[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]O[/mks_dropcap]rchestral Manoeuvres In The Dark est un groupe majeur. Si tout le monde n’en semble pas convaincu, ils ont pourtant marqué profondément l’histoire de la musique électronique.
Peu conventionnels au début de leur carrière, ils s’affichaient pourtant en tête de charts dans le monde entier. Un single comme Joan of Arc ne se classerait pas n°5 des ventes aujourd’hui. Le groupe s’est ensuite perdu dans une pop plus commerciale pour les mauvaises raisons. Après une longue pause, le groupe est de retour depuis 2005 avec sa formation d’origine.
Paul Humphreys nous a accueilli dans les loges du Bataclan à quelques heures d’un concert en duo enflammé. Il évoque leur passage chez Factory Records, leur concert légendaire au Rose Bowl en première partie de Depeche Mode, son amour pour Kraftwerk, mais aussi à quel point il est fier de la carrière du groupe.
La genèse de l’album a été bousculée par un tragique accident. A-t-il été difficile de se remettre au travail sur The Pleasures of Luxury ?
Nous avons réalisé une pause de presque un an car notre batteur, Malcom, a fait une crise cardiaque en plein concert. Nous avons tout stoppé en attendant qu’il se remette. C’est un ami d’enfance, il était hors de question de le remplacer. Il faisait même partie d’Equinox, le groupe qu’Andy et moi avions créé avant OMD. Il est aujourd’hui en pleine forme, mais il ne peut plus jouer de batterie.
On parle peu d’un autre membre du groupe, Martin Cooper. Il a rejoint le groupe en 1980 et joue à nouveau avec vous depuis 2005. Comment décririez-vous son apport au groupe ?
Je connais Martin depuis qu’il a 11 ans. Il contribue avec moins de créativité que par le passé. Martin consacre beaucoup de temps à sa famille et à la peinture. Les concerts sans lui sont différents. Il joue du saxo, du synthé et de la basse. Son apport au groupe a été énorme. Il a composé Souvenir avec moi. Il a aussi participé à l’écriture de notre plus gros succès, If You Leave.
Vous avez travaillé trois ans sur ce nouvel album. Aviez-vous la volonté de ne vous imposer aucune contrainte ?
Nous sommes un vieux groupe. Sortir un album à notre âge peut s’avérer dangereux. Un disque raté nuit au reste de ta carrière. Kraftwerk est mon groupe préféré de tous les temps. Ils n’ont rien sorti depuis des lustres parce que Karl Bartos est terrifié à l’idée produire de la musique qui n’est pas à la hauteur. Il préfère que Kraftwerk existe à travers son passé. Notre précédent album, English Electric a été un succès critique et public. Nous avions peur de lui donner un successeur. Nous avons décidé de prendre le temps nécessaire. Je pense que le résultat final est plutôt bon. The Punishment of Luxury confirme le retour de l’alchimie qu’Andy et moi avions dans les années 80. C’est un retour aux sources volontaire car nous avions une idée précise du type de chansons que nous voulions enregistrer. J’ai l’impression d’avoir bouclé la boucle.
On sent que Kraftwerk est encore une influence évidente sur ce nouvel album. Quels sont les groupes qui vous réunissaient au début que vous écoutez encore aujourd’hui ?
Je n’ai aucune honte de sonner comme le groupe auquel nous devons tout. Je me souviens encore du jour où j’ai entendu Kraftwerk pour la première fois. J’étais avec Andy, nous avions 13 ans. Autobahn est passé à la radio. Ça a changé notre vie. Nous étions convaincus que ce type de musique représentait le futur. Nous avons immédiatement décidé de monter un groupe. Robot Man, un titre du nouvel album, a beau sonner comme du Kraftwerk, c’est une chanson anti-robot. Eux qui ont essayé d’en être toute leur vie ne seraient pas contents de l’apprendre (rire). Kraftwerk a ouvert notre univers musical à des groupes et artistes comme Neu!, La Dusseldorf, Bowie, Brian Eno. Si tu ajoutes le Velvet Underground et les Talking Heads, tu tiens presque toutes nos influences. Nous écoutons encore leurs albums régulièrement. Je découvre toujours des subtilités dans leur travail. C’est sans doute lié au fait que j’ai vieilli. J’entends la musique différemment car j’ai la mauvaise habitude de disséquer chaque harmonie dans ma tête.
L’album est partagé entre morceaux pop et d’autres plus atmosphériques, comme Precision & Decay. Si ce n’est pas une nouveauté pour le groupe, est-ce représentatif de la balance qui existe entre toi et Andy ?
Pas vraiment. La force d’OMD c’est que nous aimons tous les deux nos chansons pop et nos titres plus expérimentaux. Au début de notre carrière nous étions capables de sortir de la musique d’avant-garde. À tel point que notre maison de disque de l’époque, Virgin Records nous avait convoqué. Ils nous ont ouvertement demandé de choisir un style et de nous y tenir. Nous avions refusé. Nous voulions être Abba et Stockhausen à la fois.
Est-ce quelque chose que Tony Wilson avait pressenti quand il vous a signé chez Factory Records pour Electricity, votre premier single ?
Il nous avait dit : “Vous êtes le futur de la pop music”. Ça nous avait vexés. Nous voulions être un groupe expérimental. Nous prenions notre art très au sérieux (rire). Pour nous, il n’y avait rien de pop dans Electricity. Comme souvent, il avait raison. Nous sommes incapables de composer sans ajouter une mélodie accrocheuse. On le constate jusque dans nos titres les plus difficiles. The Maid of Orleans par exemple était complexe dans sa version initiale. Nous lui avons apporté plus de clarté. Nous ajoutons systématiquement la mélodie en dernier, même sur nos singles les plus accrocheurs. L’image du groupe pop qui nous colle à la peau n’est pas justifiée à 100% quand tu connais nos méthodes de travail. Notre priorité n’est pas de trouver une accroche pop. On débute toujours par un squelette complexe.
Tony Wilson avait raison, Electricity a eu un impact important. Lorsque Vince Clarke l’a entendu pour la première fois, il s’est mis à la musique électronique et a fondé Depeche Mode.
Vince est un très bon ami. Il m’a raconté avoir acheté son premier synthétiseur après avoir entendu notre morceau à la radio. Il a appris à en jouer en tentant de reproduire la face B d’Electricity. Un titre qui s’appelle Almost. Je suis admiratif de son talent. C’est un songwriter exceptionnel.
Avez-vous l’occasion de recroiser Tony Wilson plus tard dans votre carrière et savez-vous s’il a regretté de n’avoir pu vous garder sur Factory ?
Je pense qu’il aurait aimé que l’on reste sur Factory. Avec du recul, c’est ce que nous aurions dû faire. J’aurais adoré grandir musicalement en même temps que le label. Factory était une maison de disque chaotique. Ils n’avaient aucune notion de l’argent. Notre label idéal aurait été Mute Records (label indépendant Anglais qui a signé Depeche Mode, Nick Cave, Erasure, Goldfrapp etc ndlr). Signer chez Virgin nous a poussé au split. Ils nous ont épuisés. Notre contrat avec eux n’était pas des meilleurs. Dans les années 80, nous vendions autant de disques que Depeche Mode. Daniel Miller, le fondateur de Mute leur a proposé un contrat avec 50% des recettes. En 1989, ils avaient suffisamment d’argent à la banque pour partir à la retraite et faire vivre plusieurs générations. Au même moment, OMD devait un million de pounds à Virgin. Ce manque de pression financière a permis à Depeche Mode de sortir des disques expérimentaux tout au long de leur carrière. Andy et moi étions tellement en panique à cause de nos dettes que nous nous sommes éloignés de nos racines. Nous n’avions pas d’autre choix que de produire des hits. C’était une mauvaise idée. Certains singles de cette période sont d’une nullité….
Tu as décrit le concert au Rose Bowl de Pasadena, en ouverture de Depeche Mode le 18 juin 1988, comme ton concert préféré d’OMD. Pourrais-tu nous dire pourquoi ?
Nous avons percé le marché Américain au même moment que Depeche Mode. Le jour du concert, nous avions un single classé numéro cinq des ventes là-bas (Dreaming ndlr). Ironiquement, Depeche Mode n’avait pas encore eu un seul single dans les charts. Pourtant ils étaient plus connus que nous. La musique électronique avait enfin réussi à conquérir l’Amérique. Nous surfions sur une vague. Je me souviens encore monter sur scène au Rose Bowl. Se retrouver devant 90 000 personnes hystériques qui attendent d’écouter tes chansons était incroyable. Dire que nous avions eu du mal à convaincre des amis de rejoindre OMD à la fin des années 70. Ils trouvaient notre musique trop étrange. Au Rose Bowl, Depeche Mode et nous-mêmes avions le sentiment d’avoir accomplis notre mission. Nous avions réussi à ce que la musique électronique soit adoptée par les foules.
Peu de temps après, en 1989, tu as pourtant quitté le groupe. Que retrouves-tu dans l’OMD d’aujourd’hui qui te manquait à l’époque ?
De la clarté. Mis à part à nos débuts, je n’ai jamais été aussi heureux de faire partie d’OMD qu’aujourd’hui. Le voyage a été long. Nous ressentons toujours un minimum de pression. C’est une pression saine, auto imposée, justifiée par le fait que nous voulons sortir des disques de qualité. Nous sommes libérés de toute contrainte commerciale. Nous n’avons même pas de contrat avec une maison de disque ! L’argent n’est plus un problème. OMD existe encore car nous aimons ce groupe. Nous sommes là pour une bonne et unique raison : prendre du plaisir. Andy et moi sommes amis depuis l’âge de sept ans. Notre relation a connu des hauts et des bas. J’ai l’impression d’être plus proche de lui que jamais. On rigole beaucoup en tournée. Nos techniciens sont des amis, ça aide beaucoup (rire). 40 ans après nos débuts, j’ai l’impression d’être à nouveau un gamin qui n’a qu’à se soucier de son art.
The Punishment of Luxury d’Orchestral Manœuvre In The Dark
Sorti chez 100% Records. Il est disponible chez votre disquaire local.
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