[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″] »L[/mks_dropcap]es enfants élevés sous les arbres savent que les bois ne sont hostiles qu’à ceux qui n’ont jamais appris à distinguer leur ombre au creux du noir. Je n’avais pas à m’inquiéter pour eux. Si les fantômes faisaient partie de leurs jeux, ce n’était qu’en vertu d’un mensonge qu’ils protégeaient farouchement. »
Mais il arrive pourtant que les spectres des histoires se meuvent en une présence indicible mais bien réelle, de celles qui dérobent les esprits aventureux s’étant risqués trop loin du sentier. Car les bois, comme la mer, savent prendre et ne pas rendre. Ainsi le sort de Michael, 12 ans, s’en trouvera-t-il scellé par l’appétit de la forêt entourant la petite bourgade de Rivière-aux-Trembles. En août 1979, il disparaît en effet, comme aspiré par une force sylvestre ténébreuse, devant les yeux de son amie Marnie Durchamp. À jamais hantée par cette scène effrayante, Marnie la revisitera maintes fois, en rêves, souvenirs, et autres obscures réminiscences, afin d’y déceler, peut-être, la clef de ce sinistre mystère.
« J’étais la rescapée, celle qui n’avait droit ni à la compassion ni à la chaleur des bras tendus. »
Trois décennies plus tard, c’est au tour de la petite Billie Richard (neuf ans) de disparaître subitement. Et là aussi, non loin des aulnes, chênes et autres érables séculaires. Dans les deux cas, les recherches, nombreuses, demeurent infructueuses, et tous les regards se tournent vers l’entourage proche des disparus. Si Marnie a du essuyer, du haut de ses onze ans, des accusations perfides, calomnieuses, la poussant à déménager loin de son environnement familier, William (Bill), le père de Billie, doit lui aussi faire face à une culpabilité venimeuse que sa femme et les flics chargés de l’enquête s’empressent de lui balancer à la figure.
« Parce-que le doute, bien sûr, entrait parfois par la porte de derrière, (…), pour me sauter dans le dos, me prendre la tête à deux mains et la secouer jusqu’à ce que je hurle que c’était pas moi, que ça pouvait pas être moi qui avais fait disparaître Billie dans la brume de janvier. »
Survivants de deux drames insolubles, Marnie et Bill vont croiser leurs destinées traumatiques au bord de la rivière-qui-tremble, où la première est venue enterrer son père ainsi qu’affronter les revenants qui voudront bien se présenter, et où le second est venu trouver refuge après l’explosion de son mariage. À l’image de deux animaux blessés, ils s’isolent, se terrent, pour mourir un peu, ou tenter de survivre à petit feu. Un sursis bancal et illusoire qu’un nouvel accident finira de réduire en cendres. Et tandis que Marnie semblera par moment embrasser la folie à laquelle elle croit être prédestinée (le choix de son prénom est lié au personnage éponyme du film d’Hitchcock), Bill versera dans l’auto-mutilation psychologique, convoquant flashes-back lumineux puis suppositions névrotiques : ce sera le récit, alterné, de deux êtres tenus en joue par l’attente, cette longue impatience.
Si Bondrée vous avait ensorcelé, Rivière tremblante finira de vous envoûter, vous rendant pleinement captifs de ses forêts où les contes se jouent de la réalité jusqu’à l’invoquer, dans la peur et l’effroi. L’enfance en est une région où la grâce d’être au monde est encore vivace, lorsqu’elle n’est pas fauchée par des tragédies imputables à d’autres âges.
Ici, donc, nulle véritable investigation, mais plutôt un impitoyable examen des consciences, à la lueur du désespoir, de la douleur, de l’incompréhension. Dans une langue très littéraire se conjuguent des pages désabusées que seule une poésie instinctive sauve de la gueule du loup. La récurrence des expressions québécoises et américaines – brutes et limpides tout en oubliant d’être maladroitement rustiques – apporte une fraîcheur bienvenue et finit de forger le ton si singulier d’Andrée A. Michaud, presque endémique, si l’on peut l’écrire, de son oeuvre magnétique. Car si son cœur semble bel et bien épris de ces territoires boisés pleins de légendes (la forêt couvre quasiment la moitié du Québec), sa plume nous apparaît quant à elle préoccupée par l’âme humaine et ses tréfonds ineffables face à une existence logée parmi tant d’autres. Oscillant alors entre fantasmagories troublantes et lucidité crue, Andrée A. Michaud explore de nouveau, et peut-être plus profondément encore, l’abîme qui, à la manière des monstres tapis sous le lit, se révèle aussi proche que notre propre reflet tremblant.
Je me le suis acheté et après votre article, j’ai encore plus hâte de le commencer !
N’hésitez surtout pas à venir partager vos sentiments de lecture ! Merci, et à bientôt sur Addict Culture 🙂