[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]B[/mks_dropcap]arbara Carlotti signe des disques souvent passionnants auxquels il manque toutefois ce petit supplément d’âme qui font les chefs d’œuvre. Magnétique, son cinquième album, n’échappe pas à cette règle. Pourtant, on ne peut enlever à la dame l’ambition du propos ni surtout d’être parvenue à s’affranchir de cette image dans laquelle on tendait à la coller, celle d’une digne héritière d’une autre Barbara, la faute à une certaine proximité vocale. Car même si la comparaison entre les deux musiciennes était assez juste et plutôt élogieuse (à juste titre) pour la plus jeune, cela devrait aussi être assez paralysant car cela imposait certaines responsabilités à une artiste que l’on sent surtout désireuse de conserver une totale liberté.
Jusqu’à présent, le problème inhérent à chacun des disques de Barbara Carlotti est sans doute de courir tout le long d’un album après un concept, quitte à sembler un peu systématique et d’une froideur toute en distance. Paradoxalement toujours, c’est souvent passionnant tout en étant parfois abscons et hermétique. Pour être clair, comme Patrick Watson avec qui elle a d’ailleurs collaboré ou Agnes Obel, on sent en elle tout le potentiel de l’immense disque qui arrivera à coup sûr. D’où notre exigence proportionnelle à cette certitude-là. Pour l’instant, elle nous satisfait déjà de fulgurances et de somptueux moments.
Là, tout de suite, Barbara Carlotti se cherche de disque en disque, elle nous évoque d’ailleurs une disparue des radars, Enzo Enzo, qui comme elle mêlait variété de haute qualité et tentations arty. Barbara Carlotti en indécrassable stakhanoviste ne cesse de se confronter à d’autres médias artistiques, tels la BD, les arts plastiques, la radio avec Cosmic Fantaisie sur France Inter. On ne peut nier que la dame est curieuse et sait transposer sa passion d’un point de vue musical.
À quoi ressemble Magnétique ? Une fois encore à un concept… Celui de retranscrire le monde des rêves le temps de 12 titres. Pour entrer dans ce disque volontiers ésotérique, il faudra accepter de prendre des libertés avec la raison et la logique mais aussi laisser de coté la dimension narrative. Le concept, ici, c’est le rêve et la loi de la déraison.
« Les nuits de dérive ont trouvé un miroir
Les mots s’affichent sans discontinuer
Questions réponses en synergie diffuse
Le monde immatériel a pris le pas sur la réalité »
Le point de départ de Magnétique, l’écoute de Confessions Of Doctor Dream de l’ancien bassiste de Soft Machine, Kevin Ayers, la méthode de l’écrivain de SF A. E. Van Voght appliquée par la dame. Soit se sortir du sommeil paradoxal toutes les heures et demie et noter scrupuleusement les mots et les sensations ressenties de ce qui, petit à petit, constitue un tout global et hétérogène. Vient s’ajouter encore à la constitution de ce projet la rencontre avec le chercheur en neurologie Claude Delpuech qui lui propose des sons du cerveau qu’elle utilise dans le disque.
L’hermétisme a donc tout son sens dans Magnétique et va excellemment bien au teint de rose de Barbara Carlotti. Musicalement, elle recycle une pop référencée eighties parfois avec grâce (Voir Les Etoiles Tomber) parfois plus paresseusement (Paradise Beach) avec des rythmiques bossa nova. On pensera parfois au Florent Marchet de Bambi Galaxy pour ces synthés old school. Elle convoque Jacno avec son ami Bertrand Burgalat pour un échange épicurien et sensuel à rapprocher d’Arnaud Fleurent-Didier (Tout ce que tu touches). C’est quand elle délaisse la légèreté trop immédiate pour des climats plus inquiétants (Le mensonge) qu’elle trouve un juste équilibre entre lumières et trahison. On croit saisir quelques orchestrations presque cold wave quand il n’y a pas carrément des clins d’œil clairement appuyés aux Cure (poke Ivlo Cold) et autres Cocteau Twins (Plaisir ou agonie). Quel plaisir de retrouver la trompette, cet instrument si peu employé ces dernières années dans la pop d’ici. Sans doute que Rémy Poncet avec Chevalrex a su remettre au goût du jour ce bel outil un peu méprisé.
On aimerait la voir dans un registre plus acoustique (Tu peux dormir) qui mettrait sans doute en valeur sa voix versatile, un peu à l’image de ce que propose la délicieuse Pauline Drand. Malgré cette prudence face à Magnétique qui montre quelques limites, un disque aussi recherché prouve toute la force de notre scène française qui, des vétérans comme Alain Chamfort ou Françoise Hardy ou les plus jeunes comme Clara Luciani et Orso Jesenska continuent de chercher de nouveaux vocabulaires d’une langue riche.
Reste à Barbara Carlotti pour le prochain disque de dépasser la seule beauté du geste pour retranscrire les langueurs calmes des temps qui s’étirent le long d’une ligne claire. On l’en sait capable.
Faisons donc une boucle dans cette critique, bien plus bienveillante qu’elle n’y paraît, avec ces mots de l’autre Barbara, extrait d’ Il était un piano noir :
« La voix est le principal témoin de nos émotions, du premier cri jusqu’au dernier souffle qui demeure un son, jusqu’au silence si particulier qui règne après la mort.
Tant pis si la formule est un peu emphatique, mais je dirai volontiers: « La voix est la musique de l’âme« . »
Et si Barbara Carlotti nous chantait la musique de notre âme pour son sixième album ?