– Tiens, Jism, on vient de recevoir un nouvel album, là. Un truc arty à tendance intello, sérieux comme un séminaire chez les mormons, avec des violoncelles dedans, des guitares quasi inexistantes, de la pseudo audace et un peu de poésie torturée. Prétentieux et chiant quoi. Comme c’est ton jour de chance c’est toi qui t’y colle.
– Euhhhhhhhh…….. vous pouvez pas filer ça à Beachboy ?
– Non, là à l’heure qu’il est, il vient de terminer sa quinzième chronique de la journée. Il vient de me dire qu’il est un peu sur les rotules c’te feignasse.
– …
– Ah oui, j’oubliais : en plus c’est français.
– Oh putain c’est quoi ? Le dernier Cantat ? On vient d’exhumer les derniers restes musicaux de Daniel Darc ??? C’est quoi que je me prépare à souffrir ?
Je dérisionne, je dérisionne mais il est clair qu’en temps normal, quand on me présente un disque de cette façon, je sors le crucifix, l’eau bénite, mon missel et pratique un exorcisme dans les règles de l’art. Parce que, quoi qu’on en dise, Corpo Inferno réunit, de mon point de vue, toutes les tares présentées précédemment. En un mot comme en cent, je zappe derechef.
Sauf ici.
Car, dans le cas présent, c’est de Mansfield. TYA qu’il s’agit. Le duo Nantais, composé de Julia Lanöe et Carla Pallone, s’était fait remarqué en 2009 par un Seules Au Bout De 23 Secondes singulier et excellent.
Pour d’autres. Parce que pour moi, à l’époque, comme disait le grand Jacques, ça m’en touchait une sans faire bouger l’autre.
La claque, c’est en 2011 que je l’ai reçue, grâce à Nyx. Avec ce concept album tortueux, noir et foutraque, les Nantaises m’ont littéralement sonné et laissé pantois. Au point que quatre ans plus tard, j’attendais leur nouvel album comme Smeagol cherchait son anneau. C’est vous dire l’état dans lequel j’étais quand j’ai appris, il y a quelques semaines, la sortie de Corpo Inferno, le 18 septembre prochain.
Rétablissons immédiatement les choses : Notre cher Jism a décidé de partir en vrille totale dans cette introduction et tout ce qui vient d’être dit est faux ! Toutes les tares !! Madre de Dios qu’est-ce qu’il ne faut pas lire ! C’est peu dire que ce premier album était excellent. Mansfield. TYA réinventait une pop esthétique, inventive et décalée !
(Lilie Del Sol*)
Par où commencer ? Par dire que Corpo Inferno confirme tous les espoirs placés en lui ? Bien évidemment.
Qu’il bénéficie de l’expérience de Julia au sein de Sexy Sushi ? Bien évidemment.
Que les Nantaises ont une personnalité hors du commun et transcendent leur matériau ? Banalités que tout cela.
La claque, on se la mange dès les premières secondes de Bleu Lagon en se disant simplement que tous les ingrédients sont présents pour faire un grand disque : inventivité, audace, folie, humour. En moins d’une minute l’affaire est pliée : violoncelle + voix + montée électroclash = formule imparable et irrésistible, tube assuré et addiction immédiate. Ensuite, BB enfonce le clou direct avec une version anxiogène de Sexy Sushi : une ambiance malsaine, métallique dans ses sonorités, toute en ruptures de ton assez vertigineuses, de volte-face, déstabilisant dans sa progression et étonnamment fluide dans ses mélodies. Le genre de morceau, tout en violence à peine larvée, dont on ne sait quoi penser et vers lequel on revient, de plus en plus dépendant à chaque écoute. Après ces deux coups de massue, vient le temps d’alléger le propos grâce à Gilbert De Clerc, petite pause épurée en forme de comptine avec de charmants pizzicati et des paroles semblant s’inspirer des échanges épistolaires entre les poilus et leurs compagnes.
Bleu Lagon est clairement une entrée totalement addictive et je te rejoins largement sur BB. Par contre, je reviendrai sur Gilbert de Clerc qui est, pour moi, un des plus beaux morceaux de cet album. J’y vois là non pas une simple comptine mais au contraire encore une fois Mansfield. TYA joue avec cette mélodie légère pour appuyer ce propos (que l’on retrouve avec l’avant dernier titre Le Dictionnaire Larousse) : les mots ont du sens, utilisons-les, couchons-les à nouveau sur le papier, communiquons grâce à eux, ne les oublions pas, ne les massacrons pas. Ecrivons-les pour en retrouver leur saveur…
(L*)
Puis on repart vers une atmosphère plus étrange, par moment nébuleuse. Plus loin on s’enfonce dans la gravité (Sodome et Gomorrhe), plus loin encore, vers l’étrangeté et l’expérimental où le duo touche du doigt Lynch (Les Contemplations) et l’électro allemande des années 70.
Attends je t’arrête là. On touche du doigt Lynch avec un texte de Victor Hugo (extrait de « Je respire où tu palpites« ) orchestré par Mansfield. TYA ! Voilà, un beau résumé de l’oeuvre de M. TYA. Elles sont capables de vous plonger dans la poésie délicate et enivrante de Victor Hugo grâce à des images sonores totalement décalées, parfois violentes, hypnotiques et addictives.
(L*)
Puis…puis…puis…on se rend compte que plus on avance dans Corpo Inferno, plus les ambiances se contrastent, passant de la douceur la plus émouvante (le superbe Loup Noir, aux forts accents Blonde Redheadien) à l’électro la plus sauvage. La folie rôde partout, par moment furieuse (Palais Noir), parfois douce (Le Monde Du Silence), l’électro vintage (Fréquences pourrait très bien être une B.O d’un film des 70’s) côtoie l’électroclash (Palais Noir), l’absurde (Le Dictionnaire Larousse) se marie à la gravité (Sodome Et Gomorrhe), le classique (Les Contemplations) à quelque chose d’urbain (BB) dans un équilibre dont seul le duo possède les clefs.
Pour ma part, si je ne devais garder qu’un titre de cet album ce serait La Fin des Temps. Ce morceau m’a bouleversée au point que je l’ai écouté en boucle pendant trois jours. Parce qu’il exprime tout le poids de notre époque musicalement parlant, ce compte à rebours dans lequel nous sommes, cette attente, cette inertie et cette fin du monde dont on nous parle tant et dont finalement personne ne se préoccupe puisque rien ne change … alors … « on attend ».
(L*)
A vrai dire, plus encore que Nyx, Corpo Inferno se présente comme un dédale sans fonds, un labyrinthe qui ne demande qu’à être exploré maintes et maintes fois, jouant sur l’ambivalence musicale comme sémantique (on ne compte plus les oxymores dans les textes), d’une très grande audace. Le duo oscille constamment entre classicisme et modernisme, douceur et violence, beauté et laideur (certaines chansons frisent parfois le mauvais goût), l’instinct et l’intellect.
C’est exactement ça, Mansfield. TYA n’appartient à aucune « catégorie » ou « classe » bien au contraire. Elles sont « hors cadre », elles nous élèvent et nous permettent de regarder la vie à travers leur prisme. Leur musique composée d’impudence et de talent est un exutoire pour tout être un temps soi peu sensible et attentif.
Allez je te laisse conclure mon cher Jism.
(L*)
Corpo Inferno est un album savant, référencé (citant en vrac Hugo, Schubert avec La Jeune Fille Et La Mort, la mythologie, Proust) et populaire (Le Monde Du Silence), d’une rare exigence, s’adressant autant à l’encéphale qu’aux tripes. Au premier abord on pourra trouver ça un poil psycho-rigide, pour ne pas dire prétentieux et donc chiant mais ce serait éclipser un ou deux éléments primordiaux : d’abord un humour pince-sans-rire capable de contrebalancer toute la psychorigidité évoquée précédemment (et placé de façon à reconsidérer presque entièrement Corpo Inferno) et surtout une spécificité propre aux Nantaises : le talent !
Car pour créer et surtout réussir une musique aussi personnelle, ambitieuse et au final abordable, pour pouvoir réussir à lier toutes ces contradictions en un tout parfaitement audible et passionnant, il en faut des pelletés entières. Combien de musiciens se prétendant arty ont pondu des œuvres pédantes et inaudibles suintant la vanité sous couvert d’audace, combien de groupes se sont essayés au concept-album en se vautrant lamentablement ? On ne compte plus les victimes.
En fin de compte, avec Corpo Inferno, les Nantaises réussissent l’exploit de sortir un second concept-album aussi passionnant que le précédent dans lequel, à bien y réfléchir, rien ne change vraiment. Elles ont acquis dès Seules Au Bout De 23 Secondes une personnalité à nulle autre pareille, créé une musique identifiable dès les premières mesures. De disques en disques elles creusent un sillon qui leur est propre, fait d’audace, de folie, de rigueur, affinent leur univers en ayant l’air de se foutre royalement de ce qui se passe autour d’elle d’un point de vue musical, préférant visiblement toute autre forme d’art. Et c’est ici tout ce qui fait la différence entre Mansfield. TYA et un groupe lambda : cette capacité à s’affranchir de tous les diktats, à être libre en somme.
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