes cahiers, en début d’année. J’imagine que c’est pareil pour tout le monde. Un mystère d’enfant, en fait la perception mal cernée du temps qui passe. Et, en filigrane, celle de notre propre mortalité.
Mon corps meurtri, et mon âme… Descente, descente, attendre la fin.
02/01/2003
Sainte Carole, merci de nous avoir accordé le repos de cette fin de semaine.
Mal aux muscles, tout le corps, comme si j’avais rebondi d’un rail d’autoroute à l’autre la nuit durant.
Par où, par quel excès commencer ?
Je suis repue, et vannée, malgré une nuit de treize heures. A peine puis-je taper sur mon clavier.
Aurélie arrive en retard d’une bonne heure selon son habitude. Pour se faire pardonner, elle paye deux traits d’une excellente coke dont elle me cède un demi. L’ai-je dit, j’adore cette fille, pleine de ressources, elle ira loin, nous devons tous croire en elle.
Nous prenons par pont de Saint-Cloud, direction la Normandie. Aurélie conduit sa Smart comme elle parle, sautant d’une file à l’autre sans se soucier de son environnement. Elle raconte la soirée dans un bar privé où elle a rencontré Lola, dite Queen Lol, organisatrice de la fête de ce soir. J’ai déjà entendu l’histoire une demi-douzaine de fois mais je la laisse parler (j’y viendrai en son heure). La coke est excellente, nous roulons vers le bout du monde.
On arrive à peine avant minuit dans une maison pas immense mais mignonne, pierre de taille, au milieu des bois. Une vingtaine de voitures, plutôt haut de gamme, à côté desquelles la Smart d’Aurélie a des airs d’insecte. Les douze coups sonnent comme nous nous repoudrons le nez dans une salle de bain à l’ancienne – baignoire à pieds, miroir biseauté, robinetterie d’un autre siècle.
Toute la maison est éclairée à la bougie, des ombres gigantesques dansent sur les murs et c’est comme si la douceur de la lumière déteignait sur le son, feutré malgré le nombre de participants. Queen Lol est une grande fille très maigre qui fait penser à Morticia dans la famille Addams : le même teint pale et les cheveux également raides et noirs. Elle porte une robe longue qu’au premier regard on pourrait croire en lamé, mais s’avère totalement transparente. Dans chaque pièce, une cheminée, des convives qui plaisantent autour d’un buffet, une musique entraînante sur laquelle se trémoussent quelques-uns. Bref, un réveillon qui aurait presque l’air normal.
Sur les coups d’une heure, une jolie blonde entame un strip-tease, seule au milieu de la pièce où nous nous trouvons, moi et une demi-douzaine d’autres. Elle a l’air totalement partie. Enfin les choses se précisent. Le spectacle suspend la conversation mortellement ennuyeuse que j’ai avec un DRH et un chargé d’affaire. Le premier écarquille de grands yeux en sirotant son verre, l’autre me glisse ses commentaires à l’oreille – qui sont beaucoup plus passionnants que tout ce qu’il a pu dire auparavant. On en vient à se trémousser de concert, l’ambiance est chaude autour de la fille, surtout qu’une autre l’a rejointe, elles sont toutes les deux à moitié nue et se caressent dans la lumière du feu de cheminée. Mon cadre bande et à ce que je peux en sentir, il serait dommage qu’il jette la poudre aux moineaux. Il m’entraîne sur un canapé dans une entre-pièce. Nous sommes dans le noir, à peine éclairés par la lumière des deux pièces à gauche et à droite. Le passage perpétuel m’excite, les mots ne sont plus d’actualité. Je n’ose pourtant pas aller trop loin et c’est mon partenaire qui sort sa queue et m’invite à la sucer. Je suis bientôt entre ses jambes tandis qu’il m’encourage en me caressant les seins que j’ai terriblement durs. Je voudrais qu’il me les broie. Un autre homme s’est assis à côté de mon partenaire et spontanément, je libère sa queue tout en continuant de sucer l’autre.
Un bon shoot de baise et de pénétrations, de caresses et de foutre.

Plus tard, Aurélie me roule une pelle comme je m’empale sur mon chargé d’affaire et quand sa langue se retire de ma bouche, je suçote un cachet. « X », chuinte-t-elle en faisant traîner la syllabe. Elle est déjà vrillée.
Plus tard encore, je suis assise sur les genoux d’un homme qui me caresse les seins machinalement en fumant. Au centre de la pièce, sur un épais tapis, trois femmes dont la maîtresse de maison, se gougnottent lascivement. Nous ne sommes plus nombreux. La plupart sont partis ou dorment. Ça sent le foutre le tabac et la sueur. J’ai très envie de rejoindre ces filles.
J’ai fait envoyer une trentaine de roses à Queen Lol. Happy new year, chère amie. Un seul vœux pour 2003 : que le foutre coule à flot.
04/01/2003
Déjà le parfum de luxure s’éloigne, comme un rêve dont les images filent au petit matin.
Goethe me propose un rendez-vous pour « bien commencer l’année ». Baltringue ! Tu crois que je t’ai attendu ?
https://www.youtube.com/watch?v=EOXlJfJ-OgA
06/01/2003
Premier jour de bouclage. Au ralenti. Échange de regards avec Aurélie, elle est dans le même état que moi : incapable de reprendre le train de la réalité, le rythme de la vie quotidienne. Y a dû y avoir du grabuge entre elles, si j’en juge à la tête de Carole, ce matin, en conf. Le minimum, aboyé après un minimum de vœux. Et pas un regard pour Aurélie. Si elle savait, la Carole… (mais peut-être qu’elle sait, justement).
Hier, déjeuner avec maman et Pierre. Pierre est endurant. En plus du jet-lag de son boulot, il trouve encore du temps pour aller avec maman à des émissions de radio et de télé, des one-man-show, et des spectacles de Hossein, ou quoi que ce soit qui puisse l’occuper. En fait, il l’encourage à s’occuper. Peut-être a-t-il compris que si elle glissait dans l’oisiveté, il trinquerait encore plus.
Chloé, verre post-dîner au Buddha – ce qui me permet d’éviter de bouffer des algues (même les sushis, elle ne veut plus en entendre parler). Elle pose une enveloppe sur la table, montre d’un regard les toilettes. Un petit trait vite tapé, et bienvenu : je n’avais pas envie de voir Chloé ce soir, pas envie de subir son débit, ses coq à l’âne, ses anecdotes haute sphère. Elle ne peut pas créer de poste en rédaction pour le moment, mais je pourrais commencer à piger, disons, au printemps. « Bon, sous un pseudo, tu comprends, je ne veux pas d’ennuis avec Carole. » Je comprends. « Et, disons, à la rentrée, tu t’installes dans ton nouveau bureau, à trois portes de moi. » D’accord Chloé. « T’es pas superenthousiaste pour une futur rédactrice de Fashion. » Ça fait combien de temps que tu me dis que tu vas me faire bosser ?
Bon, d’accord, je ne suis pas superenthousiaste. A tout le moins, je pourrais y mettre un peu du mien. Ne serait-ce que pour les 5 % de chances que ça arrive.
(Aller 10 %).
Un joli chauffeur de taxi, pas plus de vingt-cinq ans, conduite souple, musique soft, pas un mot de trop.
07/01/2003 1H37
I dreamt a dream! What can it mean? /And that I was a maiden Queen / Guarded by an Angel mild / Witless woe was ne’er beguiled!
/ And I wept both night and day, /And he wiped my tears away; /And I wept both day and night,/ And hid from him my heart’s delight./ So he took his wings, and fled;/ Then the morn blushed rosy red./ I dried my tears, and armed my fears/ With ten-thousand shields and spears./ Soon my Angel came again;/ I was armed, he came in vain;/ For the time of youth was fled,/ And grey hairs were on my head.
William Blake The Angel
Miss you Lex.

08/01/2003
00H45
Nouvelle pèche en nocturne au Louvre, galerie Richelieu, « Peinture et arts graphiques, écoles du Nord ». Tout ce que je déteste. Ce qui me laisse le loisir pour m’appesantir sur les hommes seuls. Bonne heure : pas de classes braillardes, de profs s’étalant comme de la mauvaise confiture. Juste des individus, des couples aussi (on ne coupe pas à ce genre de phénomène). Et là, errant, s’arrêtant, revenant en arrière, d’une salle à l’autre – au point que nous nous sommes même percutés sans que j’y sois réellement pour quelque chose, Carl, Américain à Paris, subjugué par à peu près tout ce qu’il voit (y compris moi, ça tombait bien), en mal de bavardage (ça tombait mal, mais il y a longtemps que je sais qu’il y a toujours un prix à payer), chercheur en science artificielle (sorry I don’t understand).
Le problème, particulièrement avec les Américains, et particulièrement au Louvre qui draine un public moyen (j’entends par là, qui a reçu son lot de lieux communs sur la France, l’art et donc, les Françaises), c’est qu’il faut en passer par les traditionnels clichés romantiques, ne pas trop bousculer les choses au risque de passer pour une professionnelle. Je me suis donc fait désirer jusqu’à la galerie Denon et l’école française (beaucoup plus intéressante).
Moyennement, donc, ce qui l’a convaincu, c’est quand on s’est assis devant Le Bain turc, de Ingres, et ses langoureuses baigneuses nues suintant un érotisme à portée de doigt, fleurant les parfums de corps chauds et les fragrances exotiques. Je l’ai vu troublé, mon gentil Américain, et j’en ai profité pour jouer un coup bas. Appuyée sur mes mains posées derrière mon cul, feignant une extase, moi aussi, intellectuelle, je m’étais arrangée pour que ma jupe remonte juste au-dessus de mes bas de laine.
Il a vu. Je le sais parce qu’après rien n’a plus été pareil.
Il était pressé, il fallait sortir. Puis le musée allait fermer, anyway.
Je l’ai pris par le bras, en bons camarades, a drink ? Yes, why not. Et, coup de chance, son hôtel était à deux pas. Alors qu’il s’engageait vers le bar, je lui ai susurré que nous pourrions simplement faire monter une bouteille dans sa chambre.
Avec ce genre de types, il faut avoir son temps. Je l’avais.
J’ai continué à l’exciter dans l’ascenseur, me frottant à lui de la plus pute des façons. Il bandait à déchirer son fute.
A peine la porte de sa chambre fermée, je lui ai dit que c’était son jour de chance, et, à genoux, j’ai pas attendu qu’il allume la lumière pour lui tailler une pipe. Je savais que j’avais quelques minutes avant l’arrivée du room-service et tout s’est passé comme il faut. Carl a cessé de dire No, il a gémi, bafouillé des yes, go on et il avait déjà tout lâché quand le garçon d’étage a frappé.
On pouvait boire notre drink tranquilles et se préparer aux choses sérieuses.
Je l’ai laissé parler de, je ne sais plus – une ancienne petite amie, une carriériste, trop pressée, rien de très original. Le champagne était bon, je me suis fait un petit joint pour me calmer, ce qui l’a d’abord ulcéré, mais merde, après tout j’étais dans mon pays, je connaissais les us et coutumes. Très vite, ça lui est revenu. Peut-être parce que j’avais dégrafé le premier bouton de mon chemisier, et qu’un de mes bas était un peu descendu.
Il s’est tu, et je suis venue coller ma chatte à son visage et il a glissé ses mains sous ma jupe en me traitant de hum… je ne le dirais pas – j’aime trop ce genre de mots doux en anglais. Il semblait soudain plus à l’aise. Explorant ma culotte d’une main, il me caressait les seins de l’autre. J’aime bien les Américains pour ça. Une fois décoincé, on peut faire de grandes choses avec eux. Bon, on ne s’est pas éternisé non plus, je ne vais pas dire que c’était le coup du siècle. Plutôt comme un petit trait d’héro en descente d’exta – ce qu’il m’aurait fallu après la soirée du nouvel an.
Je crois que je vais bien dormir.
09/01/2003 21H50
Nouvelle relance de Goethe, qui en perd son latin, pauvre chéri. Faudra voir.
Aurélie me propose un plan exta. Il ne faut pas. Son sexe-test n’est pas passé finalement.
Béa dit que Carole reste au bureau jusqu’à des heures pas possibles. Elle y dormirait même depuis quelques jours. Et c’est vrai qu’elle a la tête de celle qui vient d’enterrer père et mère. Ça la fiche mal pour une rédactrice en chef de féminin. (Pas autant que le look bonne sœur recyclée – j’arrête d’enfoncer des portes ouvertes).
Au cinéma avec Audrey, ma copine qui bosse à Libé, Les Larmes du tigre noir. Ça la fait rire, ce genre de connerie kitch, et moi je ne suis pas contre.
Y a des fois, j’ai l’impression qu’Audrey attend la fin sans aucun espoir de rédemption. Elle n’est pourtant pas triste au quotidien : une fille qui se marre pour un rien, un rire franc, contagieux. Physiquement, elle a été servie de longues jambes de gazelle, et comme moi, elle ne craint pas de manger ou de boire, ne connaît ni le macro-bio ni les 17 500 régimes répertoriés dans le manuel de la parfaite pouffe. Mais derrière, loin derrière, comme sur une autre rive, tapi dans l’ombre de son naturel actif et bon enfant, se terre une tristesse immense, douloureuse. Et ça, les mecs ont une sorte de capteur ultra-sensible pour le détecter et s’en tenir à distance.
Je sais de quoi je parle.

10/01/2003 8H10
Thomas W, fantôme de ma nuit. Hier je l’ai juste croisé à la sortie de l’ascenseur. Et : son regard, ses blonds cheveux, son parfum (Eternity ?).
Je suis dans un hammam, avec Audrey, nous nous faisons masser par de grosses femmes asiatiques. Je raconte les dernières histoires du bureau. Quand je tourne la tête, Audrey est debout, yeux fermés en extase, la masseuse derrière elle lui broie les seins. Elle dit juste : « Enfin… » Je suis écoeurée. Pas vraiment par le spectacle, plutôt de ne jamais pouvoir parler à quelqu’un. Ma masseuse a disparu et on m’appelle au haut-parleur, je suis convoquée à l’entrée. Je n’ai qu’une minuscule serviette pour me couvrir. Quand j’arrive, Thomas W est derrière le guichet. Il me dit que je suis punie pour avoir trop parlé. J’ai très peur qu’on me renvoie. Au lieu de quoi, il me fait mettre à genoux, les avant-bras en appui sur un petit banc. Je pense qu’il va me couper la tête mais il me caresse les fesses longuement et j’ai très envie qu’il me pénètre. Il me laisse pourtant en plan pour annoncer que je suis irrécupérable.
10/01/2003 10H12
Thomas W, à la DRH, costume croisé froissé, pas rasé – dans le même état que moi ?
Ce soir, rdv avec Laure. Trop tard pour les exta d’Aurélie ?
11/01/2003 15H00
Que dire, que penser de ces rencontres douze ans plus tard. Laure et moi nous sommes quittées, nous avions dix-neuf ans. Disparue du jour au lendemain. Pas d’adresse, rien.
Laure est une femme, maintenant, comme je dois en être une. De fines rides naissent sous ses paupières inférieures, courent jusqu’à l’extérieur des yeux et finissent en un joli arc qui renforce son air triste. Nostalgique, plutôt.
Comme sa mère, Laure est partie avec le premier venu, lui a fait deux marmots qui ont aujourd’hui dix et huit ans. Les photos montrent deux têtes brunes bouclées comme leur mère, le regard vif. La plus jeune, presque aussi grande que son frère, prend déjà des pauses lascives. Le garçon a un air buté et provoquant qui ne le rend pas sympathique.
Laure a-t-elle senti ? Elle ne s’est pas appesantie sur le sujet, a sorti les photos pour illustrer sa situation – « son radeau », les a rangées aussitôt. Nous étions chez le petit italien de Saint-Michel, resto qui a bien entendu changé de propriétaire et n’a gardé de cette époque que le manque de lumière et les photos aux murs d’acteurs italiens. J’avais pris un quart d’X (inviter Aurélie à déjeuner), j’étais disponible, peut-être même bavarde. Je n’ai pas compris tout de suite dans quel état était Laure.
On dit « dépression », parce que cela qualifie un état pathologique sur lequel on peut interférer si l’on est bien entouré – thérapeute, famille, etc.
On dit « dépression » parce que les magazines comme Glitter donnent les étiquettes nécessaires à la discussion de surface.
On dit « dépression » parce qu’on est convaincu qu’en mettant des mots sur les choses, elles se rationalisent.
Laure a quitté son mari après avoir trouvé une collection de 347 (trois cent quarante-sept) culottes « sales », de tous gabarits, soigneusement rangées dans une malle aménagée à cet effet (« un habillage de velours, de petits compartiments »), chacune étiquetée d’un code qu’elle a refusé de décrypter – probablement note et date.
Pour reprendre le champ sémantique de Laure, je dirais plutôt « naufrage ».
Je quitte là. Je ne veux pas miner mon samedi soir.
12/02/2003 14H50
OK, j’ai dérogé, je suis entrée dans l’interdit, j’ai rappelé l’Américain.
Impossible de passer ce samedi soir seule.
Impossible de passer ce samedi soir avec un casse-machins. Le chargé d’affaires du nouvel an, il fallait que je sois super perchée. Le temps d’un verre et je vomirais.
J’aime bien les Américains, leur côté puritain. Et celui-ci, en plus, est scientifique. Il rougit pour un rien, ne sait plus, gauche comme un ado. Alors j’en rajoute. J’avais mis ma tenue achetée pour le réveillon – boxer rosé et caraco assorti, sans soutien-gorge, il va de soi – simple mais efficace. D’abord un verre au bar de son hôtel, et moi qui ai envie de faire la conversation comme d’avaler un sceau de flageolets. Alors je fais oui, oui (s’il y a une chose que je fais parfaitement, c’est oui, oui), et à chaque fois que je croise une jambe sur l’autre, sur ce tabouret de bar, ma jupe remonte un peu plus haut. Il met du temps, mais une fois harponné, il a du mal à se contenir. Et là, je pense : Peut-être que j’ai des a priori. Après tout, c’est le genre de mec qui ne m’emmerderait pas, je trouverais du travail dans un mag américain – ou ailleurs, la plupart du temps, il serait dans ses bouquins et il ne souffrirait pas de mes à-côtés. C’est la chaleur, je crois, et le deuxième Southern Comfort.
Nous marchons sur Rivoli, petites rues des Halles, je le flatte, il m’embrasse, je le caresse, la french touch, il bande illico, gémit. Nous reprenons notre balade, il dit que je dois venir le voir chez lui, qu’il me présentera à… Là je décroche. Il est temps de passer à autre chose avant que ça dégénère. Un couple compose un code, disparaît, je retiens la porte, je dis come with me. Veuillez vous essuyer les pieds, dit une plaque en émail. La porte se ferme derrière nous, le rire de la femme s’envole dans les étages. La langue de mon Américain fouille ma bouche, ses mains sous mes dessous. Je la lui sors, elle est dure, je n’ai pas le temps de la sucer, mon boxer à mes pieds, le cul à peine protégé par mon manteau du froid du mur, il a vite fait d’enfiler son bout de plastique, il me prend, grogne, il n’est plus timide, il me baise comme il n’a jamais baisé. Demain il pensera que je suis la femme de sa vie, qu’il doit me ramener dans ses bagages. Il dit : you bitch et je me mords les lèvres pour ne pas crier.
Je dis : Call me tomorrow, le temps qu’il se souvienne qu’il n’a pas mon numéro, je suis déjà dans un taxi.
18H43
347 culottes. Ça m’a fait redescendre en ligne droite.
Et moi, combien ça m’en ferait de slips et de caleçons.
J’ai eu envie de me vomir.
Ma première fois, j’avais 17 ans, et Laure a été ma seule et unique confidente. Elle m’en voulait un peu parce que j’avais passé le cap et pas elle. Ses parents la vissaient, elle était bien plus dévergondée que moi. Elle m’a vite rejointe, et dépassée. Elle s’envoyait en l’air avec les frères B. (21 et 23 ans), et bien sûr, un jour, ils lui ont demandé si ça me dirait pas de me joindre à eux. De là ont démarré nos aventures érotiques. Laure faisait le mur, et quand elle se faisait prendre, elle se retrouvait bouclée à la cave. De sorte que dès qu’elle voyait le jour, elle n’avait qu’une envie, en profiter. Pour autant, elle n’était pas idiote et faisait cela en dehors du lycée. C’était pas compliqué, il suffisait d’aller traîner dans les bars étudiants aux alentours de Sorbonne. Ou mieux, Jussieu. A cinq stations du bahut.
Bientôt on s’est retrouvées dans des fêtes pas possibles avec des drogues à gogo. On baisait tout ce qui nous passait par la tête, on était les reines.
Du jour au lendemain, Laure a disparu. Déménagé, m’a dit la concierge. Père muté en Italie. J’ai reçu une lettre, six mois plus tard. Elle y disait qu’elle avait rencontré une bande géniale, qu’elle envisageait de faire une école de cirque, elle voulait partir sur les routes. Elle m’invitait à une fête, ses parents retournaient pour une semaine en France et elle entendait profiter de la maison avec piscine pour « l’orgie of the year ».
Bien sûr j’y suis pas allée. Et bien sûr j’ai plus eu de nouvelles. Pas plus que j’en ai donné.
23H42
Pour la semaine à venir :
-
inviter Aurélie à déjeuner ;
-
parapharmacie (baume à lèvres, coton, démaquillant, capotes) ;
-
prendre rdv chez l’esthet ;
-
tél à Nico (le faire ce coup-ci) ;
-
Soldes : Thomas Pink, Esprit, La Perla et même Chantal Thomass.
14/01/2003
Chloé en interview sur Fashion TV : robe décolleté drapé noir (Moschino Cheapandchic?), bracelet Dior Ring, et toujours ce teint de revenante (malgré la tentative de miracle de la maquilleuse). Tendances de l’hiver à venir, etc. Nothing special.
Finalement, Aurélie me laisse entendre qu’elle a été avec Carole. Comme pour s’excuser : « Bon, pas longtemps, je te rassure. » Queen Lol, notre hôtesse du nouvel an, propose que nous passions dans son fameux bar, où Aurélie a fait sa connaissance. Elle m’a trouvé « délicieuse ».
Demain première étape de la traversée du désert annuelle en solitaire.
Demain, nous fêterons trois ans d’un célibat bien peuplé.
Et en plus j’ai la crève et mes règles.

15/01/2003 11h23
Trois ans que Lex m’a quittée.
Plus tard
Mon lit, sans réconfort pourtant.
Je sèche l’école. J’ai des soupes en brique plein le placard, du pétard plein les tiroirs, des DVD pour pas penser. Je n’y penserai pas.
I wish I had not got a cold, /The wind is big and wild, /I wish that I was very old,/ Not just a little child./ Somehow the day is very long/ Just keeping here, alone;/ I do not like the big wind’s song,/ He’s growling for a bone/ He’s like an awful dog we had/ Who used to creep around/ And snatch at things–he was so bad,/ With just that horrid sound./ I’m sitting up and nurse has made/ Me wear a woolly shawl;/ I wish I was not so afraid;/ It’s horrid to be small./ It really feels quite like a day/ Since I have had my tea;/ P’raps everybody’s gone away/ And just forgotten me./ And oh! I cannot go to sleep/ Although I am in bed./ The wind keeps going creepy-creep/ And waiting to be fed.
“A Day in Bed”, Katherine Mansfield
13H12
Le journal de JP Pernaut est un vrai cirage de pompes de vieux.
13h50
Qu’on me confie une rubrique, des piges, QUELQUE CHOSE, avant que j’égorge sur le champ toutes les redchefs de Paris.
17H02
Après-midi Ab’Fab et pétards. Enfin quelque chose qui tient la route. Voilà ma maîtresse à penser, je me prosterne devant vous O Patsy. Consommation effrénée, absence de conscience blond platine, smoke, smoke, smoke, men, men, men, drugs, drugs, drugs. Darling.
Sûr que si Lex voulait la sacro-sainte trilogie « môme, baraque, et BBQ dans le jardin », il lui fallait quelqu’un d’autre.
20H50
Troisième grog, j’ai chaud à la tête. Dans le miroir, mes oreilles ne dérougissent pas.
Des miroirs que je n’ai pas pris la peine de couvrir comme une provocation à moi-même. Je le regrette.
Goethe a pris le parti de faire comme si je ne lui restais pas muette :
> Mes insomnies me ramènent invariablement à vous, 8puss, à votre corps fantasmé, que j’effleure du bout des doigts pour le faire trembler de désir, en attendant de sentir le parfum de votre miel.
> Mon sexe dans une main, je vous devine de tous mes sens, je vous appelle pour vous >soumettre et enfin jouir de vous.
16/01/2003
Carole est aussi garce que grosse, elle finira aigrie abandonnée débordant d’un fauteuil roulant que nul ne voudra pousser. Aujourd’hui, elle s’en est prise à la stagiaire qu’elle a traînée plus bas que terre en conf, alors même que Samuel, le directeur de la rédaction, nous faisait l’honneur de sa présence. Lui s’en fout certainement, mais la gamine a bien dû rester aux toilettes à sangloter pendant au moins une heure. Je lui ai envoyé Aurélie ; elles ont sensiblement le même âge. Elles ne revenaient pas. Aurélie n’était-elle pas en train d’user de ce genre d’arguments, disons plus intimes, que je lui connais ? Ça a fini par tellement me prendre la tête que je suis sortie déjeuner plus tôt.
Thomas W et son regard en hameçon pour trentenaires célibataires, une chemise légèrement ouverte laissant voir les trois poils du haut de son torse. Je les lui aurais bien épilé du bout des lèvres.
Quoi faire ?
-
organiser un partenariat temporaire entre AbMen et Glitter, un événement, pour nous permettre de bosser ensemble (1er solution, classique) ;
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Method Press met en place une tombola annuelle des célibataires pour l’ensemble de ses salariés (pas loin de 1500, pigistes compris) ; je soudoie les organisateurs, au pire, je leur fais don temporairement de mon corps pour qu’ils truquent les résultats (2e solution, mais on sait tous qu’on ne peut pas compter sur son employeur) ;
-
Je feins l’évanouissement juste devant son bureau, en m’arrangeant pour 1) cogner à sa porte en tombant et 2) que ma jupette remonte innocemment haut.
(3e solution, la plus envisageable ?)
Un taxi bavard qui commente les infos d’Europe « numéro un ». Applaudissant à l’idée du Medef de monter l’âge de la retraite à soixante-cinq ans, tout en se plaignant du nombre d’heures insensé qu’il passe dans sa bagnole. Bosser jusqu’à soixante-cinq ans pour payer sa retraite, soit ; encore faudrait-il qu’il y en ait, du boulot.
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« Louna : sexe, vices et versa » est un texte de l’écrivaine et journaliste Agnès Peureu écrit en 2005.
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