Apprendre que Xavier Dolan présentait un nouveau film à Cannes en Mai dernier était déjà une grande émotion. Xavier Dolan est entré dans ma vie dès son premier film, J’ai Tué Ma Mère en 2009. Ce jour là il a transpercé mon cœur pour ne plus jamais en retirer la flèche.
Son second film, Les Amours Imaginaires, fut un des films les plus esthétiques de Dolan traitant de la complexité du rapport amoureux et du désir. Un film où les références musiques, costumes et photos pleuvent avec brio. Son talent de dialoguiste prend toute son ampleur tout autant que celui de réalisateur avec des plans séquence ralentis (chers au cœur du Réalisateur) et ces couleurs solaires si éblouissantes et émouvantes qu’elles vous éclaboussent des sourires dramatiques au visage.
Laurence Anyways, son troisième film, nous plonge dans la vie d’un transsexuel voulant s’assumer tel qu’il est quoi qu’il en coûte. Ce film est le premier dans lequel Xavier Dolan ne participe pas en tant qu’acteur (à part une petite apparition qui n’aura échappé à aucun admirateur de l’homme). Une fresque étonnante et bouleversante superbement incarnée par ses deux protagonistes : Suzanne Clément, la fidèle, et Melvil Poupaud que je n’aurais jamais cru capable de tenir un rôle d’une telle ampleur avec autant de conviction, de charisme et de sensibilité.
Ces trois premiers films ont été écrits, réalisés, mis en scène et montés par Xavier Dolan (il a aussi choisi les bandes originales ainsi que dessiné chaque costume). Sa quatrième réalisation est l’adaptation de la pièce de théâtre de Michel Marc Bouchard, Tom à la Ferme. Un film que l’on mettra à l’écart du reste de la filmographie de Dolan par sa noirceur et le genre thriller qui reste une exception jusqu’ici dans l’univers Dolanien. Et pourtant il excelle, encore, dans son jeu d’acteur (il grandit, renforce son jeu, le pousse à ses extrêmes jusqu’à s’y perdre et ne faire plus qu’un avec son rôle de Tom) ainsi qu’à la réalisation certes différente des précédents mais tout aussi talentueuse de par son authenticité.
Car Dolan est un réalisateur du réel. C’est probablement une des premières fois que vous lisez ce genre de remarque le concernant mais pourtant le jeune homme EST dans la réalité comme peu de cinéastes aujourd’hui. On se demande d’ailleurs parfois s’il n’a pas vécu plusieurs vies pour avoir la capacité d’exprimer avec un tel réalisme les interrogations humaines, les désastres de l’amour, le sentiment de colère irrépressible que nous avons tous pu ressentir. Il est courant de lui voir reprocher son esthétisme. Pourtant, il ne fait qu’aborder la vie, la vraie, mais là est son talent, il sait rendre la réalité de vies, sommes toutes banales, belles, lumineuses et bouleversantes. Qui ? Qui aujourd’hui atteint ce niveau de réalisme et de pureté ? Il sait rendre le laid beau, là est le talent d’un réalisateur d’exception.
Pour toutes ces raisons, comme vous l’aurez compris, chaque sortie d’un nouveau film de Dolan est un événement pour moi. Je sais que ces mots peuvent vous sembler fanatiques et démesurés mais il s’agit là de sensibilité uniquement car je pense très simplement que Dolan parle un langage qui me ressemble, me parle et me bouleverse.
L’arrivée du premier trailer de Mommy au moment du Festival de Cannes fut déjà une découverte bouleversante.
Vous me demanderez certainement pourquoi mais peut être n’avez vous pas ressenti ce que j’ai ressenti : la beauté de la musique, la banalité d’un ado sur son skate filmé avec élégance et volupté. Et puis l’explosion de cette violence, ce trop plein d’énergie, cette brutalité, cette quête de liberté. Oui, en 1min20 j’ai vu tout cela. Peut être parce que je connais le cinéma de Dolan ou tout simplement parce que ces images me parlent et qu’elles résonnent viscéralement en moi.
La seconde bande annonce a eu ma peau et mes larmes…
https://youtu.be/2VFUrRzys3E
On y découvre le pitch : un jeune homme, Steve (Antoine-Olivier Pilon), fils de Die (Anne Dorval), est exclu de son pensionnat spécialisé pour enfants hyperactifs, turbulents et violents. Die se retrouve avec son fils à la maison et a décidé de tenir tête aux sceptiques ! Le challenge est lancé, ils s’en sortiront. Die va demander de l’aide à sa nouvelle voisine, Kyla (Suzanne Clément), pour qu’elle lui fasse l’école à domicile. Malheureusement, dans la deuxième partie de la bande annonce on imagine très bien que tout n’ira pas comme sur les roulettes d’un skate malgré tout l’amour du monde !
La suite vous ne la verrez qu’en salle mais je vais malgré tout vous en parler.
*** Attention Spoilers ***
Dolan a grandi, c’est certain. Il a aujourd’hui 25 ans, c’est si peu mais une année en vaut 10 pour Xavier et de films en films il nous en offre la preuve éclatante. Mommy aborde des problématiques sociales actuelles, le chômage, la vie moyenne des petites gens, le regard et le jugement de l’autre, les préjugés (sujet récurrent chez lui). Au centre de ce périmètre se trouve Die et Steve qui ont décidé de se battre tous les deux malgré la mort du mari/père, malgré la maladie psychiatrique de Steve, malgré le chômage de Die. Ils font face au monde et vont le bouffer, le provoquer, le chahuter. Ah oui ils nous bousculent et vont aussi chahuter Kyla, la jeune voisine prof qui cache un drame, un drame suggéré mais jamais explicité.
La provocation première du film est probablement le langage, cru, violent, agressif, insultant pour Die et Steve et qui se transforme en bégaiement pour Kyla. Le trio va devoir s’adapter aux uns et aux autres. Le langage des corps est aussi criant. Le corps de Die est assumé autant que celui de Kyla est étriqué ou que celui de Steve est une pile branchée 24h sur 24 incontrôlable, ingérable. Allant jusqu’à déployer une violence envers celle qu’il aime plus que tout.
La seconde provocation de Dolan est le parti pris du format carré. Il choisit de centrer l’image sur ses personnages. C’est au spectateur d’entrer dans l’histoire, pas à l’histoire de les engloutir.
Le duo Die / Steve est la bouée de Kyla, Kyla est la bouée de Die et Steve et ils partent sur un radeau tentant de ne pas sombrer. C’est sur un titre de Céline Dion qu’ils nous feront pleurer de rire, de tristesse et d’angoisse à la fois. Oui ! Céline Dion !! Et puis il y a aussi cette scène surréaliste de Steve, sur son skate, se prenant pour Leonardo Le Roi du Monde sur Wonderwall d’Oasis qui reste un grand moment musical et un joli clin d’oeil cinématographique où Steve pousse l’écran pour le transformer quelques instants en 16/9ème avant de revenir au format carré du film. Du grand art !
La musique est là, en permanence, choisie minutieusement par Dolan. Il nous prouve à nouveau l’excellence de ses choix qui amplifient les bouffées d’amour et de tornades de violence par lesquelles nous sommes secoués. (Playlist des musiques du film en un clic).
Mommy ne serait rien sans les trois acteurs bouleversants que sont Anne Dorval, Suzanne Clément et Antoine-Olivier Pilon qui déploient un talent sidérant et inégalé pour incarner la violence des sentiments, l’humour décapant, la puissance émotionnelle parfois à la limite de l’insoutenable pour certaines scènes et la beauté hallucinante de chaque tableau. L’intensité et le sublime de ces femmes resteront à jamais gravés dans les mémoires de chaque spectateur. Dolan aime les femmes, aucun cinéaste, aujourd’hui, ne sait, à mon sens, aussi bien les mettre en valeur et leur donner la place qu’elles méritent. Anne et Suzanne le lui rendent bien par leurs prodigieuses prestations.
Rassurez-vous je ne vous raconterai pas la fin.
J’ajouterai simplement que Mommy est un film où l’amour et l’amitié vous explosent à la gueule et vous éclaboussent. Mes entrailles sont toujours nouées depuis mercredi dernier. Je suis encore avec eux, un peu, beaucoup, toujours … Merci.
Et merci à Eric pour ses conseils avisés.
O U I !!!!!!!!!!!!!!!!!!
jamais vu un film de ce mec…ça a l’air grave pour moi.
très bien ton article Lilie, il donne envie de découvrir. par contre pas lu les spoilers, des fois que je tombe sur le film un de ces jours.
@gringo-pimento Merci ! Mais fais moi plaisir : Regarde les films de Dolan. Tu passes à côté de quelque chose 😉
je rajoute quand même que j’ai un peu peur qu’il en fasse des tonnes au niveau du trouble hyperactif du gamin.
et comme j’en ai fréquenté quelques uns dans des écoles, de même que des petits autistes… il ne tombe pas dans la caricature? c’est un peu le risque selon moi
@gringo-pimento en fait ce n’est pas un film sur l’hyperactivité mais sur la vie de trois personnages avec les paramètres qui les entourent.
franchement seb j’ai trouvé que parfois il n’en faisait pas assez … je trouve qu’il se calme très vite par exemple
Jamais vu un film de Dolan, mais ce petit article suffit à m’en donner envie (j’avais déjà ça dans un coin de la tête, mais ton article et les bandes annonces me poussent à voir ce Mommy).
Toute la filmographie de Dolan est à voir elnorton ; )
Grande classe ta critique, Lilie !
Et pour rejoindre les autres remarques, l’hyperactivité n’est effectivement pas le sujet principal. Comme le dit Lilie dans son titre, c’est avant tout un film sur la cohabitation amoureuse, amicale et filiale. Tourmentée, certes.
Merci @Sergent Pepper !
J’ai enfin vu ce film… Rien à ajouter, si ce n’est dans la partie Spoiler, donc :
***SPOILER***
Pour moi l’écran passe en 16/9ème dans les moments d’intense bonheur, qui là, nous submergent et ce, deux fois dans le film : au moment où Steve ouvre grand l’écran, et au dernier moment de bonheur partagé à trois, où la scène devient floue et onirique, et où on voit la vie rêvée de Steve selon Die…
Les retours au format carré, presqu’imperceptibles, deviennent alors les symboles du retour à la dure réalité…
***FIN DE SPOILER***
Je sais pas si ça valait le coup de l’ajouter mais j’en avais envie…