[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]P[/mks_dropcap]assés au crible de la sociologie acérée ou de la psychologie la plus basique (fût-elle de comptoir), les groupes de rock sont des sujets d’observation au moins aussi fascinants que les cellules familiales : les inévitables concessions, le poids du quotidien et les frictions égotiques y côtoient la proximité bienveillante, la complicité chaleureuse et le sens du bien commun. À ce titre, le cas de la formation parisienne Poni Hoax est particulièrement éloquent, tant ses membres font preuve, à longueur d’interviews, d’une sincérité et d’une franchise désarmantes lorsqu’il s’agit d’évoquer les caractéristiques de leur fonctionnement interne. En activité depuis une quinzaine d’années, voilà un quintet qui sera passé, au fil d’une carrière jusqu’ici aussi viscéralement chaotique qu’incroyablement pérenne, au travers de toutes les montagnes russes émotionnelles imaginables, de la fébrilité face au succès d’estime à l’angoisse de la feuille blanche, de la volonté d’intégrité artistique à celle d’élargir son audience sans trahir ses idéaux.
Formé en 2001 par Laurent Bardainne (claviers, saxophone), Vincent Taeger (batterie, percussions), Nicolas Villebrun (guitare) et Arnaud Roulin (claviers), qui seront rejoints un peu plus tard par le chanteur Nicolas Ker, le groupe frappera très fort en 2006 avec son premier album, publié sur le label Tigersushi de leur producteur Joakim : aux confins de l’électronique la plus dure, du rock le plus ombrageux et de la cold wave la plus vénéneuse, Poni Hoax (le disque), dévoile une ambition sans équivoque et un professionnalisme n’ayant rien à envier à celui de leurs pairs anglais ou américains. Le succès plus conséquent semble s’amorcer en 2008 avec l’opus suivant, Images Of Sigrid, et surtout le sautillant single Antibodies, qui se voit offrir une position de choix dans les playlists de plusieurs radios en France.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]I[/mks_dropcap]nexplicablement, et malgré une réputation scénique enviable, le groupe restera néanmoins coincé dans les marges de l’underground : la faute peut-être au comportement parfois erratique voire autiste de certains de ses membres, pour qui le jeu de la promotion et du circuit médiatique s’avère aussi plaisant qu’une séance de torture. Alors que leur musique aurait dû largement suffire à faire la différence, leur mode de vie déjanté et une image (pourtant pas si simple) de trublions ingérables sembleront leur coller à la peau et les priver d’une large reconnaissance publique pourtant amplement méritée. Mais comme l’atteste le stupéfiant documentaire Drunk In The House Of Lords, portrait explosif et explosé, tourné autour du groupe à l’époque, ces types-là semblent n’en avoir cure. Pour eux, l’essentiel est définitivement ailleurs : dans le plaisir de jouer ensemble, de s’adonner à d’orgiaques agapes et de filer à fond sur la corde raide de l’épicurisme le plus forcené. Entre une hypothétique défonce dans la Chambre des Lords et une existence morne de nains anonymes, fussent-ils juchés sur des épaules de géants, le choix, même par défaut, sera vite tranché.
Même payée au prix fort, cette attitude semble pourtant l’explication la plus rationnelle à leur endurance à (presque) toute épreuve. Sinon, comment expliquer qu’ils aient résisté à la séparation d’avec leur label-mère (et donc leur mentor, responsable du son monumental de leurs deux premiers albums), à l’échec d’une signature pourtant quasiment acquise avec le géant Columbia, ainsi qu’aux tensions internes, inévitables lorsque cinq personnalités aussi fortes que les leurs doivent se canaliser pour tenir un tel édifice debout, contre vents, marées et méventes chroniques ? Le salut viendra du label Pan European Recording, repaire de furieux activistes (que j’ai déjà largement évoqué le mois dernier ici même, à l’occasion de son dixième anniversaire), qui les signera alors que l’hypothétique troisième album se fait douloureusement attendre, maintes fois réenregistré avec plusieurs producteurs et toujours pas bouclé, quatre ans après la promesse à moitié tenue par Antibodies et son groove irrésistible.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]F[/mks_dropcap]inalement publié au début de l’année 2013, ce fameux State Of War constituera une réussite éclatante, ne serait-ce que par son existence même. Poni Hoax not dead, semblent affirmer ces onze morceaux auto-produits, dont la charpente se fait plus souple voire plus pop que par le passé, alors que le propos comme l’ambiance sont plus sombres que jamais. Si le concept de base était sensé être celui de la guerre et de son atrocité, celui-ci se sera dilué au fil des années de gestation au profit d’une approche bien plus introspective, notamment du fait des textes ébréchés de Nicolas Ker, dont le chant semble libéré comme jamais, sorti du carcan un peu raide fourni par la production efficace des précédents efforts du groupe. Aéré jusqu’au vertige, le disque sacrifie sa cohérence au profit d’une musicalité inédite, de l’implacable et entraînant There’s Nothing Left For You Here à la mélancolie feutrée de Life In A New Motion, du clin d’oeil glam rock de Down On Serpent Street, digne du meilleur Roxy Music, à l’hypnotique et obsédant final The Word.
Si le groupe s’est probablement senti libéré d’un poids conséquent avec la sortie de cet album, qui avait fini par constituer une arlésienne y compris pour eux-mêmes, les circonstances les ont également placés devant un mur d’interrogations : quelle suite donner à leur affaire ? Bien que jouissant toujours d’une bonne cote auprès de la critique, Poni Hoax semble (définitivement ?) passé de mode auprès de ceux-là même qui le portaient aux nues seulement cinq ans auparavant. À présent entrés dans la quarantaine grisonnante, ses membres ne pouvaient désormais esquiver l’épineuse question de l’avenir en se planquant dans une de leurs traditionnelles catharsis festives.
Ce sera aussi le moment, pour certains d’entre eux, de se tourner vers d’autres activités annexes : Nicolas Ker s’attellera à la réalisation de son premier disque en solo, tandis que Laurent Bardainne s’en retournera vers Limousine, la formation indie-jazz qu’il codirige en parallèle avec le guitariste Maxime Delpierre et le batteur David Aknin, dont il ira frotter les textures ouatées aux sonorités exotiques de la musique traditionnelle thaïlandaise. Le disque résultant de ces sessions, qui paraîtra en 2014 sous le titre Siam Roads, sera une telle réussite, humaine comme artistique, qu’il donnera à Bardainne l’envie de faire prendre l’air, à son tour, au rock hybride et possédé de Poni Hoax.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]F[/mks_dropcap]inancé pour partie par l’Institut Français et Agnès B, fan de la première heure et mécène avisée, le projet suivant du groupe sera donc enregistré par portions en Afrique du Sud, au Brésil et en Thaïlande, avant d’être finalisé à Paris. À l’écoute du premier extrait de ce quatrième album, Tropical Suite, on est saisi par l’ampleur du son et l’assurance placide affichée par le groupe : All The Girls est une entrée en matière idéale, mid-tempo abrasif mené par la voix rugueuse de Nicolas Ker, dont la morgue crâneuse se marie parfaitement aux élans épiques de la rythmique implacable brodée par ses camarades.
La suite du disque impressionne de bout en bout, tant par sa cohérence que par sa diversité d’humeurs déployées : ramassés sur quarante-cinq minutes en une sorte de mixtape idéale de toutes les obsessions de ses auteurs, les titres de Tropical Suite transpirent une fluidité épatante doublée d’une profondeur inédite. De l’entêtante et solennelle The Music Never Dies à la déchirante Belladonna, sur laquelle le chant outrageusement trafiqué mais terriblement émouvant de Ker évoque un tuner coincé entre deux fréquences radios, du très funky The Wild, dont les syncopes renvoient à celles que Nile Rodgers offrit jadis à David Bowie en guise de bain de luxure, au scintillant et lubrique Lights Out, l’album affiche une soif décomplexée d’en découdre, avec tous les outils à portée du quintet.
Pris dans un tourbillon d’émotions à vif, véhiculées par la voix du chanteur, qui sonne comme enfin libéré des figures tutélaires de son passé (de Jim Morrison à Ian Curtis), les musiciens s’en donnent à coeur joie, jusqu’aux modèles de groove addictif que sont le fulgurant I Never Knew You Were You, à la pulsation roborative nimbée de relents éthio-jazz, et le lancinant Everything Is Real, sorte de prototype électro-afrobeat dont la nappe synthétique renversante, à la limite de la dissonance, marque l’auditeur au fer noir, de façon indélébile : ce monde en feu qui nous entoure est bien réel, nous n’avons que nos rêves pour nous défendre.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]T[/mks_dropcap]ropicale fuite ? Certainement pas. À l’inverse de Limousine et de leur Siam Roads, auxquels le voyage a apporté un changement profond par son principe et son but mêmes, cette Tropical Suite s’en nourrit d’une manière bien plus détournée : bien que le groupe ait soigneusement sélectionné ses points de chute, peu importe la destination, pourvu qu’on ait la paix, en quelque sorte. Si, techniquement, ce disque aurait très bien pu être intégralement enregistré à Paris, on sent confusément que la pression exercée par la capitale sur nos amis de Poni Hoax, que ce soit comme source de tentations ou générateur de routine lénifiante, n’aurait pas permis l’existence d’une musique si effrontément libre, affranchie des codes auxquels même ces francs-tireurs auraient pu s’astreindre. On peut concevoir par ailleurs, connaissant leurs états de service en dehors du giron de ce groupe, que Nicolas Ker aurait préféré un disque plus rock, plus tranchant, ou que Laurent Bardainne rêvait d’une explosion enivrante et colorée plus radicale encore.
Mais qu’ils se rassurent, s’il y a bien une chose qui devrait les satisfaire tous les deux, ainsi que leurs trois acolytes, c’est qu’en 2017, cet album ne ressemble à aucun autre : ce que Poni Hoax a perdu en puissance évidente et en tension paroxystique, il l’a gagné en force intranquille et pernicieuse, en charme accidentel et insolent. C’est peut-être, finalement, en ne cherchant pas (ou plus) à séduire, en semblant se moquer de la pertinence du résultat et de ses conséquences pour la suite de leur foutue carrière (et non carrière foutue, loin de là), que les protagonistes de ce groupe ont trouvé leur propre pierre philosophale, travaillée au corps, dans le cadre, fragile et périssable, de cette famille qu’ils se sont choisie, pour le meilleur comme le pire.
Comme pour réaffirmer, à l’instar de Nicolas Ker sur la chanson qui porte ce titre, qu’envers et contre tout, la musique ne meurt jamais.
Tropical Suite est disponible en CD, vinyle et digital depuis le vendredi 3 février 2017 via Pan European Recording.
Poni Hoax sera en concert le 10 février à Strasbourg (La Laiterie Artefact), le 11 février à Belleville-sur-Meuse (MJC du Verdunois), le 22 mars à Paris (Trabendo), le 24 mars à Bron (Jack Jack), le 25 mars à Marseille (Cabaret Aléatoire), le 30 mars à Nantes (Stereolux), le 6 avril à Montpellier (Rockstore) et le 13 mai 2017 à Mérignac (Krakatoa).
Facebook Officiel – Drunk In The House Of Lords
Photo bandeau © Agnès Dherbeys.
Rarement lu un article ayant autant restitué la réalité de ce que nous avons effectivement vécu.
Merci pour votre discernement, votre intérêt et votre bienveillance.
Brothers in words,
Nico Ker.
Wow. Extrêmement honoré par votre commentaire. Je vous souhaite toute la réussite, artistique et humaine, que vous méritez amplement, en groupe ou en solitaire, quoi que vous entrepreniez à l’avenir. Bien amicalement, FG