[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]es 700 pages du deuxième ouvrage de Marisha Pessl peuvent sembler imposantes à première vue. Effectivement, elles vont vous occuper un bon moment mais vous donneront tellement de plaisir que finalement, elles sembleront presque trop peu.
Une jeune fille de 24 ans se suicide à New-York. Elle fait la première page des journaux car elle est – en plus d’être une pianiste virtuose à la retraite – la fille du célèbre cinéaste Stanislas Cordova.
Cet homme, auteur de nombreux films, a disparu de la circulation depuis des années, vivant reclus dans sa propriété du Peak (c’est du moins ce que pensent les journalistes). Le héros du livre, McGrath a vu sa carrière brisée par Cordova quand il a choisi de s’en prendre à lui sans preuves, sur la foi d’une simple coup de fil de dénonciation.
McGrath survit donc depuis quelques années avec cette disgrâce. Il pense avoir croisé la fille Cordova la nuit de son suicide, est certain qu’elle voulait lui faire passer un message et choisit donc de relancer son enquête sur le cinéaste. Il s’entoure au gré des rencontres de deux assistants formidables, aux motivations plutôt troubles. Ce trio mène ainsi une enquête dans les bas fonds, entre magie noire, sorcellerie, meurtres d’enfants, kidnapping, pacte avec le diable.
Le tour de force de Marisha Pessl dans cet Intérieur nuit (Night film, titre original) est de nous entraîner avec ses personnages dans une enquête qui rebondit sans cesse. On croit la solution proche, mais non, McGrath découvre une nouvelle piste. On pense tenir quelque chose de certain, mais non, Pessl s’amuse à démonter ses enquêteurs et à les emmener ailleurs.
Nous aussi, nous sommes ailleurs. Nous lisons un roman dans lequel l’auteur insère des pages web, des articles de journaux, des photos, des témoignages de gens ayant côtoyé Cordova. L’ensemble fait du lecteur une sorte d’enquêteur parallèle. De plus, les commentaires des films de Cordova par ses exégètes font également de nous des spectateurs de ces oeuvres fictives. Une virée de McGrath dans les décors des films de Cordova nous entraîne encore plus dans la mise en abyme choisie par l’auteur. Plaisir et répulsion à la fois tant l’univers de Cordova est glauque.
Formidable roman d’enquête, de dissimulation et d’angoisse, Intérieur nuit gagne son lecteur dès le premières pages et ne le lâche pas, jusqu’aux dernières lignes.
Intérieur nuit de Marisha Pessl, traduit de l’anglais (États-Unis) par Clément Baude, éditions Gallimard, collection du monde entier, août 2015