[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]orsque Robert Forster, une des plus belles plumes de l’histoire de la musique décide d’écrire son autobiographie, le résultat est à la fois poignant, drôle, décalé et d’une grande intelligence. L’ex Go-Betweens s’était promis de raconter ses années passées avec son ami et autre membre fondateur du groupe, Grant McLennan. Avec Grant & I, malheureusement pas encore traduit dans la langue de Molière, Robert Forster a réussi à dépasser les biographies qu’il dévorait plus jeune pour comprendre le fonctionnement d’un groupe de rock. Nous l’avons rencontré lors d’un rare passage parisien à l’Espace B. Il revient sur les débuts du groupe, l’évolution de sa relation avec McLennan, ses ambitions excentriques freinées par le manque de succès et sa passion pour les cheveux.
Très jeune tu as réalisé que tu ne voulais pas suivre l’exemple de ton père et devoir subir un job routinier. Y a-t-il une raison particulière qui t’a amené à cette certitude ?
C’était plus un sentiment qu’une réalisation. Au fond de moi, je savais que je n’étais pas quelqu’un de normal. J’avais du mal à me fondre dans le moule de la normalité. Tout jeune, je ne me voyais pas marié avec des enfants et un bon job. Par contre, je ne savais pas ce que je voulais faire de ma vie.
Dans ton livre, tu te décris jeune avec un certain humour. À l’époque, tu étais convaincu d’être un golden boy à qui tout réussissait et que tout le monde aimait. Tu étais déjà une sorte de rock star sans le savoir !
Oui, même si la première chanson dont j’étais fier a été composée quand j’avais 20 ans. Ça a été une telle surprise que j’ai considéré l’option de me consacrer à la musique. La route a été longue. J’ai travaillé dur jusqu’à en composer une deuxième, puis je suis allé voir Grant pour lui demander s’il voulait créer un groupe avec moi. Ces deux titres étaient Karen et Lee Remick. En deux, trois mois, les Go-Betweens ont vu le jour.
Entendre un morceau de David Bowie en 1972 a été une révélation pour toi. Pour beaucoup c’est son passage à TOTP qui a été marquant. À l’époque, l’Australie était coupée du monde en termes de presse musicale. Te souviens-tu de la première fois où tu l’as vu dans la presse ou la télé ?
Je n’avais pas besoin de l’aspect visuel. La musique et son imaginaire me suffisaient. La scène de Brisbane n’avait rien d’extravagant. Il n’y a pas eu de concert mémorable comme celui des Sex Pistols au Lesser Free Trade Hall à Manchester. J’ai connu un choc visuel lors du premier concert auquel j’ai assisté, Roxy Music en 1974. Puis, Lou Reed en 1975. Mais en dehors de ça, à part des concerts blues rock, il ne se passait pas grand chose.
Dès le début des Go-Betweens, vous avez rapidement compris qu’il fallait quitter Brisbane pour augmenter vos chances de succès. Vous êtes arrivés en Angleterre sans aucun plan de carrière ni aucun contact.
Nous sommes arrivés à Londres fin 79. Le choc a été énorme. Nous voulions nous faire remarquer sur la scène locale. Tout paraissait si énorme que nous nous sommes sentis dépassés. Il faut dire que nous ne connaissions personne. Nous n’avions même pas pris la peine d’enregistrer une démo. À aucun moment, nous avons eu l’impression d’être un groupe. Notre carrière n’allait nulle part. Nous sommes donc devenus des fans, assistant à tous les concerts possibles. The Cure, The Cramps, The Pretenders, The Fall, The Slits etc. Tous à leurs débuts, dans des petites salles. Des artistes que nous n’aurions jamais vus en Australie. Nous avons beaucoup appris en les observant. Ça nous a aidé à démystifier leur musique. Se retrouver à les regarder sur scène nous a fait prendre conscience qu’ils étaient des gens normaux, comme nous.
Votre naïveté parait incroyable. Personne ne vous a conseillé avant de tenter l’aventure à Londres.
Non, car Brisbane n’avait aucune connexion avec le business de la musique. Si tu débutais, il n’y avait pas de clubs considérés comme des institutions où tu pouvais te faire remarquer. Si un nouvel endroit voyait le jour, il tenait rarement plus d’un an. C’est pour cette raison que nous avons beaucoup donné de concerts dans des maisons, chez qui voulait bien nous accueillir. Il fallait se débrouiller pour monter tes concerts. The Saints, un autre groupe de Brisbane, a vécu la même expérience que nous. Si tu voulais percer, il fallait déménager à Sydney ou Melbourne. Nous avons dû monter notre propre label, Abel Records, pour sortir nos disques.
Lors de votre premier séjour au Royaume-Uni, vous avez malgré tout réussi à enregistrer un single chez Postcard, label qui bénéficiait d’une couverture médiatique incroyable. Au lieu de capitaliser sur ce single, tu as choisi de rentrer en Australie avant qu’il ne sorte. As-tu des regrets ?
Non, car nous sommes revenus deux ans plus tard avec un contrat chez Rough Trade. Ce qui est ironique car le boss du label, Geoff Travis, avait refusé de nous signer en 1980. Il a fallu quelque temps, mais notre plan initial a fini par porter ses fruits.
Tu étais le seul à composer dans le groupe les toutes premières années. Grant a rapidement commencé à se passionner pour la guitare et à te proposer ses propres chansons. Comment l’as-tu vécu ?
Ma réaction initiale a été un mini choc. Grant était une personne si créative que je savais que ça allait arriver un jour ou l’autre. Nous étions conscients qu’un grand groupe doit tout faire pour garder ses talents à bord. Regarde ce qui s’est passé avec John Cale et le Velvet Underground, ou bien Brian Eno et Roxy Music. Aucun de nous ne voulait que ce genre d’histoire arrive au sein des Go-Betweens. Il était si intelligent qu’il a commencé à s’ennuyer de devoir se contenter de jouer des lignes de basses sur mes compositions.
L’image de groupe lettré et un peu ennuyant vous a toujours collé à la peau, alors que vous étiez loin d’être des anges. Cette perception vous énervait-elle à l’époque ou bien jouiez-vous avec ?
Je regrette de ne pas m’être montré plus extravagant. Nous manquions cruellement d’argent pour rendre nos concerts plus attractifs. À l’époque, Prince était mon idole. Comme lui, j’aurais adoré porter des costumes excentriques, avoir une scénographie pour nos concerts. Nos singles n’ont malheureusement rencontré aucun succès. Nous n’étions pas en position de réclamer quoi que ce soit à nos maisons de disques pour tourner un film sur la Riviera.
Tu t’affichais pourtant en tant qu’excentrique. Tu as porté des robes, des capes. À 23 ans, tu as choisi de te teindre les cheveux en gris pour ressembler à Blake Carrington de Dynastie et incarner le vieux monsieur de la scène rock.
Je sais, mais c’était du bricolage. Au fond de moi je voulais aller beaucoup plus loin. Ce que je faisais manquait de conviction car il n’y avait pas de plan marketing derrière. Je ne manquais ni d’idées ni d’ambition, mais comment faire quand tu as déjà du mal à t’acheter à manger ?
Tu parles d’un manque de charisme en live te concernant ainsi que Grant. Pourtant tes concerts récents en solo nous prouvent le contraire. Ta présence est magnétique, tu communiques beaucoup avec le public. Ne s’agirait-il pas plutôt d’un manque de confiance ?
Non, pas vraiment. Je ne vois pas de différence entre mon attitude dans les concerts que je donne aujourd’hui et ceux des Go-Betweens. J’adore être sur scène et performer. C’est sans doute ce que j’aime le plus. Je suis bien embêté pour te répondre, car plus j’y réfléchis, et plus je me dis que tu as raison. Je suis un performer.
Tu ne rentres pas dans beaucoup de détails dans le livre. Tu gardes une certaine pudeur. On apprend par exemple uniquement sur la fin l’existence du fils de Grant. Idem pour vos consommations de drogues dures. Pourquoi ce choix ?
Je me suis juste arrêté sur ce que je pensais être important. Je n’ai parlé du fils de Grant qu’au moment où cela pouvait apporter quelque chose à l’histoire. Ma consommation d’héroïne, d’amphétamines et toutes les autres substances, n’avait rien d’anormal dans les années 80. Tout le monde le faisait dans mon entourage. Je n’ai jamais été accro. Tu ne trouveras aucune chanson sur la drogue dans mon répertoire. Tout le monde sait que les musiciens prennent de la drogue. Ce n’était pas un scoop. Par contre, je parle ouvertement des conséquences. L’hépatite C probablement attrapée à cause d’une seringue, ou mon interdiction formelle par les médecins de continuer à boire si je voulais rester en vie. J’ai tout arrêté au moment où Grant a commencé à avoir un vrai problème avec l’alcool.
Cela a-t-il affecté ta relation avec lui ?
Notre connivence est restée intacte. Grant s’est tué à petit feu avec l’alcool les dix dernières années de sa vie. Il assurait les interviews, les concerts, encaissait les tournées sans aucun problème. De l’extérieur, on ne remarquait pas qu’il était sous l’influence de l’alcool. Il n’y a pas eu de clash entre nous à ce sujet. Avec du recul, si nous en avions eu un, la tournure des événements aurait peut-être été différente. Il serait allé à l’hôpital ou en cure de désintoxication. Jusqu’à sa mort, Grant avait une santé de fer.
Était-ce un soulagement pour toi qu’après toutes ces années de galère Grant ait pu goûter au succès et à la reconnaissance tardive des Go-Betweens avant de nous quitter ?
Grant était heureux du succès tardif des Go-Betweens. Il était toujours d’humeur joyeuse. Peu de temps avant sa mort, il pouvait enfin se permettre de se faire plaisir. L’argent rentrait enfin. Il s’est fait tailler des costumes sur mesure, il s’est acheté une guitare électrique.
Il n’y a aucune photo pour illustrer ce titre. Pourquoi cette décision ?
Je voulais que le livre ressemble à un roman. Je ne vois pas l’intérêt d’avoir une photo de moi bébé. Je préfère tout décrire. Si c’est bien fait, ça a le même impact qu’une image.
Dave Haslam, le journaliste-écrivain et DJ anglais, t’avait invité à écrire dans son fanzine, Débris, dans les années 80. Tu as rédigé un article sur tes cheveux. Tu avais même envisagé de devenir coiffeur dans les années 80. D’où te vient cette obsession ?
(Rire) Je ne sais pas ! Certaines personnes collectionnent les timbres. Moi, je suis obsédé par les cheveux. Avant de commencer les Go-Betweens, les coiffures des gens me fascinaient. Je me suis dit que je pourrais devenir coiffeur. Le côté social, la rencontre de nouvelles personnes dans un salon me séduisaient. Ne nous voilons pas la face, les cheveux tiennent une grande place dans l’histoire de la pop musique. La dernière coupe de Justin Bieber ou de Solange sont aussi importantes que les coiffures qu’a pu adopter Bowie.
Amanda Brown, ex-membre des Go-Betweens va rejouer 16 Lovers Lane avec Peter Walsh au festival de Sydney. As-tu été contacté à ce sujet ?
Je suis content qu’ils réalisent ce projet ensemble. Ils m’ont demandé de me joindre à eux, mais j’ai décliné. Je suis heureux avec ma vie actuelle. J’ai assisté à une représentation à Brisbane il y a quelques temps. J’ai trouvé ça génial. C’est une sacrée expérience d’être assis dans un fauteuil et de regarder d’autres personnes jouer tes chansons. Pour une fois que je n’ai pas à prendre ma guitare si je veux entendre un de mes titres !
Merci à Dave Haslam
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Tres bonne interview merci, le bouquin est très cool aussi!
Content que l’interview te plaise !
Super interview , merci David Jégou !
Les interviews de David sont toujours tops un régal ! 😀