Si le sommeil vous fuit, si vous êtes insomniaque, ce n’est pas un livre pour vous car justement le sommeil n’existe plus dans l’univers de Kenneth Calhoun. Il a déserté les hommes. Presque tous les hommes. Seuls quelques humains parviennent encore à dormir.
Nouvelle version apocalyptique des zombies, Lune noire intéresse d’emblée par son thème original.
Avec Saramago, la fin du monde commençait par la perte de la vue dans L’aveuglement, pour Stona Fitch ce sont tous les sens dont quelques terroristes privaient un homme dans Aveuglé ou Sensless, titre original bien plus parlant. Ici la perte progressive du sommeil fait que l’humanité ne dérive pas d’un seul coup. Le manque de sommeil fait d’abord perdre aux gens l’expression : les mots se mélangent, jusqu’à en devenir poétiques parfois, puis c’est le physique qui lâche. La mort est au bout mais avant cela, les hommes ne supportent pas ceux qui dorment encore, obligés de se cacher, car pourchassés si surpris en train de dormir.
La violence arrive et trouve sa source dans la jalousie. Comment certains peuvent encore visiter Morphée quand la plupart est condamnée à errer chaque nuit de lune froide, noire ?
Calhoun évoque le destin tragique de plusieurs personnages : Biggs qui dort et qui essaye par tous les moyens de sauver sa femme qui elle ne dort plus, quelques scientifiques retranchés dans leurs laboratoires, tentant désespérément de trouver une solution, Lila ou encore Félicia partant à la recherche de leurs parents.
En ce sens, Lune noire est parfois un road movie terrifiant. Il faut absolument trouver des endroits sûrs pour se reposer, ne pas être vu par les autres humains qui eux, ont perdu toute faculté de dormir et sont ainsi enchaînés dans la souffrance, sortes de zombies encore vivants mais privés de parole intelligible, de réflexion, les yeux hagards.
C’est une lecture hallucinante, un cauchemar éveillé auquel nous convie Kenneth Calhoun.
Oserez-vous vous lancer dans une nuit sans sommeil ?
Lune noire de Kenneth Calhoun, traduit de l’anglais par Alain Defossé, Editions Actes sud, mars 2015