[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#bf809f »]M[/mks_dropcap]ademoiselle a la mémoire qui flanche. Elle ne se souvient plus très bien.
Mademoiselle, c’est Catherine Delcour, une actrice adulée, qui vieillit avec « ses rôles, en attendant d’incarner Maude ». À 48 ans , elle est au zénith de sa carrière. Elle est la maîtresse d’un ministre, accessoirement marié, qui ne lui accorde, depuis des années, qu’une place subsidiaire.
Alors qu’elle s’apprête à recevoir la Légion d’Honneur, voici que dans sa tête, tout devient flou, un brouillard envahit son esprit, laissant de moins en moins de place à la réalité, floutant ses souvenirs, son présent, les visages de ses proches, les mots qu’elle ne trouve plus, laissant place à la résurgence de moments douloureux et de cicatrices encore à vif et jusque-là emportées par le flot d’une vie tumultueuse.
Pour ne rien perdre du présent, pour ne pas se perdre elle-même, Catherine note tout dans un carnet qui, après Mina, sa fidèle assistante, devient son meilleur allié.
Un carnet en cuir bleu nuit, souligné de surpiqûres orange avec une tranche dorée et une encoche où se loge un crayon à pointe rétractable. Un mémento aux dimensions parfaites, que je fourre dans mon sac ou dans ma poche, indispensable témoin de mon quotidien…. Les jours de la semaine s’entremêlent aux mois, aux années, pour me confondre. Je ressens quelque chose d’inhabituel encombrer mon esprit et s’acharner à me diminuer.
Le roman raconte quatre mois de la vie de Mademoiselle, quatre mois de la vie de Mina, les laissant toutes deux s’exprimer, poser leurs désarrois face à ce mal qui prend de l’ampleur jour après jour, de septembre jusqu’à la veille de Noël.
Mina, qui protège Catherine depuis 18 ans, l’enveloppant de toute sa tendresse, l’accompagne dans cette descente aux enfers d’Alzheimer, tout en donnant l’illusion que tout va bien, que ce n’est là que de la fatigue, que les égarements, les sautes d’humeur sont liées à un simple état de fatigue, car Mademoiselle doit demeurer, aux yeux de tous, la plus « normale » possible, dissimulant la gravité de son état, préservant cet éclat qui ne ressurgit que de plus en plus rarement.
Si je pouvais, je retiendrais pour elle le temps qui file et je l’enfermerais avant qu’il ne nous détruise. Je lui donnerais mes souvenirs en remplacement des siens.
La justesse du ton de ce roman, l’émotion à fleur de page, tout comme à fleur de peau, emportent dès les premiers mots, pour ne pas lâcher le lecteur.
On ne peut dès lors, qu’être profondément touché par cette Mademoiselle, qui veut tirer elle-même le rideau final, avec l’élégance qui a toujours été la sienne.
On ne peut également que penser à tous ces anonymes qui glissent inexorablement vers le néant, quand la mémoire flanche. Et puis bien sûr, comment ne pas citer Madame Annie Girardot, qui fut elle-même victime de ce fléau ?
Avec pudeur et une touche d’humour par-ci, par-là, Pascale Lécosse signe un premier roman bouleversant et lumineux. L’écueil prévisible du pathos, des larmes faciles est évité par la justesse du ton, le style léger pour cacher la lourdeur de la souffrance. Un livre qui mérite d’être mis en avant, dans cette rentrée littéraire, fort riche en pépites, il est vrai !
Mademoiselle à la Folie de Pascale Lécosse
paru aux Éditions de la Martinière – Août 2017