[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]I[/mks_dropcap]maginez la situation suivante : vous êtes finlandais, accroc au 70’s, au psyché, et plus encore au Krautrock, et vous tenez absolument à vous faire remarquer. Pour cela, et justifier votre addiction au kraut, vous avez une idée de génie : monter de toute pièce une biographie tout droit sortie de la caboche d’un André Breton en pleine montée d’acide.
Pour ce faire, vous faites remonter la création du groupe à 1970, en Allemagne.
Comme chacun sait, l’Allemagne est le berceau du kraut, et 1970 voit l’émergence de Can, Amon Düül II. C’est donc en 1970 que deux musiciens créent Hisko Detria. Suite au désistement de leur bassiste, ils recrutent, lors d’une jam sesssion, un Andreas Baader fraîchement évadé de prison. Bien évidemment, le groupe se sépare sans avoir enregistré quoi que ce soit quand Baader quitte Francfort. Cinq ans plus tard, les deux musiciens, légèrement frustrés d’avoir perdu leur bassiste dans les circonstances que l’on connaît, décident de remettre le couvert et font appel à deux nouvelles recrues : un bassiste (normal) ainsi qu’un batteur âgé de … 10 ans. Manque de bol pour Hisko, la mère se barre en France, emmenant avec elle son fils. 35 ans plus tard, en 2010, le fils, exilé en Finlande et âgé d’une quarantaine d’années bien tassées, décide, sur un coup de tête, de reformer Hisko Detria en recrutant de jeunes musiciens. Sept ans plus tard, le groupe sort enfin Mal Du Siècle, son premier véritable album.
C’est un beau roman, c’est une belle histoire qui permettra aux finlandais de se démarquer des autres formations et surtout justifier de façon éhontée ce quasi mimétisme avec la musique de Can.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]M[/mks_dropcap]aintenant, selon leur biographie officielle, à peine moins déconnante que celle du dessus, Hisko Detria se serait formé en 2010 avec le désir affiché d’être un « pastiche impitoyable » de Neu !, et cite pêle-mêle comme influences : le crust-punk, le grindcore, la science-fiction, Stockhausen et les chats.
En 2012, sort, en cd-r, leur première démo, Static Raw Power Kraut. Celle-ci reçoit un accueil positif et parvient, toujours selon leur biographie, à toucher un public de geek, générant des commentaires du style « j’ai l’impression de conduire une voiture » ou encore « ça sonne bien, mais rien ne se passe ».
Ensuite, parce que ce sont des feignasses, il aura fallu attendre quatre ans entre leur démo et la réalisation de leur premier album. Mal Du Siècle voit enfin le jour, avec des inspirations aussi diverses que Philip K. Dick ou Neon Genesis Evangelion, navigant dans les eaux troubles d’un kraut post-rock expérimental, ou encore d’un free-jazz du pauvre, ou de ce que vous voulez bien y entendre. Voilà pour leur biographie officielle.
Après, si on accepte le principe du second degré, du pastiche musical, des références à outrance, Mal Du Siècle s’avère être un excellent album. Ce n’était pourtant pas gagné avec Static Raw Power Kraut, bourré de références lui aussi (kraut, psyché, blues, citant le Floyd, Canned Heat dont ils reprennent On The Road Again), mais assez inégal dans l’ensemble ; souffrant de longueurs, d’un chant parfois approximatif, et surtout de dispersion à force de vouloir rendre hommage à toutes leurs influences.
Néanmoins, entre cette démo et la sortie de leur premier album, le groupe a eu le temps de resserrer son écriture, peaufiner ses références préférant en virer certaines afin de privilégier les plus évidentes (un an après la sortie de SRPK, sort une démo intitulée Damo, donnant une idée un peu plus précise de la direction que prendront les finlandais).
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]P[/mks_dropcap]our en revenir à Mal Du Siècle, on imagine tout à fait le staff avant la création du disque, entre deux lattes d’un six feuilles, et trois rasades de tord-boyaux :
– Hey les gars, si on faisait un disque à l’ancienne ?!!
– Un quoi ?? Ahhh ?! euhhh… ouais… pourquoi pas ! Mais t’appelles quoi disque à l’ancienne ?
– Ben tu sais, un truc à l’ancienne quoi !
– Ahhhhhhhhh… ouais, mais encore ?
– Ben… un truc où t’as pas de technologie de merde, et qui sonnera authentique. D’façons, après les années 70, qu’est ce qui y a eu comme bonne zique hein ? C’est simple : que dalle !!
– Ah ouais, carrément !!!
– Et puis tant qu’on y est, à cette époque, y avait pas de cds, donc not’ disque on le sortira qu’en vinyle !! Z’en dites quoi ????
– Trop bien. Reste plus qu’à trouver une maison de disque pour accepter le projet.
Connerie mise à part, le concept des finlandais se résume à peu de chose près à ça : on s’immerge dans le kraut en épluchant principalement la discographie de Can ainsi que celle de Neu ! ou Faust, idem avec le psyché américain, on prend nos instrus, on fait comme d’habitude, et on voit ce qu’il en sort.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]E[/mks_dropcap]t ce qu’il en sort, c’est Mal Du Siècle, album psyché qui pousse le mimétisme musical jusqu’au pastiche ; sauf qu’ici leur démarche est tellement empreinte de sincérité qu’on a du mal à y voir quoi que ce soit de malveillant.
Pas de cynisme ou autre arrière pensée négative, juste une bonne dose de second degré (faut quand même être gonflé ou bourré d’humour pour faire un disque entièrement pompé sur Can et appeler le morceau d’introduction Vitamin E) et un certain talent pour parvenir à capter l’essence de la musique psyché des deux côtés de l’Atlantique (on citera pêle-mêle : Can, de Soundtracks à Future Days, le Crazy Horse de Neil Young, Hendrix, Bowie, le space rock d’un Hawkwind, ainsi qu’une pointe de noise rock sur la fin de Vitamin E)
Après, pour l’originalité, faudra aller voir ailleurs car ce n’est pas le propos ici.
Nous sommes en 2017, et Hisko Detria, contrairement aux artistes pré-cités, n’invente rien, ne défriche rien non plus, et se contente seulement d’appliquer certaines recettes.
Mais ce qui fait la différence et les place au dessus de la mêlée, c’est le jusqu’au-boutisme assumé de leur démarche et surtout ce petit grain de folie, présent absolument partout. C’est la partie Aumgn (sans l’aspect effrayant, je vous rassure) qui se joint au 1983 d’Hendrix pour déstructurer la douce mélancolie de Bel Air sur Sugar Hills ; c’est ce morceau qui semble réglé comme du papier à musique, copie conforme de ce qu’on peut entendre sur un Ege Bamyasi, qui sape peu à peu sa structure rythmique, et part littéralement en vrille (Schlager Unter Staatsreich), ou encore la douceur d’un Buffalo Springfield qui se fait torpiller par l’ambient du Heroes de Bowie (Cul De Sac/Secret Sound), et même le noise rock qui s’invite à la fête.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]E[/mks_dropcap]n somme, pour apprécier à sa juste mesure Mal Du Siècle, il vous faudra accepter le postulat suivant : se dire que pour les finlandais, il y a eu un schisme temporel et musical vers la fin des 70’s au moment de l’émergence du punk, et qu’après cette époque, ça a été le blackout quasi-total.
Si vous acceptez cet état de fait, alors vous prendrez un pied monumental à l’écoute du nouvel album de Hisko Detria.
En quarante minutes vous ferez un voyage spatio-temporel de grande qualité dans la musique psyché américaine et allemande, garanti sans prise de tête car sans ambition démesurée, ni égo hypertrophié.
Bref, si vous avez besoin de décompresser entre deux grosses sorties (et ce n’est pas ce qui manque en ce 24 mars : Jesus & Mary Chain, Timber Timbre, Mount Eerie, Anjou), que vous n’avez pas envie de vous prendre la tête, Mal Du Siècle est le disque qu’il vous faut : C’est frais, barré, drôle et, musicalement, ça tient parfaitement la route.
Sorti le 24 mars en vinyl chez Svart Records et chez tous les disquaires équipés d’une Delorean de France et de Navarre.