Night Call commence par une fausse piste : le diaporama impeccablement photographié d’une urbanité cadrée et aux éclairages artificiels jaunes sur le bleu marine d’une nuit sans encre, invite à une errance presque poétique. Mais on a appris, depuis Taxi Driver, à se méfier des rues qui dorment.
Le sujet même du film n’est pas révolutionnaire d’originalité : la course à l’audience génère une course aux images les plus trash, occasionnant des chasses au scoop d’une meute de reporters lâchés dans la ville et avides de sang. La dénonciation est organisée comme il se doit, et l’on anticipe sans difficultés les échelons de l’immoralité du protagoniste qui ne se contente plus de filmer, mais met en scène, voire provoque les carnages pour obtenir la séquence parfaite. Ces dernières scènes, étirées et disséquant le double regard du personnage et du réalisateur sur le réel, sont souvent assez intéressantes d’un point de vue cinématographique, partagées entre l’immersif de celui qui voit et le surplomb de celui qui dénonce ce voyeurisme, surtout lors de la scène du restaurant. Gilroy s’en sort plutôt bien dans la réalisation, et s’il marche un peu trop sur les traces de Drive dans certaines scènes, n’a pas toujours à rougir de la comparaison.
Comme souvent sur ce genre de sujet, le scénario a néanmoins du mal à éviter l’enlisement : un peu répétitif et emprisonné dans une structure qui le force à la surenchère, les développements avec Renee Russo ou la concurrence de l’autre reporter ne sont pas toujours très efficaces et pertinents, et les voies vers le climax tout de même assez improbables.
Il semble en réalité que le véritable intérêt de Night Call soit ailleurs, et finalement plus modeste, et l’on aurait apprécié que ce jeu de contraste soit travaillé davantage. Tout repose en effet sur le personnage de Jake Gyllenhaal, campé avec une évidence glaçante. Self made man proche de l’autisme, ayant tout appris en ligne, il porte sur le monde un regard à la fois décalé, sociopathe et brillant de pragmatisme.
Incarnation des manuels du parfait capitaliste, souriant, récitant avec conviction les théories qui font le monde dans lequel il veut percer, il devient en tout point exemplaire, un archétype de la success story, d’autant plus brillante qu’elle sait exploiter la fange de l’humanité pour en arriver au sommet. Ce personnage didactique, occidental à outrance, vrp de l’indifférence, est la grande réussite du film, parfaitement servi par le regard exorbité et le sourire carnassier de Gyllenhaal, toujours aussi brillant et habité pour peu qu’on lui offre un rôle à sa mesure.