2022 a vu le retour du festival dédié à la création sonore dans sa configuration habituelle après deux années de pandémie qui ont vu son calendrier être chamboulé.
La 38e édition du Musique Action a donc eu lieu la dernière semaine de mai au Centre Culturel André Malraux à Vandoeuvre, dans la banlieue de Nancy. Ce fut l’opportunité de découvrir une partie de ce qui se fait de plus intéressant dans le domaine des musiques improvisées et expérimentales. Retour sur quatre soirées emblématiques de cette scène musicale.
Lundi 23 mai
La 1ère soirée était consacrée à deux quatuors. Le 1er, Nuits réunit l’accordéoniste Emilie Skrijelj, le batteur Tom Malmendier, le violoncelliste Stéphane Clor et Arnaud Lesecq à l’électronique. Formé d’une seule pièce de 45 minutes, le concert a vu chacun des musiciens frapper, gratter, racler et faire sonner son instrument pour en tirer des sons plus ou moins rugueux. L’occasion de voir qu’un accordéon pouvait aussi être un instrument de percussion et qu’il pouvait être joué sans toucher aux notes ou presque.
Ce fut une belle expérience d’écoute où les musiciens ont réussi à transformer leur expérimentation en véritable transe musicale hypnotique.
Hypnotique est également un terme qui peut résumer ce que le quatuor Sonneurs a proposé en deuxième partie de soirée. Formé autour d’Erwan Keravec à la cornemuse, de Mickaël Cozien au biniou koz, Erwan Hamon à la bombarde et Guénolé Keravec à la trélombarde, ces sonneurs ont donné vie à un répertoire contemporain loin des musiques traditionnelles liées à ces instruments. D’une puissance assez incroyable et aidé parfois d’une pédale sampler qui envoyait des coups de basse amplifiée d’une certaine ampleur, Sonneurs a pu démontrer l’étendue des harmonies dont ils étaient capables et leur capacité à pouvoir jouer des musiques plus répétitives à travers les œuvres de Philip Glass, Wolfgang Mitter, Erwan Keradec lui-même ou Otomo Yoshihide entre autres.
Le son des bombardes a longtemps résonné dans les oreilles après ce set impressionnant.
Mercredi 25 mai
La soirée s’ouvre avec eRikm accompagné de l’ensemble Dedalus pour proposer ce qui sera le set le plus expérimental de cette affiche très hétéroclite.
Le compositeur eRikm a travaillé sur l’étendue de spectres sonores inaccessibles aux oreilles humaines en partant d’enregistrements d’animaux et du monde vivant. Il a transposé le tout en composition que les six musiciens tentent de retranscrire. À l’aide de violon, violoncelle, guitare, trompette (qui sonne parfois comme une guitare pleine de distorsion grâce à quelques accessoires), flûtes, didgeridoo, trombone (qui ne sonne pas toujours comme un trombone et où un didgeridoo peut s’insérer dans le pavillon de l’instrument) et électronique, un monde inconnu se découvre pour une expérience musicale exigeante et hors norme.
Il est alors temps de se plonger dans l‘Imaginarium de Wilfried Wendling et Hélène Breschand. Une expérience immersive pour le public qui voit se mêler images et musique sur 360°. Différents écrans alternent entre ombres chinoises où l’on peut voir la harpiste jouer, extraits de scènes de cinéma, public filmé en direct et créations visuelles. Le public est réparti en îlots de quelques chaises éparpillées dans la salle où la musicienne peut se déplacer librement avec sa basse, sa petit harpe et ses pédales qui la font sonner comme une guitare électrique.
Elle nous gratifie de solos digne d’un rock des plus énervés avant de terminer dans un déluge de stroboscopes évoquant un final de feu d’artifice. Ce sont les mélodies les plus cristallines à la harpe, qui se balade dans le public, qui signent la fin de ce voyage dans l’imaginaire des deux artistes.
C’est Will Guthrie et sa batterie qui se chargent de nous accompagner vers la nuit qui commence à tomber. A l’origine il devait se produire avec Mark Fell à l’électronique mais ce dernier n’a pu faire le déplacement. C’est donc avec ses bandes enregistrées que le batteur prodige va nous montrer l’étendue de ses talents, à savoir 45 minutes ininterrompues de rythmes d’une précision métronomique. La répétitivité de certaines séquences amène à une transe des plus appréciées avant de bifurquer vers d’autres sonorités à l’aide de gongs et autres percussions qui font ressortir les basses telluriques de la grosse caisse.
Cette course folle où l’on ne s’ennuie pas une seconde s’achève brutalement et dans le silence qui suit, l’on regrette que cela ne continue pas encore un peu…
Jeudi 26 mai
Arrivés à la mi-festival, cette soirée était sans doute une des plus attendues et le public avait répondu présent.
En 1ère partie l’on a retrouvé eRikm, cette fois en duo avec Jean-Philippe Gross, sous le nom d’Ursatz, tous deux à l’électronique.
Assis à deux tables se faisant face au milieu de la salle, avec le public réparti tout autour d’eux, Ursatz a démontré tout son savoir-faire dans le champ de l’expérimentation sonore en naviguant entre électro, noise et musique électroacoustique. Passant d’un laptop à une tablette ou un smartphone et autres objets, eRikm a joué des diverses possibilités de ses machines pour proposer un set puissant entre PanSonic et Autechre. Jean-Philippe Gross n’était pas en reste, s’y retrouvant dans une montagne de fils reliant boutons à tourner ou pousser pour proposer différentes interférences et sons plus proches de l’électroacoustique.
Le spectacle était également visuel tant il était fascinant de regarder la chorégraphie qu’exécutaient ces mains avec délicatesse et précision pour articuler les différentes parties du set qui s’avéra bien trop court avec à peine 40 minutes de programme. Ce qui laissa plus d’une heure d’attente avant le clou de la soirée, qui parut bien longue pour qui n’est pas adepte des arrêts au bar.
C’est donc avec joie que l’on embarque pour 1 h 15 de voyage dans le monde de Julius Eastman, artiste redécouvert assez récemment et joué pour la deuxième fois à Musique Action. Interprété par l’Ensemble O et le Aum Grand Ensemble, Femenine (1974) voit se déployer treize musiciens sur la grande scène (basson, saxophones, trompette, piano, percussions, vibraphone, Fender Rhodes, électronique, clarinette basse, violon, violoncelle et voix) qui vont répéter le même motif musical inlassablement. Débutant par les percussions puis le vibraphone, le thème va servir de repère pour les autres instruments qui vont se greffer petit à petit en l’accompagnant ou en en faisant de légères variations jusqu’à arriver à une sorte d’osmose en milieu de pièce avant que chacun s’efface petit à petit. Mention spéciale aux soufflants pour une partition qui est sans doute bien plus complexe qu’il n’y paraît.
L’on ressort du concert avec les quelques notes de la mélodie qui résonnent encore longtemps dans la tête.
Samedi 28 mai
Pour cette dernière soirée de festival, pas moins de trois concerts sont programmés.
C’est Eliane Radigue et ses Occam qui ouvre les hostilités avec la création de l’OccamXIX joué à la viole de gambe par Louis-Michel Marion et l’Occam River XXVIII où Carol Robinson le rejoint au birbyné (une sorte de clarinette lituanienne).
D’une concentration extrême, le musicien et le public se laissent envahir par la profondeur du son recherché par le gambiste. Les notes jouées sont répétées mais jamais identiques, différentes harmoniques se révèlent à chaque coup d’archet évoquant même parfois un genre de drone acoustique. L’ajout du birbyné ne fait que renforcer ce travail de construction où l’on devine des couches sonores qui se superposent. C’est l’intensité du souffle et du toucher des cordes qui se joue ici pour être au plus proche de la perfection.
Après cette heure méditative, Andy Moor et Yannis Kyriakides se chargent de nous ramener vers une musique à laquelle nos oreilles sont plus habituées, à savoir le monde du rock.
Le guitariste, membre du groupe The Ex, habitué des collaborations, s’associe encore une fois avec l’artiste électronique Yannis Kyriakides pour nous offrir un set qui alterne (presque) douceur et tension qui peut aller jusqu’au noise que le public apprécie particulièrement. Les sons des machines se marient très bien au jeu d’Andy Moor qui utilise parfois un appareil photo ou une barre métallique coincée entre les cordes pour faire vibrer autrement son instrument.
Un beau moment de déflagration sonique très maîtrisé.
Le dernier concert n’en est pas vraiment un, c’est plutôt un spectacle créé par Anthony Laguerre et Jérôme Noetinger. Montage se propose de nous faire découvrir l’envers du décor, ce qu’on ne voit jamais ou rarement. Sur une scène vide où l’on ne voit que quelques hauts-parleurs disséminés, les deux artistes nous font entendre des techniciens montant ou démontant une scène de spectacle, entrecoupés des sons des objets déplacés, utilisés, bringuebalés, …
Un véritable film pour les oreilles où l’imagination du public est requise, lui qui est parfois plongé dans le noir le plus complet ou en pleine lumière. L’on découvrira à la fin de la représentation que les deux artistes se trouvaient au fond de la salle, à la console. Ces 45 minutes de musique concrète sont une belle manière de rendre hommage à ces travailleurs de l’ombre et terminent de la plus originale des façons le festival.
Cette 38e édition aura donc été l’occasion de voir et d’entendre de multiples expérimentations musicales qui permettent de se rendre compte de la vitalité d’une scène qui reste malgré tout très marginale.
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