[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]près Memories of Murder et The Host, on entre en terrain familier lorsque Mother commence. Ce sont de savoureuses retrouvailles avec un monde singulier avant tout fondé sur la rupture.
Le pathétique y côtoie le grotesque, les bouffonneries ponctuent une tension policière, elle-même contaminée par un genre plus indécis et psychologique, la construction très précise du cadre se brise brutalement pour une séquence en caméra à l’épaule. Très fluide et éclectique, l’esthétique et la tonalités nous immergent chez les miséreux et les attardés mentaux, classe chère au réalisateur. Face à eux, un monde corrompu et d’avantage ridicule et minable que véritablement méchant. Cette médiocrité vivote et s’arrange avec les événements qui parsèment sa route tortueuse.
Construit comme une enquête policière fondée sur l’amnésie de la scène originelle, le film joue avant tout sur le regard. Encadrements de portes et de fenêtres se succèdent, les rideaux s’entrouvrent, les embrasures s’élargissent pour progressivement dévoiler une vérité qu’on préférait laisser dernière les cloisons les plus opaques. La mère devient, par toute la force de sa conviction, le témoin inexistant du meurtre, et s’invite dans des lieux interdits pour y devenir voyeuse.
La place accordée aux éléments eau et feu est d’une grande intelligence esthétique. Une scène insolite et splendide visuellement du début voit le fils uriner contre un mur tandis que sa mère le fait boire.
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L’eau se répand sur le sol avec lenteur, risquant de réveiller le suspect présumé qu’elle est venue espionner, intrusion dans la maison annonciatrice d’un autre liquide, le sang qu’on détruira par le feu.
Mais le polar cède insidieusement la place à une nouvelle intrigue. C’est celle du glissement progressif de la mère lucide de l’attardé basculant vers la folie pathologique. Les révélations s’enchaînent au gré d’une enquête qui nie toute l’économie habituelle du policier : on n’atteint pas la lumière de la vérité et la preuve de l’innocence. Non seulement, la vérité est à l’opposé de ce que la mère tendait à prouver, mais son refus de l’accepter l’entraîne à la suite de son fils vers la folie et le meurtre.
La mécanique tragique du récit est habile. Seule mère dans un monde d’orphelins, le spectateur assiste médusé à sa transformation. D’altruiste, elle devient passionnée et les dérèglements de son amour en font un monstre pour lequel on pourrait à notre tour éprouver une compassion condamnable. Toute la dernière partie du récit est un écho inversé de la première ou les victimes se transforment en bourreaux, à l’image de cette mère qui ne pense plus vraiment à son fils. Ce qui prime, c’est sa souffrance de mère, et la rédemption de ses égarements passés et potentiellement matricides.
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L’ouverture du film, un plan séquence d’une grande beauté, une danse étrange et intime dans les herbes hautes, dit tout du film à venir, anticipation du plan final dans le bus, tous deux baignés de lumière : la folie comme mouvement continu, au milieu du monde, assez beau par instants, insolite et séduisante chorégraphie à l’écart du réel.
j’adore le cinéma coréen et Bong Joon-Ho en particulier, belle analyse, merci!