J’ai pour habitude de lire de la poésie, tout en ne saisissant pas tout à fait le sens, et à y prendre beaucoup de plaisir. Il y a ici, une question d’atmosphère, de ce qui se dégage des mots utilisés par le poète. Pour ce recueil regroupant des textes de F.J. Ossang couvrant une vingtaine d’années, sous le nom de Venezia Central (titre du premier texte du livre) ; il s’agit ici, pour moi d’une lecture passive et envahissante, malgré et par l’âpreté du style. Le style, que l’on pourrait attribuer à plusieurs influences dont le poète se réclame ou en est l’un des créateurs. Ces styles différents tournent autour du mouvement punk d’où vient F.J. Ossang qui fut parallèlement de son activité littéraire (d’avant garde, dans la revue Cée, avec Robert Cordier et Claude Pélieu dont on trouve ici un texte qui fait office de post-face au recueil) membre de groupes tel que DDP (De la Destruction Pure) puis, quand il rejoint Paris, de MKB-fraction provisoire.
Mais le poète, que j’ai découvert après, est aussi un cinéaste, atypique et iconoclaste. J’ai pu m’immiscer dans son univers par ses films commençant par le premier d’entre eux L’Affaire des Divisions Morituri (1984), après 2 courts métrages qui installaient déjà un style qui restera irrémédiablement insaisissable. Adepte des citations, par l’intrusion de cartons, citant les poètes de la beat génération, les situationnistes ou d’autres figures révolutionnaires, et d’une certaine abstraction et stylisation, F.J. Ossang reste un conteur. Il crée, surtout dans ces films, des histoires, des images.
Sa poésie peut devenir autant descriptive qu’introspective, mêlant paysage, onirique ou pas, a des réflexions qui peuvent paraître obscures, mais dégagent un leitmotiv, serait-ce une histoire de temps ? Le temps qui passe et qui rend obsolète toute forme de créations. « Même la musique tourne à vide / Et tous les mots qui font mal, n’agissent plus / On pense à la mort de l’art… Ennui ! » (Landscape et silence). Le temps donc, où l’art, l’histoire se meurt. Dans le premier texte, Venezia Central, Ossang fait le constat d’une nostalgie mortifère pour cette île qu’est Venise qui va disparaître avec son histoire, l’histoire de l’occident en déliquescence. Mais, au delà du temps, il y a la persistance de l’image. Ossang crée autant si ce n’est plus d’images qui s’imprègne dans nos mémoires qu’avec ses films. Il se tient sur cette espace du temps où l’image tend à disparaitre. Comme l’illustration qui orne la couverture du livre. Une image de Venise, jaunie par le temps et qui est grignotée sur un côté, prêt à disparaître.
Au delà du côté Punk et de l’influence beat génération de F.J. Ossang, on retrouve dans sa poésie, quand on souhaite donner un sens aux mots, une thématique qui résume la modernité de ces textes. L’effet du temps sur l’image, sur le paysage. Le temps qui rend obsolète, qui efface… et les mots qui retiennent. Au cœur de ce recueil, il y a un texte sur la disparition d’un des membres des Messageros Killers Boys, Olivier alias Pronto Rushtonsky qui s’est suicidé en 1991 à l’age de 26 ans. Plus qu’un mémorandum, il s’agit ici d’évoquer le thème de la disparition comme l’a fait également James Sacré dans l’un de ses textes dont je vous ai déjà parlé ici.
F.J. Ossang impose un style auquel on ne peut être insensible. Soit par le refus et la détestation systématique et un peu idiote de cette langue absconse, soit par l’acceptation de se laisser happer par un imaginaire ou plutôt un regard sur notre temps, sur la poésie et sur l’art en général.
Venezia central de F.J. Ossang édité chez Le Castor Astral.