[mks_pullquote align= »left » width= »680″ size= »18″ bg_color= »#efd5ce » txt_color= »#000000″]Je suis le fils de Johnny Hallyday et du jambon Herta. J’ai été élevé à cela comme d’autres sont biberonnés à Bach et aux produits bio.
Mon père, piètre mélomane, ne jurait que par Radio Nostalgie tandis que ma mère, cuisinière lamentable, nous confectionnait les pires plats que l’on puisse imaginer. J’ai souvenir d’avoir interrogé une cantinière pour savoir comment elle parvenait à ce que son riz, délicieux, ne colle pas, au contraire de celui de ma mère qui était immangeable.
– Le cuisez-vous au four ?
– On le cuit à l’eau mon petit, comme tout le monde. Finis donc tes betteraves.
Je n’appris qu’au moment de quitter le cocon familial, quand on commence à cuire son riz soi-même, que la cuisson du riz nécessite un temps particulier et que celui-ci est indiqué sur le paquet. Je n’ai jamais voulu vexer ma mère en lui révélant le pot aux roses et elle mourra probablement sans savoir.
J’ai découvert la gastronomie en même temps que j’ai découvert le vin. Aujourd’hui je suis capable de reconnaître la juste cuisson d’un poisson, je m’applique à respecter la saisonnalité des produits, je maîtrise les AOC et je devine parfois à l’aveugle les vins que je déguste. Cette éducation au goût c’est mon ami Éric, puis Anthony, puis Julien, et aussi Dari qui me l’ont transmise. Nul besoin de relire « Le cru et le cuit » pour comprendre à quel point mon vocabulaire et ma présence au monde ont grandi grâce à ces personnes.
Si j’étais condamné à mort, ce qui ne devrait pas arriver à moins d’une sacrée déveine, j’essaierais de vivre le plus longtemps possible et, au moment de mon dernier repas, je demanderais des bulots-mayonnaise et une galette-saucisse, ainsi j’aurais dix ans, peut-être neuf.
Mon père rentrerait du supermarché et, pour faire plaisir à ma mère, il lui aurait pris 500 grammes de bulots. Il lui ferait une mayonnaise maison. Elle mangerait le tout et je la regarderais en me disant que c’est vraiment dégoûtant. Mais j’aurais de la joie partout dans le cœur.
Je suis breton. La galette saucisse, chez moi, est le plat des kermesses, celui des supporters de football et des retours de noce. Elle est une des raisons principales à l’élevage intensif de cochons dans notre région. À voir les algues vertes et la destruction de nos paysages il faut que ce plat soit excellent. Il l’est.
À la fête de l’école, l’amicale laïque a chargé un homme au ventre rond de s’occuper des saucisses, il porte un débardeur, il a des avant-bras d’étourdisseur de cochons. C’est ce qu’il est. Il a apporté tout le matériel nécessaire : un chauffe-eau coupé en deux en guise d’immense barbecue, des grilles épaisses et du bois bien sec. Du hêtre plutôt que du chêne. Il pose les saucisses sur les grilles. Quand elles sont cuites, il les réserve dans une grosse cocotte en fonte éloignée de la braise.
Je demande dix francs à mon père. Je les donne au monsieur qui saisit une des galettes. C’est une dame qui les a préparées dans son garage le matin-même, la pâte dans une grande bassine jaune pâle qu’elle a laissé reposer auparavant. Bien comme il faut. La dame est une spécialiste, elle en fait des milliers par an.
Le monsieur replie la galette sur la saucisse qui dépasse de deux centimètres. Je lui donne ma pièce, il me dit merci. Puis, je me régale. La galette est parfaite, en légère sous cuisson, juste un peu acide, mes doigts collent à la pâte. J’ai un peu de noir, celui du sarrasin, sur le haut de l’index.
Après, je vais voir le concours de boules. Ça joue fort. J’ai dix ans, peut-être neuf. Immortel. Libre dans ma tête. Comme Diego.
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Grégory Nicolas est auteur de Mathilde est revenue publié aux Editions Rue des Promenades (dont vous pouvez relire la chronique ici).
Il est aussi auteur de La Part de l’orage et Là où leurs mains se tiennent publié aux Editions Rue des Promenades.
Merci à lui de nous avoir offert ce texte.
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