Chaque semaine un·e libraire nous livre son conseil de lecture. Un livre qui l’aura particulièrement marqué·e et qui mérite qu’on s’y intéresse particulièrement… Aujourd’hui Yann Leray de la librairie Alpha Bureau / PGDIS à Monistrol sur Loire, nous présente Sauvage de Jamey Bradbury, paru chez Gallmeister.
Les années passent, le catalogue Gallmeister s’étoffe et continue de gagner en qualité en nous proposant, entre autres, des premiers romans souvent bluffants, que ce soit par leur puissance, leur originalité, leur écriture ou un peu de tout ça. Si on y ajoute l’extraordinaire travail de traduction effectué par Laura Derajinski, Anatole Pons ou Sophie Aslanides, force est de reconnaître qu’il est difficile d’être déçu. C’est le talentueux Jacques Mailhos qui est ici à la manœuvre et propose, as usual, une traduction aux petits oignons pour ce texte plus que prometteur.
Tracy, dix sept ans, bientôt dix huit, fille du célèbre musher Bill Petrikoff, marche sur les traces de son père et consacre sa vie à ses chiens et à la chasse en forêt, où elle est devenue, très jeune, experte en pièges divers. Dotée d’un caractère bien trempé et de pouvoirs particuliers, la jeune fille applique à la lettre les trois règles imposées par sa mère avant que celle-ci ne meure, à savoir : « Ne jamais perdre la maison de vue », « Ne jamais rentrer avec les mains sales » et, surtout, « Ne jamais faire saigner un humain ». Le jour où elle se fait agresser dans les bois et perd conscience, Tracy, en reprenant connaissance, réalise qu’elle est couverte de sang. N’osant rien avouer à son père, elle décide de vivre avec ce poids sur la conscience jusqu’au jour où l’arrivée chez eux de Jesse, jeune homme au parcours mystérieux, la fera basculer dans le monde des adultes, empli de doutes et d’angoisse.
On se gardera bien d’évoquer ici une possible proximité avec un autre titre paru chez Gallmeister l’an dernier et qui fut un des cartons de l’année. Si on doit garder une analogie, elle concernera Tracy, personnage jeune, fort et attachant comme l’était Turtle dans le bouquin de Gabriel Tallent (puisque c’est bien de lui qu’il s’agit). Pour le reste, histoire et traitement, Jamey Bradbury fonctionne à sa façon, sans référence particulière à l’appui, même si John Irving a placé Sauvage sous la double influence de Stephen King et des soeurs Brontë, héritage plutôt lourd s’il en est. On préférera penser aux livres de Jack London, chiens, grands espaces, vie sauvage et liberté.
Là où la jeune auteure fait la différence, c’est dans cette atmosphère qu’elle instille au fil du texte, flirtant avec le fantastique sans y céder pour autant. Le récit aurait pu n’être qu’un beau roman de nature writing supplémentaire au catalogue Gallmeister mais le talent de Jamey Bradbury et ce choix narratif le propulsent illico dans une autre catégorie, que l’on se se contentera de nommer celle des grands livres. Sauvage est indéniablement un texte original et marquant, porté par une énergie sombre et continue. Au contraire de My absolute darling qui voyait la lumière pénétrer peu à peu l’univers de Turtle, le monde de Tracy, qui peut se résumer à sa famille, ses chiens, la chasse et la forêt autour va entrer en contact avec l’extérieur par l’entremise d’une agression dans les bois et la découverte de facultés hors normes qui vont bouleverser la vie de la jeune fille et sa façon d’appréhender le monde. Jamey Bradubury ne se contente pas de dépeindre à merveille les paysages fantastiques de l’Alaska, elle mène son récit d’une main de maître et l’imprègne d’une inquiétante étrangeté, lui donnant ainsi un caractère unique.
Au-delà des influences du fantastique et du nature writing citées plus haut, Sauvage est également un grand texte sur l’adolescence et les questions qui peuvent se poser durant cette période délicate s’il en est, en particulier pour Tracy confrontée simultanément à la brutalité du monde extérieur et aux étranges expériences que lui font vivre son corps et son esprit.
Ne se laissant étouffer par aucune des influences que l’on s’empresse de lui attribuer, Jamey Bradbury, à l’instar de son héroïne, trace son chemin et offre un saisissant roman à la croisée des genres sans pour autant accepter d’étiquette, gage supplémentaire de sa liberté et de son caractère que l’on imagine bien trempé. Sauvage n’usurpe pas son titre et on espère que les prochains textes de cette jeune auteure seront du même bois.
Sauvage de Jamey Bradbury traduit par Jacques Mailhos
Publié chez Gallmeister, Mars 2019
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Alpha Bureau / PGDis est une librairie généraliste dans la petite ville de Monistrol-Sur-Loire, dans la Haute-Loire, département plutôt rural. Nous proposons environ 5000 titres en magasin et passons commande de ceux que nous n’avons pas en stock. Jeunesse, vie pratique et littérature constituent les grands axes de la demande. Après une rencontre avec Frédéric Paulin et Sébastien Wespiser des éditions Agullo début avril, nous n’avons pour l’instant pas d’autre animation prévue, même s’il se dessine un projet pour la rentrée.
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