« Raviver : rendre plus vif. Raviver le feu.
Raviver un tableau. Rendre à ses douleurs l’éclat qu’elles ont perdu.
Terme de chirurgie. Raviver une plaie, la rendre vermeille.
On dit de même : raviver les chairs d’une plaie.»
Le Littré
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]vec Ravive, publié par les jeunes éditions de l’Ogre en octobre dernier, Romain Verger s’adonne avec maestria à l’exercice périlleux de la nouvelle, genre dont on espère que le public français s’emparera enfin avec autant d’enthousiasme et de gourmandise que le lectorat américain.
Romain Verger propose ainsi un recueil de neuf nouvelles, fruits vénéneux d’un monde entre deux mondes, où fièvre est synonyme d’épopée.
Un univers qui laisse deviner son origine, faite d’eau, d’une passion manifeste pour l’art romantique dans ce qu’il a de plus violent, de poésie et de pierres, de paysages luxuriants longuement observés par l’auteur et d’une fascination pour la folie dans lesquels les personnages s’enfoncent toujours plus profondément. Où, comme le dit Henri Michaux, « la nuit remue ».
Car les nouvelles composant ce recueil sont autant de territoires qui, de par leur vacillement, leurs fractures, questionnent le dedans, le dehors et leurs interactions moites : les êtres, pour lesquels chaque jour devient une lutte, mutent, basculent, dévient de leur trajectoire. Evoluent dans un univers pétri d’une sensualité rare, crue, faite de sexe, de sueur, de sang, d’organes qui palpitent et de chairs en putréfaction.
La vie grouille, fiévreuse, inquiète. Et la mort, sa sœur noire, n’est jamais très loin. Toutes deux fuient le réel en creusant de profonds sillons.
Terra et aqua
Ce déséquilibre permanent des personnages et des situations enfle comme une vague rythmée par une belle écriture ciselée, foisonnante, empreinte d’un classicisme baudelairien, où la noirceur devient éclatante.
« Feu à ton front et et braises dans tes veines. Tu es continuellement fiévreux et tu ne dors plus, tu es malade comme l’est l’été qui s’attarde et refuse de céder la place à l’automne. Ta maladie ne s’attrape pas, c’est l’été que tu as embrassé, qui brûle en toi et aux horloges des églises. Tu ne dors plus, n’est plus fatigué ton corps, n’est plus lourde ta tête, n’est plus lasse ta pensée, la pulsation du soleil carillonne à tes tempes, à tes chevilles, à tes poignets et dans ton ventre l’ardent désir de vivre et d’aimer. L’heure étale de midi a dévoré les vingt-trois autres, elle a rogné les ombres des façades, des arbres secs, des bus et des passants, étouffé la voix de ta conscience. Tu voudrais ne jamais guérir, ne plus jamais dormir, fixer la lumière de l’œil dur et sans paupière de l’écrevisse. Ta maladie suspend le décompte du temps à ton pouls, c’est la revanche de la chair sur les mots, du fauve sur l’homme. Tu ne dors plus, tu n’as plus besoin de rêver pour te rêver libre et sauvage, grand prédateur lâché dans la jungle urbaine. Ta maladie ne se transmet pas, c’est le monde, l’air et le soleil autour de toi qui sont devenus contagieux, et qui t’inoculent leur mal quand tu cours chaque nuit à perdre haleine à travers les rues brûlantes de Paris. » Extrait tiré de la nouvelle L’année sabbatique.
A la lecture de Ravive, on pense à ces quelques vers issus de Terraqué, très beau recueil de poésie de Guillevic :
« Il suffit d’une pierre
Pour y penser
Que c’est si vieux,
Que l’eau croupit contre la vase,
Que le feu s’époumone
A bouillir le métal.
Le temps, le temps
A pu faire d’une flamme
Une pierre qui dort debout.
Mais ton sein pointe dru
Contre le jour qui traîne.
C’est vrai
Qu’il y a aussi les étoiles
Et qu’elles sont belles.
Que brûler leur donne
En fruit la lumière,
Et que rien ne dit
Qu’en leurs feux de pierre
Elles ne sauront rien
De nos mains qui grouillent,
De nos mains qui fouillent. »
Le champ lexical, soutenu, voire savant, dénote un amour évident pour les mots et donne, par là-même, une netteté éblouissante aux images, quasi-hallucinatoire.
Au-delà de la beauté, c’est le sublime, dans ce qu’il a de rude et de négligé, que nous offre Romain Verger avec Ravive. Edmund Burke, dans sa Recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du beau (1757), affirme que « tout ce qui est propre à exciter les idées de la douleur et du danger, c’est-à- dire toute ce qui est en quelque sorte terrible, tout ce qui traite d’objets terribles, tout ce qui agit d’une manière analogue à la terreur, est une source du sublime ; ou, si l’on veut, peut susciter la plus forte émotion que l’âme soit capable de sentir.».
Chez Romain Verger, le réel se tord pour que s’enracine le rêve dans un chant crépusculaire. Et c’est là que surgit l’invitation radicale : celle de plonger dans Ravive avec langueur et docilité pour, enfin, se laisser malmener par ce bijou, sombre et brillant.
Ravive de Romain Verger paru aux Editions de l’Ogre, octobre 2016.