[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]À[/mks_dropcap] l’heure où se confirme la venue en France des Rolling Stones, les 19 et 22 octobre 2017 à la U Arena de Nanterre, il était grand temps de revenir sur la publication, dans la série « La totale », d’un ouvrage consacré aux enregistrements du groupe, Les Rolling Stones – La totale – Les 340 chansons expliquées (Le Chêne / EPA), et du même coup, sur une série unique en son genre de par sa nature « monumentale », mais aussi son succès à l’étranger, ce qui n’est pas si fréquent pour une création française.
Philippe Margotin*, co-auteur de la série avec Jean-Michel Guesdon**, a bien voulu répondre à nos questions et nous démontrer que passion et rigueur peuvent rimer avec succès commercial. Il nous a donc parlé de l’histoire de cette série, et plus particulièrement du dernier-né, sorti fin 2016 juste avant le dernier album du groupe en date, Blue and Lonesome, entièrement consacré au blues qui donna naissance au groupe en 1962. Il nous parle également des précédents ouvrages, consacrés respectivement aux Beatles et à Bob Dylan, et des projets en cours. Merci à lui !
Le livre sur les Rolling Stones, qui est sorti fin 2016, n’est pas le premier de la série « La totale ».
Non, tout a commencé avec les Beatles. Un de mes amis, Jean-Michel Guesdon, co-auteur de la série, grand fan et connaisseur des Beatles, également musicien et ingénieur du son, est venu me voir pour me proposer le projet.
L’idée n’était pas de faire une énième biographie du groupe, il y en a déjà beaucoup et ça n’aurait eu aucun intérêt. Il s’agissait plutôt de raconter le processus créatif des chansons et des enregistrements. Il faut dire que les Beatles, avec George Martin, ont quasiment révolutionné les méthodes d’enregistrement.
Au début, je dois reconnaître que je trouvais l’idée un peu trop spécialiste, pas assez grand public. Mais d’un autre côté, c’était passionnant. On a donc commencé à faire le tour des maisons d’édition : toutes se montraient intéressées, aucune n’a concrétisé. Jusqu’au jour où je me suis adressé aux Éditions du Chêne.
Ça n’a pas été simple : au départ, le livre devait faire 1 million et demi de signes, plus de nombreuses photos, donc un budget considérable. Ils l’ont publié, présenté à la Foire de Francfort, et ça a été la ruée… L’année suivante, l’éditeur Black Dog & Leventhal l’a publié aux États-Unis, avec un tirage de 20000, puis 30000, puis 70000. Le livre est aussi sorti en espagnol et en italien.
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C’était en quelle année ?
En octobre 2014. On en sort un tous les ans, ce sera le quatrième en 2017.
La formule a-t-elle évolué ?
Un peu dans le détail, mais globalement on a gardé la même. Chaque chanson est traitée en deux parties. Dans la première, on trouve la genèse de la chanson, et le message qu’elle transmet. Dans la seconde, c’est plus technique, on raconte comment le morceau a été enregistré. C’est la ligne directrice. On a ajouté des encadrés avec des anecdotes pour donner du rythme.
Donc au départ c’était plutôt un livre de spécialiste.
Oui. Jean-Michel, au départ, pensait à tous ces gamins qui prennent une guitare et commencent par jouer une chanson des Beatles. À l’origine, c’est pour eux qu’on a conçu le livre. On voulait expliquer toute la genèse et l’évolution d’une chanson. Il y a plusieurs niveaux de lecture pour différents types de lecteurs : celui qui a envie d’en savoir plus, celui qui est un peu plus pointu, et le spécialiste à qui on essaie d’apporter du neuf. En plus, il y a un index très détaillé.
Une fois l’idée conçue, il a fallu remplir la double page ! Vous êtes-vous rendu compte tout de suite de la masse de travail que cela allait représenter ?
Oui, on a compris tout de suite… Ce qu’on n’avait pas prévu, c’était les contraintes qu’on allait devoir respecter. Pour commencer, il n’y avait pas de droits à demander puisqu’on on ne reproduit pas les paroles. Pour les photos, nous sommes passés, de façon très classique, par des agences. Nous avons passé un temps fou à trouver la photo qui correspondait précisément au propos.
Le photographe David Redfern, avec lequel j’ai beaucoup travaillé, est représenté par Getty, ce qui nous a facilité les choses. Au départ, nous avions signé sur 1 million 500 000 signes. Quand l’éditeur s’est aperçu que le livre allait être acheté à l’étranger, il nous a demandé de limiter à 1 million de signes pour minimiser les coûts de traduction : il a donc fallu couper un tiers du texte, ce qui n’était pas une mince affaire. C’est une contrainte que nous n’avons plus subie par la suite, car le succès du livre sur les Beatles a permis de vendre les autres livres de la collection avant même qu’ils ne soient faits.
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« Chaque livre est structuré album par album, EP par EP, dans l’ordre chronologique.
Les albums font l’objet d’une analyse à part, fournissant le contexte de la sortie et resituant le disque dans l’œuvre du groupe ou de l’artiste.« [/mks_pullquote]
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Un rêve d’éditeur ! Des livres français qui obtiennent un tel succès d’emblée à l’étranger, ça n’est pas commun.
Oui. Le plus extraordinaire, et ça je n’en reviens toujours pas, c’est qu’à aucun moment, à l’étranger, on ne s’est demandé : « Pourquoi deux Frenchies écrivent-ils sur notre patrimoine ? » Pour les États-Unis, c’est une demi-surprise, vu qu’ils sont très pragmatiques. En revanche, pour le Royaume-Uni, je m’attendais au pire !
Il faut dire qu’il ne doit pas exister beaucoup de projets comme le vôtre. Ces livres sont carrément monumentaux…
Oui c’est vrai, sauf pour les Beatles. Tous les ans, il y a, en Belgique, une Convention Beatles. Là-bas, j’ai rencontré un éditeur qui, contrairement à nous, a pu consulter toutes les archives de Abbey Road auxquelles on n’a pas pu accéder.
Un jour, nous avons reçu un appel d’une journaliste de la BBC qui préparait un documentaire sur l’histoire des enregistrements en 4 parties, dont l’une était entièrement consacrée à Abbey Road. Elle a appelé Abbey Road et là on lui a dit : « Il existe un livre où vous trouverez toutes les informations dont vous avez besoin ». C’était le nôtre. Je dois reconnaître que nous n’étions pas peu fiers : c’était une vraie reconnaissance de la qualité de notre travail.
Il faut dire que vous avez fait un travail de recherche incroyable en termes d’exactitude et de rigueur.
C’est certain, cela faisait partie de nos priorités. On ne plus se baser aujourd’hui sur les souvenirs des acteurs de l’époque.
Avez-vous fait des interviews ?
Non, justement, nous nous sommes basés exclusivement sur les interviews d’époque, afin que les témoignages ne soient pas déformés par les fluctuations de la mémoire. À nous deux, Jean-Michel et moi, nous avions déjà une belle collection de presse depuis les années 70.
En plus, certains supports anglo-saxons comme Rolling Stone et Uncut ont l’intelligence d’avoir leurs archives en ligne. Quand les gens étaient interviewés à la sortie du disque, on peut être pratiquement sûr que les faits sont justes.
Et pour les paroles, puisque vous avez pris le parti de ne pas les reproduire, comment avez-vous travaillé ?
Pour Dylan, il y a eu un gros travail de décryptage, vu que les paroles de Bob Dylan peuvent être interprétées de façon très multiple. Nous avons essayé de donner le plus de pistes possibles, c’était passionnant. De son côté, Jean-Michel a fait un travail de bénédictin sur les enregistrements.
Il faut dire qu’avec Dylan, c’était incroyable : il compose une chanson en mi. Et puis le lendemain il revient en disant « finalement, on va la faire en la bémol », et il faut que les musiciens soient tout de suite prêts à transposer. Il s’entourait donc d’excellents musiciens, pas seulement en terme de technique, mais de capacité à comprendre ce que voulait Dylan, ce qui ne devait pas être une mince affaire.
Y a-t-il eu des périodes plus faciles que d’autres à traiter, pour les Beatles par exemple ?
Oui, la deuxième période, à partir du moment où ils ont décidé d’arrêter la scène et de ne plus travailler qu’en studio, est tout à fait passionnante. Dans la nouvelle édition, nous inclurons des chansons inédites.
Revenons à l’actualité, c’est-à-dire au livre sur les Stones.
Eh bien nous travaillons déjà sur la nouvelle édition, puisque les Stones ont sorti leur nouvel album, Blue and Lonesome, juste après la sortie de notre livre. Et puis, comme nous tenons les promesses du titre, nous allons en profiter pour ajouter quelques chansons inédites que nous avons retrouvées.
J’ai bien aimé la façon dont vous avez abordé l’influence de Andrew Loog Oldham sur la carrière du groupe…
Oui, en fait ce type était un génie. À 19 ans, il voit cinq types jouer du blues dans un club de Londres. Il avait passé quelques mois à travailler avec Brian Epstein, ce qui lui avait donné un peu d’expérience. Donc, il voit ces cinq types, et il décide d’en faire la face sombre des Beatles, ce qui était en fait totalement artificiel vu que les gars étaient les meilleurs amis du monde, mais un coup de génie en termes de communication.
C’était un génie pour tout, sauf pour les enregistrements. Bill Wyman disait qu’il se prenait pour Phil Spector : il mettait les « potards » à fond et c’était bon ! Il a compris que pour prendre une place en face des Beatles, il fallait une face sombre. Il a façonné les Stones. Keith Richards disait : « On apporte l’allumette, lui, c’est la dynamite. »
Qu’est-il devenu après ?
En fait, ça ne s’est pas très bien passé. Les relations n’ont pas été très bonnes. Les Stones lui ont montré la porte de sortie, et il a eu du mal à s’en remettre. Du coup, il est parti en Algérie : dans des interviews, sa femme raconte à quel point il a été meurtri par la séparation. Il est d’ailleurs arrivé un peu la même chose à Ian Stewart, un des premiers collaborateurs des Stones engagé par Brian Jones, à qui Oldham a dit « Tu n’as pas la gueule d’un Stones, c’est fini… ». Il y a aussi le directeur artistique des Stones qui affirme : « Oui, le groupe est bon, mais il faut virer le chanteur ! », Decca avait refusé les Beatles en disant : « Un groupe à guitares en Angleterre, ça ne va pas ! ». Comme quoi…
Vous faites un travail d’historiens ?
Oui, mais on voudrait aussi que les livres soient des portes d’écoute. On aimerait bien que le lecteur ait envie de remettre les disques sur la platine.
De ce côté-là, c’est parfaitement réussi ! Il y a aussi beaucoup d’informations qu’on apprend, même quand on est fan des Stones. Et puis c’est souvent drôle !
Avec les trois livres qu’on a faits, on couvre bien l’ambiance de l’époque. Les Beatles c’est les années 60, Dylan c’est déjà plus intello, les Stones c’est la déconnade rock’n’roll.
J’imagine que vous aviez chacun vos morceaux préférés.
En fait pour les Stones, il y avait un bon équilibre. Je suis fan des Stones, Jean-Michel est fan des Beatles, donc il tempérait mes ardeurs… Pour Dylan, notre éditrice Isabelle de Coulibeuf a joué un rôle capital de modératrice.
Le prochain ?
C’est celui sur Pink Floyd. Il y a à peu près 200 compositions. Ça a été très compliqué parce que Pink Floyd a beaucoup changé. De mon côté, je suis un fan absolu de Syd Barrett, et inconditionnel des débuts. Dark Side of the Moon est l’album qui a demandé le plus de travail en studio.
Vu les personnalités ombrageuses en présence, y a-t-il eu des précautions spécifiques à prendre ?
En fait, on a sollicité au départ l’autorisation de reproduire les pochettes, car elles sont indissociables de la création musicale dans le cas de Pink Floyd.
Warner m’a mis en contact avec le manager de Pink Floyd, qui m’a répondu très vite par mail : « Drop it. » C’était réglé…
Pour les Beatles, il y a eu des arguties juridiques, sur un projet de publication en kiosque, nous avons eu peur de déclencher les foudres de Yoko Ono, et on nous a répondu qu’en principe on pouvait reproduire les pochettes à la condition que le nom « Beatles » n’apparaisse pas en plus gros qu’un certain corps, et qu’il y ait un texte d’accompagnement ; dans ces conditions, on ne pouvait rien nous dire.
Mais il y a quelques années, notre éditeur avait sorti un livre sur Johnny Hallyday en reproduisant toutes les pochettes internationales, sans les accompagner d’un texte. Tous les photographes ont protesté, donc l’éditeur a préféré ne pas prendre de risques. Philippe Manœuvre a sorti un livre sur les 50 plus belles pochettes : ça va se vendre à 5000 ou 6000 exemplaires, donc on ne va pas lui chercher de noises.
Dans notre cas, les tirages sont importants, et les risques proportionnels, donc la prudence est de mise. Nous, on est à 100 ou 150 000. Le Beatles est traduit en 4 langues, le Dylan est en anglais, en italien, en allemand, en néerlandais. Ce qui est incroyable, c’est que la Hollande en a acheté autant que la France !
Lors de la traduction, j’imagine qu’il y a des adaptations.
Non, en fait il s’agit de traductions littérales, nous y tenons. Sauf, bien sûr, pour les adaptations contextuelles indispensables.
Et donc où en êtes-vous sur le Pink Floyd ?
La rédaction est faite, le reste suit son cours… Et puis nous venons de signer Led Zeppelin !
Voilà une bonne nouvelle ! Quels sont vos critères de choix ?
Il y a un comité restreint : les auteurs, la direction du Chêne, et un peu de feedback des Américains. Actuellement, il est question de Grateful Dead et de Springsteen. J’en ai jusqu’à la retraite ! De mon côté, j’aimerais bien qu’on fasse Hendrix…
On ne peut pas ne pas parler du format, et du poids des ouvrages : 6 kg pour les Stones, si j’avais voulu apporter le livre avec moi, je n’aurais pas pu.
Bizarrement, le Chêne a essayé de sortir un format broché pour les Beatles. Il ne s’est pas vendu. Je crois que ça fait partie de la « personnalité » de la collection.
* Philippe Margotin est romancier, chroniqueur, consultant, directeur de collections. Il a été le responsable éditorial d’Universal/Polygram Kiosks et de DIAL, pour qui il a conçu et écrit un grand nombre de collections musicales. Il a écrit plusieurs ouvrages sur la musique comme Les Génies du rock ou Les Génies du jazz, ainsi que des biographies d’artistes et de groupes (The Rolling Stones, Radiohead, Amy Winehouse…).
** Éditeur, producteur, musicien, Jean-Michel Guesdon a créé les Éditions du Pékinois en 1986 à Paris, pour initier et réaliser des productions audiovisuelles dans divers domaines (musique, documentaire, pédagogie). Il a également occupé les fonctions de directeur artistique pour les Éditions Rym Musique et de directeur de collections pour les Éditions Atlas, Fabbri ou Cobra. C’est également un spécialiste des Beatles qui a réuni depuis plus de trente ans une documentation exceptionnelle sur ce groupe.