[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]V[/mks_dropcap]ous allez rire, car vous êtes narquois, mais les premiers noms qui m’ont sauté aux oreilles sont Blonde Redhead et surtout Deerhoof… Mais bien vite, les influences vont se bousculer en trop grand nombre pour véritablement s’arrêter là. Et puis, il y a cette langue, ces accents, l’Allemand, l’anglais. Car, à peine les premières notes balancées, tout se croise et rien ne se fige. D’abord, l’organique se mêle très tôt à l’électrique et les sonorités s’enluminent rapidement pour donner une matière sonore mélancolique et moderne, sans jamais sacrifier à la surenchère d’un côté comme de l’autre, le savant dosage s’amuse clairement à jouer avec nos nerfs sur une musique tendue sur un fil de lin prêt à rompre mais qui va finalement s’avérer plus solide qu’on ne le pense.
La voix, étrangement lyrique, fait penser, tout à tour à PJ harvey, Carla Bozulich ou Shannon Wright, mais il ne s’agit même plus de références, d’influences. Non, il s’agit plutôt d’effleurements, d’évocations fantomatiques car Mona Kazu a la chance d’appartenir à ces groupes à l’univers propre. Les chansons y sont suspendues, au gré des rythmiques asymétriques ou parfois presque funky, comme sur Secret où le batteur s’amuse à glisser un léger contre-temps, l’air de rien, comme ça, avant une déferlante sonore. Pour autant, Mona Kazu joue dans la cour des grands, celle de ceux qui savent que courir après les décibels est peine perdue. D’autres l’ont fait avant, avec talent, alors autant se lover au fond de son décor à soi, et le groupe y parvient parfaitement. L’unité qui tient le disque est assez remarquable en ce sens, car la mesure est prise, à chaque titre, de ce qu’il faut savamment doser. Les musiciens sont également suffisamment malins pour ne pas sombrer dans la redite et les ambiances se multiplient au fur et à mesure qu’avance le disque. Ainsi, le clavier électrique qui débute The Fall plonge l’auditeur dans une sorte de valse qui tourne autour de lui et l’emprisonne peu à peu avec l’envie de fermer les yeux pour profiter du bonheur d’être en compagnie d’un disque qui va résonner en vous quelques années encore.
La force de Mona Kazu, c’est avant tout de savoir entremêler les rythmes, les ambiances, les falaises soudaines aux lits de pétales de roses, certes fanées pour la plupart. Laetitia évoque justement notre Laetitia Scheriff nationale, mais une fois de plus, cela reste de l’évocation, jamais de plagiat, ni de copie, ni même d’influence, juste un nom qui résonne dans un couloir qui mène systématiquement à Mona Kazu. L’architecture indéniable des grands et des originaux.
Au rayon des reproches, je dirais simplement que l’ensemble est un peu trop produit à mon goût. Un son plus rêche eut été l’occasion de plonger plus encore l’auditeur dans l’âme sensible qu’est Mona Kazu. Mais il ne s’agit là que d’un détail car des titres comme Franck et sa tension permanente bien au-dessus des normes ou Argument, morceau de poids qui vient clore l’insondable torpeur douce-amère de l’album remportent allègrement le droit de se répandre en louanges sur cette formation qui ne bénéficie pas de cette exposition qui fait la marque de fabrique des gros vendeurs. Pourtant, manier avec autant de malice les cataclysmes et les écrins de fragilité est une indéniable preuve que le propos n’a pas été réfléchi sur un coin de table, mais qu’il s’agit bien d’un travail d’orfèvrerie travaillé au millimètre, comme sur The Island qui, à chaque recoin, surprend. Si le morceau s’aventure aux premières lueurs vers une sucrerie au coin d’un feu, peu de temps après, le groupe s’octroie les largesses d’un roi en plaçant un break inattendu, aux couleurs orientales sur les voix haut-perchées qui vous transportent sur un tapis mouvant, tel des sables volants, au milieu d’une tempête car l’horizon se perd à l’infini et les repères n’existent plus.
L’album se termine et laisse malgré tout un léger goût amer dans la bouche. Un petit regret : celui d’avoir, ce jour-là, un planning trop chargé pour pouvoir le réécouter tout de suite.