[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]N[/mks_dropcap]ous avons tous en mémoire la galerie de portraits de nos anciens camarades d’école. Il y avait le caïd toujours prêt à montrer ses muscles plutôt que de faire fonctionner sa cervelle, le cancre assis près de la fenêtre et du radiateur, l’indécrottable fayot qui généralement devenait vite notre souffre-douleur préféré, le premier de la classe aussi doué qu’inintéressant, l’élève populaire qui brillait de sa superbe tel un paon dans une volière. Chacun était attaché à son rôle et il était bien difficile de changer de case une fois l’étiquette apposée telle une encre indélébile. A ceux-là, la destinée avait décidé de sceller le sort. C’était soit le bagne soit les lauriers. Dans cette promotion, il y avait tout de même cette majorité silencieuse, moins visible car moins bavarde. Des enfants qui passaient inaperçus car l’attention était exclusivement axée sur l’illustre, l’extravagant ou le plus subversif.
A l’écoute de la musique de Marissa Nadler et à la lueur de son parcours artistique, c’est à cet élève lambda que je pense. A lui, il aura fallu la patience et l’abnégation suffisantes pour sortir du lot. C’est par sa persévérance qu’il peut à présent savourer les louanges qui lui sont faites.
Je vous avais déjà parlé pour Addict Culture de July, précédent album qualifié par votre serviteur d’excursion tamisée. La pensionnaire du prestigieux label Bella Union y décantait onze titres d’une beauté fragile (voir l’article ICI)
L’américaine revient deux ans après avec son huitième album Strangers. L’occasion pour nous de replonger dans ce petit monde quintessencié. Là encore, onze titres pour un récit qui se déguste à la tombée de la nuit.
[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L'[/mks_dropcap]introduction est concise mais déjà ouvre le rideau avec ses notes de piano alertes auxquelles se mêle un chant vaporeux, teinté de légères réverbérations.
Avec Katie I Know, les guitares sibyllines prennent le relais pour une envoûtante recherche de rupture tranquille. Le flow glisse comme une brulure badine. La basse effectue de rondes remontées pour mieux se glisser dans les recoins d’une soul orchestrale.
L’album ose alors les arpèges soyeux, d’une perfection exquise pour le repos du guerrier. Les hauteurs sont maitrisées par un dédoublement vocal déchirant le ciel dans un songwriting perlé. La maitrise instrumentale permet le contraste entre les graves et les aigus, entre la lumière et le voile noir qui couvre le visage de notre amie (voir à ce titre l’intrigante photo magnétique qui fait office de pochette d’album)
Élément notable de la nouvelle production, l’envergure des arrangements est de taille sur les nappes infinies de Hungry Is The Ghost dont les riffs saccadés butent par étouffements répétés. C’est le sursaut d’une nuit torride qui progressivement se laisse emporter par un mouvement plus démonstratif. Le folk minimaliste est mis ici entre parenthèses pour laisser le songe à des horizons plus vastes. Le final explose alors sur un écran saturé des plus riches.
L’intention est transformée avec succès car si le coté obscur est toujours le référentiel inévitable, la noirceur qui enveloppe le décor semble apaisée. Une couleur dominante, passée et repassée sous diverses pigmentations afin de mieux retenir la musique qui en est l’essence. Avec ses berceuses rythmées par un refrain millimétré sur des ondes douces-amères, Marissa Nadler se fait alchimiste.
Le morceau qui donne son titre à l’album marque le retour à une vision de l’Amérique profonde avec ses champs de maïs et la pedal steel guitar pour compléter la bande son du folklore. Cette déchronologie permet de tenter la mise en parallèle auditive avec la siamoise et incontournable Lana Del Rey. Entre l’une et l’autre, il y a pourtant une divergence de ton. Lizzy du haut de son glam’ est bien ancrée dans la catégorie scolaire marquetée dans mon propos introductif. Il est sans doute ici le risque pour Marissa Nadler : passer pour une opportuniste alors qu’il convient de souligner que sa carrière a débuté en 2004 même si son relatif décollage de notoriété n’est que récent.
Il n’en demeure pas moins que si l’on occulte cet hypothétique talon d’Achille, le ravissement est absolu. Preuve accablante de l’attractivité automatique dans les airs de Janie In Love, tube de crème solaire en puissance qui par sa langueur chaleureuse met en exergue une inspiration dont les brillances s’accomplissent dans les contrastes d’un refrain brisant l’apparente monotonie de l’affaire.
A la suite, l’interprète retombe dans des aspirations plus profondes sans pour autant se perdre dans des méandres trop tendus. Les quelques redondances vocales sont alors compensées par des variations dans les harmonies. Diamant de taille, Shadow Show Diane s’habille de son simple apparat. Juste une voix et une guitare pour décupler la grâce. J’ai alors la sensation d’écouter un classique qui n’aurait pas pris une ride. J’entends le frottement, j’appréhende avec joie les cordes et la matière vivante qui résonne. Le plaisir immense dans la simplicité !
Nothing Feels The Same enchaine sur les accords d’un orgue vintage qui prend ses aises. Le crescendo dramaturgique est une esquisse venant affubler l’héroïne d’un caractère de femme fatale.
L’ultime complainte peut alors dévoiler ses bruissements épurés avant que la dead line ne laisse percevoir la dimension d’une conclusion encore remarquable. Juste avant, il y a ce dernier instant où les hyperboles vocales viennent se blottir tout contre vous. En pleine nuit, c’est tellement bon !
L’album hautement recommandable pour les nuits saturniennes est disponible depuis le 20 Mai 2016 chez votre disquaire préféré.
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