[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]rrivée de manière fracassante en janvier 2014 sur les tables des libraires avec son quatrième roman, La petite communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon a su très rapidement s’imposer comme une auteure qui compte dans le paysage littéraire français. Le livre s’est vendu à plus 100 000 exemplaires et a été traduit en 12 langues: on peut imaginer qu’il fut difficile de commencer l’écriture d’un nouveau projet sans un soupçon de pression et d’appréhension.
Lola Lafon revient donc en cette rentrée littéraire 2017 avec ce qu’elle aime faire le plus : s’inspirer de la réalité, enquêter, creuser et s’approprier les faits pour en construire une fiction.
L’affaire Patty Hearst commence le 4 février 1974 – soit quelques jours après la naissance de Lola Lafon. Cette fille de famille richissime, dont le père aurait inspiré le personnage principal de Citizen Kane à Orson Welles, est enlevée et détenue par un groupuscule d’extrême-gauche appelé l’ALS : l’Armée de Libération Symbionaise. Ses membres revendiquent le mélange des races et des classes et espèrent pouvoir négocier la libération de prisonniers en échange de celle de Patty. Stupeur et tremblements, l’inquiétude gagne la presse et la population américaine qui se demandent si cette histoire peut se terminer sans éclat de sang.
L’ALS publie rapidement un communiqué très menaçant, avant de proposer une alternative inédite : en vrais Robin des bois des années 70, ils demandent à la famille Hearst de nourrir les indigents de Californie, estimés à 1 900 000 personnes. Mais le plus surprenant arrive le 12 février 1974, quand l’ALS (ou SLA en version originale) envoie la première bande audio où Patricia s’exprime. Elle y dit :
Maman, papa, je vais bien. J’ai quelques égratignures mais ils les ont bien nettoyées, ça va. Personne ne m’affame, ne me bat ou ne me terrorise. […] J’aimerais qu’on arrête de me chercher, vous me mettez en danger et vous vous mettez en danger. Je suis avec une unité de combat munie d’armes automatiques. Ces gens ne sont pas une bande de cinglés […] je voudrais être libérée mais la SLA a été vraiment honnête avec moi et la seule façon d’y parvenir est de faire ce qu’ils veulent […]. Personne ne me force à faire cette bande, au fait. Je crois que vous devriez voir les choses comme je les vois, ne pas trop vous inquiéter.
Ainsi donc, 8 jours après son enlèvement, Patty semble chercher les meilleurs mots pour rassurer ses parents tout en leur demandant d’obéir aux ordres de ses ravisseurs. Mais son discours questionne : elle n’a pas l’air apeurée et demande explicitement qu’on arrête de la chercher. Elle semble comprendre les motivations du groupe, en ajoutant : « Je suis là parce que notre famille fait partie de la classe dominante, j’espère que vous comprenez ».
Les enregistrements suivants confirment cette impression : Patty, qui se fait désormais appelée Tania, est convaincue que son enlèvement est une chance pour elle. Elle épouse la cause, jusque dans ses actes les plus violents. Il n’est plus question d’être relâchée, elle fait partie du groupe.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]M[/mks_dropcap]ais résumer ainsi Mercy, Mary, Patty serait une erreur, car au-delà même de l’affaire Hearst qui sert de point de départ et de puissant lien entre les personnages, il y a l’histoire de Gene et Violaine. La professeure obsédée par l’affaire et une jeune étudiante recrutée en octobre 1975 pour dépiauter l’ensemble du dossier pour – qui sait ? – trouver un élément qui expliquerait le revirement soudain de Patty. L’a-t-on forcée à embrasser la cause révolutionnaire ? L’a-t-on droguée ? Convaincue de l’horreur de sa condition de fille de riche dans une société où tant de personnes n’ont rien ?
Gene est impitoyable, bordélique et dure. Violaine s’accroche, persuadée de tenir sa chance d’apprendre énormément auprès d’une femme brillante. Cette dernière va reprendre l’intégralité du dossier, dans l’ordre chronologique, et noter chaque détail et chaque mot qui la questionnent. Réécouter des bandes – avance, arrière/ play, rewind – pour comprendre qui est Patty et savoir si elle était aussi libre qu’elle le prétendait. Doucement, insidieusement, le virus de la recherche et de l’enquête s’installe en elle et reste ancré bien plus longtemps que Gene ne pouvait l’imaginer.
Celle qui se soumet à vos exigences, traduire, jeter, résumer, refaire, écouter, deviner, petite cobaye honorée de l’être. Celle qui consigne et relit chaque soir ces recommandations que vous lui faites, des sentences sibyllines « Il ne faut pas déserter les endroits inconfortables. Il faut s’y faire une place » ou « N’épargnez personne dans vos questionnements, surtout pas ceux qui vous offrent des solutions séduisantes ». Celle qui note chacune de vos humeurs comme s’il fallait ne pas oublier qu’un jour vous êtes passée par sa vie, cette chance, engagée dans une course enthousiasmante que vous ne soupçonnez guère, tant d’efforts pour rester à vos côtés, à votre hauteur. Votre assistante que vous éduquez pour sa plus grande joie.
Avec Mercy, Mary, Patty, l’auteure s’attache à ce moment décisif où toutes les croyances s’effondrent. Cet instant, ces mots et ces gestes qui s’impriment sur la rétine et font prendre immédiatement un virage. Car même si Patty Hearst a fini par rentrer chez elle et retrouver son milieu vernis, comme refermant une parenthèse irréelle dont seules les couvertures de journaux prouvent l’existence, cette expérience a marqué les États-Unis et montré que ces vies si lisses peuvent s’écrouler comme un château de cartes. En un coup de vent, en un claquement de doigts, par un simple souffle. Cette pulsation inattendue, rejetée par les plus sceptiques qui préfèrent crier au complot, a quelque chose de rassurant et fascinant que Lola Lafon a su dépeindre avec talent dans son nouveau roman.
Lola Lafon, Mercy, Mary, Patty
Publié chez Actes Sud, Août 2017.
Un ensemble de vidéos d’époque sur l’affaire Hearst :