[dropcap]Q[/dropcap]ue les choses soient claires entre nous. Je ne vous ferai pas l’affront de vous parler de rock féminin, de tenter des comparaisons hasardeuses entre des soi-disant « consœurs » et de glisser quelques remarques perdues entre les qualificatifs jolie et belle sur le physique ou les talents vocaux de l’interprète.
Pas plus qu’il n’existe de peinture, de roman, de jazz féminin, le rock féminin reste une invention de quelques messieurs qui, même s’ils souhaitent saluer l’audace de filles qui s’attellent au rock (ce qui est bien trop rare, reconnaissons-le), les cataloguent finalement dans un genre à part que l’on qualifierait même de sous-genre. Peut-être même que la fille ne connaît pas ses soi-disant consœurs et est plus influencée par ses confrères.
Bref, pour ma part, il n’y a pas à regarder ce qui se cache sous le pantalon pour écouter ou savourer une œuvre (quand on me dit qu’un disque est bandant, je me dis du coup que je ne suis pas concernée vu ce que m’a refilé Dame Nature). Alors ok, on connaît tous des interprètes ou des groupes de rock féministes, malheureusement essentiellement des filles, qui tentent de donner des coups de pied dans cette fourmilière virile, mais c’est un tout autre sujet que je ne traiterai pas ici.
[dropcap]C[/dropcap]e qui m’intéresse aujourd’hui, c’est le nouveau disque de Lucy Dacus. En 2016, l’artiste se faisait connaître avec son premier album No Burden et est alors considérée comme l’une des voix les plus prometteuses du rock, notamment avec le titre I Don’t Want To Be Funny Anymore qui confirmait ses talents naissants.
Réalisant qu’elle aurait un public considérablement élargi pour son deuxième album, Dacus a souhaité composer un album qui, pour elle, en valait la peine, longuement maturé au niveau de ses textes et de ses compositions. Historian confirme à la fois ses dires et nos attentes.
L’album s’ouvre sur Night Shift que l’artiste avait fait découvrir avec l’annonce de son nouvel album en décembre dernier. Le titre cinglant et puissant donne immédiatement le ton général du disque. Lucy Dacus ne va pas nous conter fleurette sur Historian mais nous causer des questions sérieuses de la vie. Ici, d’un ex qu’elle espère vite oublier, “In five years I hope the songs feel like covers / Dedicated to new lovers.”
D’autres personnages parcourent l’album. Il y a l’amie qui abandonne la vie qu’elles ont toujours connue pour en trouver le sens sur Nonbeliever, la grand-mère décédée de l’artiste sur l’émouvante Pillar of Truth, les personnes toxiques sur Addictions. Dacus se pose comme l’historienne de son environnement, conteuse des faits qui bousculent son existence et l’ensemble forme un disque intense où la légèreté n’a pas vraiment sa place et dans lequel l’auditeur se retrouve pleinement happé.
La force des thèmes trouve son écho dans une orchestration rock certes plutôt classique mais qui donne la part belle aux riffs de guitares (Timefighter) et aux cordes (Body to Flame), mettant en avant la voix chaude et puissante de la chanteuse qui éclate sur tout l’album. Pas de mièvrerie ampoulée ou de susurrements ici, le chant, comme poussé par un élan de clairvoyance sur la vie, est clair avec une pointe d’ironie désabusée.
Lucy Dacus considère Historian comme sa déclaration définitive en tant que compositrice et musicienne. »Tout ce qui suivra sera du bonus. » Espérons que l’avenir lui donne tort car Historian est un album profond et réussi et l’on en veut encore !
Historian de Lucy Dacus – Sorti le 2 mars chez Matador Records
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Lucy Dacus sera en concert le 27 avril à Paris (L’Espace B) et le 2 mai à Bruxelles (Botanique).