[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap] quelques jours du concert d’Iggy Pop à Paris, quelques semaines après la sortie de son nouvel album, Post Pop Depression, il aurait été criminel de laisser passer l’événement inaperçu. Car oui, cet album est un événement. Depuis plusieurs années, le seul, l’unique Iguane nous a soit manqué, soit déçus.
Albums très inégaux où l’on pouvait glaner deux ou trois titres à se mettre sous la dent, bizarreries sympathiques tel ce Après où Iggy livrait ses interprétations très… personnelles de classiques comme Les feuilles mortes ou La Javanaise, gâchant un talent certain de crooner dont il avait pourtant largement fait la preuve dans le fantastique Avenue B. Tentatives louables de reformation des Stooges avec d’ex-collègues plus très frais… Retrouvailles mi-figue mi-raisin avec un James Williamson avec lequel il avait pourtant produit un Kill City bordélique mais enfiévré… On commençait à désespérer.
Mais voilà, l’homme est de ceux dont on peut attendre des miracles. A 70 ans, James Osterberg a compris qu’il fallait savoir s’entourer, et c’est avec Josh Homme, ex de Queen of the Stone Age et de Eagles of Death Metal, qu’il s’est acoquiné pour produire un diamant noir où l’énergie le dispute à la créativité et à l’inspiration.
[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]es deux premiers morceaux sont de ceux qui vous restent dans la tête toute la journée pour peu que vous les ayez entendus dès le matin. Break into your heart semble avoir été écrit pour mettre en valeur la voix d’Iggy, dont on ne dira jamais assez combien elle est exceptionnelle. Il suffit de l’avoir vu continuer à chanter juste dans les positions les plus invraisemblables, renversé dans la foule, secoué et déshabillé par elle… Une chanson au tempo lent, à la fois menaçante et amoureuse, guitares et basse grasses et collantes, batterie minimaliste : avec ce morceau-là, à coup sûr, Iggy « fait irruption dans notre cœur, rampe sous notre peau, fait tomber les murs… »
La suivante, Gardenia, est un bel hommage syncopé et presque pop, vibrato à tous les étages, à certaine déesse noire en imperméable rencontrée au détour d’une rue et disparue, peut-être dans un motel bon marché. Et puis on passe à celle qu’on peut considérer comme un des clous de l’album, American Valhalla. Et là, je vais laisser la parole au maître et à son complice Josh Homme, que vous pouvez entendre là, sur le site Song Exploder.
Quelques extraits de la conversation :
[mks_pullquote align= »left » width= »80″ size= »48″ bg_color= »#e2de00″ txt_color= »#ffffff »]«[/mks_pullquote]Iggy Pop : Voilà l’histoire : Josh m’a envoyé une démo merdique, avec une étiquette « Démo merdique », juste le motif au vibraphone et au steel drum.
Josh Homme : Le vibraphone est supposé être branché pour produire une sorte d’écho, mais je ne l’ai pas branché, il est joué juste comme ça, en acoustique.
Iggy Pop : Et la mélodie au steel drum est vraiment incroyable.
Josh Homme : Oui, c’est le cœur même de la chanson, son cœur primitif, sa transe.
Iggy Pop : Ensuite, il m’a envoyé un texte qui expliquait que le Valhalla était le plus beau lieu pour les anciens guerriers, bien supérieur à ceux des autres cultures. Il fallait avoir fait quelque chose de vraiment courageux pour être admis au Valhalla. Ce qui m’a suggéré la question suivante : existe-t-il un Valhalla américain ? Où est-il ? Après cette conversation, j’ai passé la journée à chanter dans ma voiture. Et c’est là que sont venues les paroles.
Josh Homme : Cette notion-là, qui est dans les paroles : « J’ai vécu ma jeunesse, prenez ce qui reste de moi », est tellement émouvante, elle vous brise le cœur, elle vous tire des larmes. Iggy Pop a 68 ans, mais la perspective qu’il évoque là, la fragilité, la vulnérabilité, ce sont des choses qu’on peut percevoir à n’importe quel âge. « Je suis entièrement nu, qu’est-ce que je vais emporter avec moi? Qui dois-je tuer pour entrer au Valhalla? » Voilà ce que dit cette chanson. Tous les deux, nous sommes partis à la chasse au rock dans ce morceau. Nous avons voulu que le poids, la lourdeur, vienne du contenu. Pas de distorsion, pas de trucs faciles. Il y a ce drame presque lyrique, ce regard jeté vers les étoiles, et puis cet écho sur la voix. « Is there anybody in there, who do I have to kill? » Et là, j’ai inversé la réverb. Et puis la réverb s’en va, et la musique redevient claire.
Iggy Pop : Là, j’ai pensé à ce soldat qui a plus de quarante ans, qui a vécu des expériences incroyables, mais qui n’a plus rien, plus de repères, plus de direction. Cet homme-là a envie d’être « correct », mais il ne sait plus ce que c’est. Josh a mis l’accent sur la fin de la chanson, c’est lui qui a voulu que je dise ce dernier vers à nu, sans accompagnement : « I’ve nothing but my name. »
Josh Homme : Oui, et ce frottement qu’on entend, c’est toi qui te lèves. A la fin, tu n’es toujours pas entré au Valhalla. On ne saura jamais si tu y entres.
[mks_pullquote align= »right » width= »80″ size= »48″ bg_color= »#e2de00″ txt_color= »#ffffff »]»[/mks_pullquote]Iggy Pop : Avant d’appeler Josh, j’ai voulu réfléchir tout seul. Et au final, je suis presque sûr que ce sera mon dernier album. Aujourd’hui, je préfère regarder les choses, être témoin, observer un beau ciel. Je n’ai plus envie d’être dans l’action.
[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]U[/mks_dropcap]ne dernière phrase inquiétante pour le fan, confirmée par la chanson suivante, In the lobby, où le personnage suit sa propre ombre qui le tient en laisse… et la nuit est longue, et la vie est absurde. Get out of sight / Out of the light. La suivante, Sunday, met en scène quelqu’un qui attend dimanche, le seul jour de la semaine où il n’a rien à prouver. « J’ai tout ce qu’il me faut, et ça me tue. » Gros coup de colère avec Vulture : qui peut bien être cet oiseau de malheur, planté au bord de la route à mâcher de la viande morte ? Vulture, vulture, vulture, clame Iggy. Et on voit bien ce qu’il veut dire. German Days est une vision rétrospective de sa vie à Berlin, dans les années 70, avec Bowie, pas de narration, des images seulement, des images et des sons, et du champagne glacé qui scintille au fond du verre. Avec Chocolate Drops, on remonte un peu à la surface, mélodie accrocheuse, chœurs efficaces : « Quand tu es au fond du trou, tu n’es pas si loin du ciel, quand la merde se transforme en gouttes de chocolat. » Final grandiose avec Paraguay, une structure complexe pour une chanson à ruptures, à chœurs, encore, qui décrit un monde où nous avons tous peur, où on aspire à un ailleurs… au Paraguay ? Là, Iggy se lâche et déverse un tombereau d’invectives, de mépris, de colère envers un monde qu’il a, visiblement, envie de lâcher.
Comment parler de la musique de Post Pop Depression? Iggy évoque une suite logique à sa période berlinoise. Soit. On peut aussi penser à cet album « arty », produit avec Chris Stein, Zombie Birdhouse, presque agaçant tellement il est « avant-garde ». En fait, cet album ne ressemble à aucun autre, il est tout à la fois. Un début, une fin, une renaissance, un chant du cygne. Il est bouleversant car il ne recule devant rien, ne se prive d’aucune dissonance, d’aucun son incongru, il est chanté avec l’énergie du désespoir, de la colère mais aussi avec une certaine distance. Il porte en lui, tout entière, la vie d’un homme pas comme les autres, d’un héros, d’un homme brave, en quelque sorte. Alors, le meilleur disque d’Iggy Pop ? Impossible à dire : c’est l’album qu’il n’aurait pas pu faire avant. Méfiez-vous : Post Pop Depression n’est pas un album anodin, c’est une œuvre qui s’accroche à vous. Et après tout tant mieux : c’est un disque profondément sincère, politique, incroyablement audacieux et émouvant. Un très grand album, quoi.
Iggy Pop, Post Pop Depression, avec Joshua Homme, Dean Fertita et Matt Helders
En concert en France cet été : le 15 mai au Grand Rex (complet), le 1er juillet au Main Square Festival (Arras), le 6 juillet au festival Cognac Blues Passion, le 8 juillet au festival Lost in Limoges, le 29 juillet au festival Les Escales de Saint-Nazaire, le 31 juillet au festival Ecaussystem à Gignac (46), le 14 août à la Fête du Bruit dans Landerneau, le 28 août à Rock en Seine (Saint-Cloud).
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