Jeudi 9 avril, je suis allée voir La tectonique des nuages à Angers Nantes Opéra. Ce qui m’a donné envie d’aller y jeter un petit coup d’œil, c’est son appellation : opéra-jazz. Je n’avais jamais rien entendu de tel. Je visualise très bien séparément les deux termes, mais alors les deux en même temps… Donc me voilà à l’opéra, bien installée dans mon siège, prête à découvrir cet objet non identifié. Le metteur en scène prend la parole juste avant la représentation. Il nous explique qu’à cause d’un mouvement social, la mise en scène a été quelque peu revue à cause du manque de personnel. Il remercie ceux qui sont là et espère que malgré les manques, nous passerons un bon moment. J’avoue, je suis un peu déçue. Mais bon, je suis sûre que ça va bien se passer. J’ai un bon pressentiment.
C’est parti. La lumière s’éteint. La musique commence. L’écran s’illumine. On est dans l’espace, au milieu des étoiles, en mouvement, on avance vers quelque chose. J’ai trouvé ça génial comme début. Comme si on avait accordé aux spectateurs les quelques minutes nécessaires pour se mettre littéralement dedans. On s’approche et on arrive enfin à Los Angeles sous une pluie diluvienne. La tempête du siècle. Les musiciens commencent à jouer. J’en ai des frissons. J’adore le jazz, et là je trouve ça juste parfait. C’est entraînant. Une actrice arrive sur scène, devant l’écran. Elle est enceinte jusqu’aux yeux, et fait du stop. Un homme entre de l’autre côté.
Ils échangent et là, on comprend très vite que cette femme est très spéciale. Elle semble incohérente. Il se parlent en chantant, accompagné par l’orchestre. C’est un opéra jazz en français. C’est quand même plus pratique ! Et franchement, ça marche bien. On apprend alors qu’elle est enceinte depuis deux ans (mais ouiiiiiiii !) et qu’elle cherche le père de son enfant, un certain Rodrigo Cruz. Après discussion, l’homme Anibal de la Luna propose à la femme, Celestina del Sol, de l’emmener chez lui, puisqu’elle ne veut ni aller à l’hôpital, si chez les flics.
Bref ! Ils roulent, l’image défile sur l’écran. Ils sortent de scène. L’écran se lève et on découvre tous les musiciens sur la scène. J’étais justement en train de me demander où ils étaient cachés les coquinous ! Je suis totalement partisane de la présence des musiciens sur la scène. C’est nul de les cacher. Je suis donc plus que ravie. La musique me transporte, tout autant que cette histoire un peu folle.
Anibal et Celestina ne sont pas encore là. Le décor représente la maison d’Anibal. Un pan de l’écran est encore visible, on peut y lire l’heure : 23 : 04. Les deux points clignotent. On passe à 23 : 05. Anibal entre, suivi de Celestina. L’heure se fige. On comprend alors que Celestina à un impact particulier sur le temps, ce qui expliquerait pas mal de chose. Par exemple le fait qu’elle soit enceinte depuis deux ans (la pauvre femme…) ou qu’elle ait retrouvé un jour en sortant de sa chambre, ses parents dans leurs lit, mort et desséchés (charmant !).
Le pauvre Anibal est un peu perdu. Tu m’étonnes. Moi aussi j’avoue, je ne comprends pas tout mais bon, ça n’enlève en rien au plaisir. On tient l’essentiel. C’est un compte sur la perception du temps, l’amour, la rencontre impossible entre la lune et le soleil. Cette rencontre surréaliste flotte dans l’air, alors que la tempête se déchaîne à l’extérieur. Pendant cette nuit, Anibal va recevoir la visite de son jeune frère, Nelson, un militaire qui va immédiatement tomber amoureux de Celestina. Il lui dit qu’il lui reste deux ans à tirer dans l’armée et lui demande de l’attendre. Elle accepte. Il repart dans la nuit.
Il est toujours 23 : 05. La longue nuit continue pour Anibal et Celestina. Ils se confient l’un à l’autre, sans aucune retenue. D’ailleurs, le langage est très cru. Ce qui n’est pas pour me déplaire. Ça apporte encore plus un côté moderne. Entre le jazz, le langage, et même les chansons, notamment une en particulier où Celestina nous explique qu’elle voudrait tout le temps baiser (NORMAL), je n’aurais jamais pensé assister à ce genre d’événement dans ce bel opéra. C’est super rafraîchissant !
Des fois, la musique est tellement prenante de que je me laisse aller, oubliant par moment d’écouter les paroles. Je suis ailleurs, j’ai la tête dans les nuages et ça se passe bien. Au cours de la soirée, Celestina et Anibal se rapproche se laissant aller « le temps d’un battement de cil, [à] une éternelle idylle ».
Puis soudain, Nelson rentre. Anibal pense qu’il n’a pas pu rejoindre sa garnison à cause de la tempête. Nelson lui explique que ça fait deux ans qu’il est parti, et que Celestina n’a répondu à aucune de ses lettres. Quand il l’aperçoit enfin encore enceinte, il pense qu’il s’agit d’une nouvelle grossesse et qu’elle porte l’enfant de son frère. Il ne comprend rien et fini par s’enfuir. Anibal part à sa poursuite. Celestina profite de leur absence pour s’éclipser. L’heure se remet en marche. Nelson revient et se retrouve seul.
L’écran redescend. La tempête est finie. Celestina entre sur scène avec une poussette. Elle nous explique que la tempête s’est terminée, qu’elle a causé pas mal de dégâts, que la ville s’est reconstruite en un monde idéal. Elle a passé six mois sur la table d’accouchement (au secours !) et n’a jamais trouvé Rodrigo Cruz. L’écran se relève, on voit un vieillard dans un lit. Elle se précipite vers lui. C’est Anibal. Il la prend pour la nouvelle infirmière. Elle tente de raviver le souvenir de cette longue nuit qu’ils ont passé ensemble. Il s’en rappelle vaguement comme d’un rêve, un coma qui aurait duré deux années de sa vie.
Et la voilà qui repart faire du stop…
Un moment tout en poésie, à travers ce conte un peu mystique et sublimé par la musique. En conclusion, l’opéra jazz, c’est vachement bien !
La Tectonique des Nuages
Librement adapté de Cloud Tectonics de José Rivera
Traduction française de Isabelle Famchon
Musique de Laurent Cugny
Livret de François Rancillac
Textes chantés de Yann-Gaël Poncet
MISE EN SCÈNE FRANÇOIS RANCILLAC
avec
David Linx, Anìbal de la Luna
Laïka Fatien, Celestina del Sol
Yann-Gaël Poncet, Nelson de la Luna
Encore deux représentations à Angers :
Angers / Grand Théâtre
mardi 28, mercredi 29 avril 2015