Une Torch Song est une chanson sentimentale, dans laquelle le chanteur se lamente sur un amour non partagé ou perdu. Le terme vient de l’expression « porter le flambeau/avoir la flamme ». En anglais to carry a torch (for someone).
La flamme Mike Hadreas l’a. Assurément. Pourtant avec Learning et Put Your Back N 2 It, ses 2 précédents albums, on aurait pu penser qu’il avait tout consumé. Tout dit des démons qui l’animaient. Tout livré des horreurs qui l’habitaient. En effet la charge était immense, autant que les disques étaient courts (28 minutes pour le premier, 32 pour le second). Aucun sujet n’effraie le jeune homme qui ne prend aucun détour pour parler de son homosexualité, principalement, et de tout ce qu’il a vécu grâce/à cause de ça (amour, honte, haine, addictions, sexe, humiliation, violence), mais aussi de son corps et de la maladie chronique qui l’altère peu à peu ; le tout livré dans des écrins d’une douceur et d’une poésie qui rendent le propos encore plus touchant, émouvant. Pour ceux qui ne connaitraient rien de cet artiste je les invite à découvrir son univers en 3 chansons : Mr Petersen où il évoque le suicide d’un de ses professeurs dont il était amoureux, Hood aborde sa peur de ne pouvoir être aimé tant il serait mauvais et All Waters dans laquelle il rêve de pouvoir vivre et montrer son amour aux yeux de tous (en lien les vidéos des titres … j’avoue la 3ème vidéo est de moi).
A lire et à écouter ainsi sur tout le long de ces 2 disques ses déboires passés, ses peines d’enfance, ses traumatismes d’adolescence et cette souffrance qui n’en finit pas de ne pas vouloir se taire, on imagine que d’autres que lui auraient déjà jeté l’éponge, sorti la corde, allumé le gaz, pressé sur la gâchette. Quant aux auditeurs on pourrait imaginer qu’ils en auraient soupé, mais là encore il n’en est rien, car Mike Hadreas, je le répète, est certes un formidable songwriter mais c’est avant tout un poète qui sublime la souffrance en beauté.
Et Too Bright ne déroge pas à la règle, il la surpasse.
Je refuse. Comme une réponse au reproche que pourrait suggérer le nom de l’album (trop brillant !) le premier titre, I decline, synthèse magistrale de l’oeuvre du compositeur, est en parfaite continuité avec les albums précédents. Une mélodie délicate posée sur quelques accords de piano, des paroles simples et directes. Mike abandonne à d’autres l’envie/ le besoin d’être conforme, il refuse de n’être moins que complexe, contrasté, au risque de paraître trop typé. Je décline. Le double sens est ici intéressant au regard des thèmes récurrents abordés par Hadreas dans ses chansons. En effet l’auteur atteint d’une maladie chronique parle souvent de son rapport à un corps qui fonctionne mal, et de manière plus générale au déclin du vivant, l’ange derrière la grille dont il parle l’attend-t’il pour le jugement dernier ? Cet éclairage apporte un regard intéressant sur l’ensemble de l’album où le double sens et l’ambivalence sont sans cesse présents. Les paroles qui terminent ce monument en miniature (2 minutes) sont délivrées dans un souffle dans lequel on devine le renoncement. En plein dans le plexus.
Dans le titre suivant, Queen, le contraste est saisissant. Le chanteur se fait plus revendicatif. Don’t you know your queen (Ne connais-tu pas ta Reine ?) Est-ce une menace ou une défense ? Les deux. Condamné par les regards qui le scrutent à n’être que ce que les autres y voient. Celui par qui le danger arrive, No family is safe when I sashay (Aucune famille n’est en sécurité quand je passe). La basse lourde et pesante comme un pas sur l’asphalte rythmant le passage de celui qu’on dévisage, que l’on pointe du doigt, que l’on commente « c’est spécial« . Pas d’autre issue que d’afficher sa différence, la revendiquer quand la majorité vous demande (ordonne) de la cacher.
Les titres suivants Fool, No Good, My Body et Don’t Let Them In, sont empreints d’une certaine violence.
Violence des rapports à ceux qu’il défiait dans Fool. Le rythme reste lent comme dans les titres précédents mais les apports sont plus riches qu’à l’accoutumée. Synthés, claquements de doigts, batterie au premier plan, choeurs, cuivres, shaker, les chansons de Perfume Genius assument les fioritures.
Violence dans son rapport à l’amour dans No Good, et si ce titre ne vous touche pas au point de verser ne serait-ce qu’une seule larme je crois que personne ne pourra plus rien faire pour vous. Seul au piano Mike joue ici, une fois encore, du double sens. En effet connaissant son penchant pour l’autoflagellation et le mépris de soi comment comprendre le premier couplet? Parle t’il de son corps qui serait mauvais ou suggère t’il à nouveau qu’il n’est pas digne d’être aimé? Sans doute les 2 avec en plus un lien de causalité entre les deux acceptions.
There’s no genuine, There’s no safe place for the heart to hang
When the body’s no good
To me love was always a hidden thing, stolen moment at a time
A feeling only held for a little while and then ripped from your arms like a child
Violence du corps qui baise dans My Body. Uppercut. K.O. Une basse très lourde et quelques notes de synthés. Un titre court. Des mots en pleine gueule. Triple sens ici du corps dégradé/qui se dégrade/qu’on aime à voir dégrader. Your welcome. Le refrain est miaulé du fond de la backroom, au bord de l’étouffement. Sali.
I wear my body like a rotted peach, you can have it if you handle the stink
I’m as open as a gutted pig. On the small of every back you’ll see a picture of me wearing my body
Violence du corps qui souffre dans Don’t Let Them In. Après s’être ouverte/offerte dans le titre précédent la musique de Perfume Genius retourne dans sa coquille, se love autour de son piano, seulement accompagné (au piano également) par son ami. C’est la fin du règne. La reine se meurt.
Don’t let them in I am too tired to hold myself carefully, and wink when they circle the fact that I’m trapped in this body
et la face A se termine sur ces mots:
Don’t let them in they’re well intended, but each comment rattles some deep ancient queen
Grid reprend les thèmes de I decline, mais l’ange a disparu, il ne reste plus que les cris des harpies pour accompagner le final où s’énonce une certaine vision de la vie : un diamant qu’on avale et qu’on chie et qu’on avale encore … au moins on sait d’où il vient (c’est lui qui le dit mais on est nombreux à le penser, non ?)
Longpig aux paroles obscures aborde 2 thèmes essentiels dans l’univers du compositeur : la chair et la mère. Longpig étant le terme pour désigner en argot la viande humaine (pas la chair, la viande, celle qu’on mange). Dans ce titre aux rythmiques tribales il est question de viande enterrée, de maman, de soeur. Enigmatique mais pas moins que le titre suivant, I’m a Mother. Dans une atmosphère post-apocalyptique, créée par des nappes de synthés, la voix déformée de Mike Hadreas murmhurle quelques mots sur sa mère. Angoissant ? Etrange ? Chacun y projettera ce qu’il souhaite. Ce titre est un chef-d’oeuvre à fragmentation, il explose en plein cœur et vous retourne tous les organes, quant au cerveau il est dans la confusion, tous les sentiments qu’on peut avoir pour une mère sont réunis là. Atomisé. Les premières notes de Too Bright apportent un apaisement salutaire, le jeune gay réaffirme avec sérénité qu’il n’est et ne restera que ce qu’il est, sans colère et sans honte. Et c’est avec la conclusion de All Along que je me permettrai d’affirmer que cet album est une merveille. Chacun de nous a eu (et aura) son lot de souffrances. Il faut lutter sans cesse pour trouver/gagner son identité, chacun à sa manière, c’est un re-questionnement permanent, sans cesse dans les paradoxes et les ambivalences nous errons. Nous avons tous nos revendications, nos exigences, nos peurs et nos hontes. Tous différents mais tous le même besoin :
I don’t need your love
I don’t need you to understand
I need you to listen
Terriblement brillant oui ! Au-delà de la production parfaite de Adrian Utley il est à noter que Mike Hadreas impressionne ici avec une performance vocale exceptionnelle puisqu’il a réalisé toutes les voix chœurs compris, dévoilant encore un peu plus de son talent qui parait infini.
Too Bright est à l’évidence l’album le plus attractif de Perfume Genius. Une pochette qui attire le regard, le chanteur en gros plan, le regard sûr qui ne nous fixe pas mais nous garde sous contrôle, un top avec des p’tits picots qui brillent, une coupe de cheveux gominée, so glam !!! La musique se fait plus accueillante également, plus riche, parfois même presque plus entraînante, on se surprendrait presque à danser. Puis on s’intéresse au propos et on est percuté par sa gravité. Il nous parle à tous, il nous parle de nous tous, et ce malgré l’aspect extrêmement personnel de ce qui est raconté. C’est ça le génie.
Album de l’année
Too Bright est sorti le 23 Septembre 2014 chez MATADOR
p.s.: un immense merci à Vicente DeNocheMiento qui m’a apporté une aide considérable.