Il y a quelques mois, Orange is the New Black était sur toutes les lèvres. LA nouvelle série à regarder. Des femmes dans une prison. Le pitch m’intéressait moins que l’enthousiasme du bouche à oreille. Puis quand je me suis aperçue que la réalisatrice, Jenji Kohan, n’était autre que l’auteure de Weeds, je me suis lancée dans l’aventure les yeux fermés (façon de parler).
Le parallèle avec Weeds est frappant d’emblée : dans un cas comme dans l’autre, la réalisatrice se sert de l’héroïne type des séries télé – Piper Chapman (Taylor Schilling), une jeune femme belle, cultivée et à première vue innocente et fragile – pour s’introduire et nous introduire dans un monde étranger et violent. Dans Weeds, le monde de la drogue ; dans Orange, le monde de la prison. Cette situation ex nihilo ne manque pas d’intelligence. Elle permet à nous autres petits privilégiés confortablement installés dans nos fauteuils, de nous identifier aussitôt et pleinement au personnage et d’observer avec elle l’environnement hostile dans lequel nous prénétrons. Tout est découverte, tout est prétexte à histoire.
Or, la prison est précisément le lieu par excellence où le monde est entièrement redéfini, où les règles du jeu ne sont plus les mêmes, où il faut réinventer le fil à couper l’eau chaude. Dépossédé de tout ce que l’on a, contraint de passer par le marché noir pour se procurer un bout de cigarette, l’univers n’a plus la même échelle et les objets eux-mêmes prennent une autre dimension. Autrement dit, le orange remplace le noir. « It’s a world where a stick of gum could ignite either a romance or a death threat » (Hank Stuever, The Washington Post). Jenji Kohan a donc trouvé ici le parfait décor pour exprimer la créativité de son regard. Quand l’héroïne de Weeds errait un peu trop ça et là, faisant dériver la série sans fin à travers le monde, la prison d’Orange, quant à elle, offre à ses personnages une solide scène de théâtre.
Car il s’agit bien de théâtre et non de réalité. De fiction et non de documentaire, comme ont pu l’affirmer certains critiques. Les couleurs chaudes de l’image et les beaux minois de ces jeunes femmes emprisonnées ont tôt fait de nous en persuader : nous ne regardons pas Orange pour connaître la vie des femmes en prison aux Etats-Unis. Nous regardons Orange pour découvrir une myriade de vies caricaturées dans une mise en scène théâtrale hautement divertissante. « She further plays with our expectations by taking milieus usually associated with violence and heavy drama — drug dealing, prison life — and making them the subjects of lightly satirical dramedy » (Mike Hale, The New York Times). Le théâtre ici ne tient pas que du lieu ou du décor ; il tient également des personnages. Il permet de brasser les différentes franges culturelles de la société américaine, des latines aux russes en passant par les noires. Nous nous retrouvons ainsi avec une dizaine de personnages secondaires principaux, apportant chacune une histoire liée à leurs origines et leur personnalité.
L’oxymore était voulu car l’autre grande force de la série est sa construction narrative : au-delà de la trame narrative principale, tournant autour du présent et du passé de l’héroïne Piper, se construisent toutes les histoires personnelles passées et présentes des autres prisonnières. A chaque épisode, nous apprenons à découvrir quelqu’un. C’est de cette façon que Jenji Kohan, après nous avoir appâtés avec la jeune héroïne blanche qui nous ressemble, nous amène à nous intéresser aux autres. « The multi-ethnic cast of Orange is the New Black, with black, white and Latina factions, affords the series all kinds of paths and sensibilities to explore » (Ed Bark, National TV reviews & news).
Non seulement la série permet de donner un rôle important à des actrices souvent reléguées au second plan, mais en plus elle nous embarque dans une aventure humaine où la prison, c’est surtout les autres.
Les autres mais aussi l’autre soi. Celui qui resurgit quand nous devons nous reconstruire. Piper passe de fiancée à prisonnière et la transformation du personnage est un élément fondateur de l’histoire. A travers les flashbacks de son passé, à travers son histoire d’amour avec une autre prisonnière, à tâtonner à la recherche entre violence intérieure et extérieure, Piper, comme toutes les autres, doit se redéfinir. Le pari de Jenji Kohan est de nous amener nous-mêmes à nous redéfinir au milieu de ces femmes et le talent qu’elle emploie à matérialiser ce genre de réflexion existentielle dans de l’action pur jus me pousse à conclure ainsi cette critique déjà trop longue : kick in the junk, bitch !