[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]E[/mks_dropcap]lle est Julia Alveston sur les papiers et à l’école, elle est Croquette dans la bouche de son père, mais dans sa tête, elle est Turtle. Elle en a la carapace, solide comme du roc, elle possède cette capacité à rentrer à l’intérieur d’elle-même quand le monde extérieur est trop dur à supporter. Son père, Martin, est un survivaliste abusif qui a inculqué à sa fille la misogynie, la haine d’elle-même, le maniement des armes à feu et le nom des plantes. C’est avec ce bagage bien trop lourd pour ses 14 ans que Turtle avance dans le monde, loin des préoccupations des adolescents de son âge.
Lors d’une escapade en quête de liberté, elle va faire la rencontre de Jacob et Brett, deux jeunes garçons pétillants, aussi étranges qu’elle et déterminés à s’attacher à cette étonnante jeune fille qu’ils ne comprennent pas toujours. Le goût de la vie normale est trop doux et Martin n’a aucune envie de partager son amour absolu, comme il l’appelle. Turtle devra trouver la force de sortir de sa carapace, même si pour cela elle doit se mettre en danger, car il en va de sa survie.
Au coeur d’une nature luxuriante et sauvage, Gabriel Tallent s’emploie avec brio à créer un univers quasi autarcique où la violence alimente la violence, où tout semble poisseux, cyclique et sans fin. Le monde tourne autour de Turtle et Martin, comme deux survivants seuls au monde et réinventant des codes sociaux, une autre morale, brisant des tabous. Mais rien n’est jamais manichéen dans My Absolute Darling Il n’y a pas de nemesis, il n’y a pas de méchant absolu. Il n’y a que des humains, faillibles mais pourtant presque attachants dans leurs imperfections.
Et il y a surtout cette écriture, ce style d’une précision, d’une délicatesse et d’une beauté incroyables, qui décentre presque le propos. Happés par ces paysages infiniment plus grands que nous, par ces milliers de plantes et de fleurs, par le charme d’une nature plus forte que l’homme, on pourrait presque oublier que le sujet est grave. Il est question d’abus, de violence, d’un piège qui se referme sur sa proie devant nous spectateurs et que l’on voit lutter pour s’en sortir. C’est beau, c’est beau parce que rien n’est fait pour être édulcoré, parce qu’il n’y a devant nous que la vie dans ses imperfections et dans toute sa violence, mais également dans ces infimes moments de bonheur. Et au milieu de ce chaos, il y a Turtle, la plus attachante des jeunes filles, la plus abîmée et la plus résiliente. On voudrait ne jamais la quitter.
My Absolute Darling de Gabriel Tallent
paru aux éditions Gallmeister, mars 2018
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