La maison Métailié poursuit son formidable travail de réédition dans la collection Suites. Il s’agit de donner une nouvelle vie, à un tarif plus qu’abordable, entre 7 et 10 euros, à des œuvres déjà parues en grand format ces dernières années.
Après Santiago Gamboa, John Burnside ou encore la formidable trilogie écrite par Hannelore Cayre, c’est au tour de José Eduardo Agualusa, Pierre Christin et Leonardo Padura d’être proposés au public.
Voici quelques mots sur ces trois romans.
Mort d’un Chinois à La Havane
de Leonardo Padura
L’inspecteur Mario Conde est le personnage fétiche de Leonardo Padura qui a signé avec lui plusieurs enquêtes. Pour ce court roman, enquête est peut-être un mot fort, même si Conde doit effectivement résoudre une affaire. Un vieux Chinois a été retrouvé mort avec, sur sa poitrine un cercle avec des flèches dessinées au rasoir et un doigt tranché.
C’est en fait un prétexte pour Padura à nous promener dans le quartier chinois de La Havane puis à nous balader à travers la ville. À la recherche de la vérité, avec l’aide de plusieurs personnages étonnants mais aussi à la recherche du meilleur rhum, du bar parfait, de la femme rêvée et toujours avec cette mélancolie traînante collée à ses basques.
Une petite centaine de pages qui nous entraîne et nous dépayse totalement.
Mort d’un Chinois à La Havane de Leonardo Padura
traduit de l’espagnol (Cuba) par René Solis – éditions Métailié, collection Suites – mai 2018
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Théorie Générale de l’Oubli
de José Eduardo Agualusa
Entrer dans Théorie Générale de l’Oubli, c’est déjà accepter le côté schizophrénique de l’affaire et savoir que l’on va être enfermé dans une histoire qui nous dépasse et dépasse aussi les personnages la vivant. En effet, l’Angola prend une place importante chez José Eduardo Agualusa, sa révolution et son évolution.
En 1975, Ludovica, jeune femme plutôt perturbée, se retrouve en Angola. Elle a suivi sa sœur, mariée à un Angolais. Ils partagent, tous, un appartement à Luanda. Mais les événements en cours dans le pays vont faire de Ludovica une sorte de prisonnière volontaire. La révolution a lieu, son beau-frère et sa sœur disparaissent et elle préfère s’enfermer dans son chez-elle avec son jeune chiot.
À partir de là, l’auteur tisse un trame impressionnante, passant de la vie de cette femme enfermée pendant trente ans, survivant comme elle peut sur ses réserves et communiquant finalement avec le monde extérieur à la vie du dehors, la violence de la révolution et les ingérences de certains pays.
José Eduardo Agualusa propose un roman de l’enfermement mais paradoxalement il y inclut une certaine poésie qui amène heureusement une respiration dans son œuvre.
Théorie Générale de l’Oubli de José Eduardo Agualusa
traduit du portugais (Angola) par Geneviève Leibrich – éditions Métailié, collection Suites – mai 2018
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Petits Crimes Contre les Humanités
de Pierre Christin
CAMIF, CROUS et MAIF résident en bonne place dans le roman de Pierre Christin. Le titre donne un bel indice. Nous sommes effectivement en plein roman universitaire pendant les 250 pages de ces Petits Crimes Contre les Humanités. On pense à David Lodge et à son humour. Christin s’en approche et s’amuse à décrire une faculté de province, ses profs agrégés ou pas, ses chargés de mission(s), tout ce petit monde qui se tire dans les pattes, s’admire ou/et se déteste. Christin n’hésite pas à être féroce, use et abuse des sigles dont les universitaires semblent raffoler.
Savez-vous quelles sont les trois grandes raisons de travailler à la faculté ? Devant le silence du naïf cherchant des pensées élevées qui auraient pu avoir été formulées par il ne savait quel grand esprit, on lui vendait la mèche : « Juillet, août, septembre, cher collègue, voilà les trois grandes raisons. »
Époque bien révolue, tant la montée du nombre d’étudiants, l’imbrication croissante des enseignements, la paperasserie exponentielle, l’insuffisance chronique de personnel administratif et, plus globalement, le bordel complet qui régnait dans l’usine à gaz de la fac avaient grignoté le temps livre qui jadis pouvait perte consacré aux recherches personnelles ou à la thèse…
On peut signaler le travail de Christin sur les noms de ses personnages. Ainsi, Serge-Emmanuel L’Hours ou encore Jean-Paul Doutrelombe, chacun portant plutôt bien son patronyme.
L’intrigue est assez simple : des mails sont envoyés à certains éminents professeurs. Ils sont anonymes et font une victime. Un homme, assez âgé, meurt. Une bibliothèque importante est léguée mais le testament contesté. Le président de l’Université charge deux jeunes professeurs de mener l’enquête.
On la suit avec délice, riant parfois, rire qui se mélange avec l’effarement à propos de l’effondrement des universités décrit ici.