[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]U[/mks_dropcap]n générique de fin où Johnny Hostile tutoie une introduction signée par John Cassavettes. Des voix et des mots qui s’élèvent contre un monde où le bruit est devenu le maître. Un fléau qui s’intensifie. Des femmes vêtues de noir implorant le silence intérieur. Et quelle meilleure manière d’y parvenir que de le hurler dans les hauts parleurs !
Une nécessité rappelée par cette invitation « This album is to be played loud in the foreground ». S’y exécuter en pensant aux incantations de la grande prêtresse Siouxsie. Des riffs abrasifs, une basse lourde, une radicalité évidente dont les contours les plus bruts ne laissent entrevoir aucune place pour la gaudriole. L’ambiance est tendue dès les premiers chocs de Shut Up. Les oreilles exercées penseront bien entendu aux filles spirituelles des Banshees nourries au lyrisme de la ballade du pendu version post punk sombre. Sur Strife, le propos ne laisse pas de place aux doutes « (…) and they must seek you there where death outnumbers life (…) » … Jehnny Beth chanteuse de son état arrive même à dégager une certaine aura malgré le risque du pastiche casse gueule (pour ne pas descendre plus bas question anatomie)
La clé de cette réussite vient sans doute de la simplicité de la matière. Des constructions radicales sur le schéma classique d’un quatuor chant-guitare-basse-batterie qui pourrait presque passer comme totalement éculé en ces temps modernes où le remplissage à outrance est de mise. Mais n’ayez crainte, pour ne pas être dans la tiédeur minimaliste insipide, le groupe cogne fort ! Un rock qui sent enfin la sueur.
Des vibrations muettes et inquiétantes de Dead Nature surgissent les soubresauts de She Will, titre qu’on imagine bien inséré sur une playlist batcave entre un fantôme de Bauhaus et une autre pépite rythmiquement ténébreuse. Un final noisy et une psalmodie qui s’achèvent sur un cri déchirant le décor. Après le capharnaüm express de Hit Me, les férocités redoublent pour Husbands tel un coup de poing dans le thorax. Un chant habité pour une course effroyablement noire. Sur la deadline de Marshal Dear le silence refait surface. Et comme le disait si bien Confucius dans le Livre des sentences, « Le silence est un ami qui ne trahit jamais« .
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]T[/mks_dropcap]elle fut la gifle d’une première production, Silence Yourself, sortie il y a maintenant trois ans. Depuis, le groupe a sillonné les routes, plongé sa verve dans l’acid punk des japonais de Bo Ningen. Jenny de son côté aura poussé la « chansonnette » aux cotés de Julian Casablancas et beaucoup plus récemment de manière remarquable sur le dernier opus des Tindersticks. Il fallait une suite, celle-ci nous arrive avec les premiers grands froids. Adore Life par son intitulé pouvait nous laisser entrevoir un recueil plus contemplatif. Il n’en est rien car si Savages a policé l’ex roche brute, les décibels sont toujours teintés de tensions nerveuses. Une vision quelque peu atrabilaire de cette adoration du vivant.
Ouverture fracassante avec The Answer. Les filles ont remis de la gazoline dans le moteur. Les roulements de batteries chancellent sur un enchevêtrement sonore admirablement chaotique. Les larsens sont comme des virgules dans cette rage incendiaire, cet appel à l’amour totalement désespéré. La recette ne diffère pas et lorsque la machine repart de plus belle après un break expiré, c’est une vague de questions sans réponse qui nargue la narratrice, des mots qui restent en suspension avant de s’effacer à jamais.
Dès la première écoute de l’album, l’impression évidente que la mécanique est beaucoup plus travaillée (notons la présence de Richard Woodcraft derrière les manettes du mythique RAK) mais si les rockeuses lâchent du lest dans l’urgence des exécutions, la trame ne perd pas son audace question sauvageries. Les dix titres s’offrent le luxe d’aspirations nuancées, certaines mauvaises langues disent déjà plus marquetées. Il y a en effet à l’intérieur même des morceaux et entre eux quelques pincées de couleurs. Savages sublime ses tentatives de ruptures et reprises illico, conférant ainsi un nouvel élan pour des répétitions infinies. Le fil rouge reste ce chant exprimant une rébellion des plus tenaces. Les caresses sont vigoureuses mais bien réelles.
L’illustration la plus enivrante se fera sur la progression sublime d’Adore. Le poing se dresse sur une mélodie sarcastique. Le quatuor est en retenu, escalade moderato des graduations emplies d’incarnations ébènes. L’ultime strate réveille l’auditoire à l’image du bouillonnement d’une cocotte-minute. Le petit miracle atmosphérique a donc bien eu lieu, une veine sans doute à creuser pour l’avenir. Même si le procédé n’est pas des plus neuf, il est ici habilement mis en relief. Nous sommes conviés à déguster ce bel effort dans la superposition des idées. Rien n’est totalement noir, rien n’est totalement blanc, la structure est segmentée de nuages successifs qui menacent le ciel sans pour autant que l’orage ne s’abatte sur nos têtes.
Avec I Need Something New, Jehnny aka Camille revêt sa tunique d’actrice survoltée, s’appuyant sur un métronome avec lequel elle expose son phrasé ensorcelant. Pour amplifier le ressenti quasi liturgique, les enceintes grésillent et la pédale d’accélérateur peut alors finir le labeur.
Mention spéciale et personnelle pour les faux airs new wave de When In Love. Le thème devient assez vite obsédant. J’en redemande histoire de trouver l’influence majeure de cette boucle plongée dans l’obscurité des folles années du genre.
Surrender plombé d’effets robotiques ténébreux marque une évolution intéressante sur les pentes de l’électro dark. A cet effet, les secousses adaptées par le fameux mixeur danois Trentemøller abondent dans un esprit téméraire où les notes venues d’ailleurs viennent verser de nouvelles âpretés souterraines.
Quid du reste ? Il y a toujours la possibilité d’ergoter sur quelques facilités télécommandées. Il n’empêche qu’en peaufinant d’une fusion stoner ses assemblages, Savages parvient à hisser bien haut l’étendard bruitiste. Cette filiation tapageuse trouve sa plus incroyable démonstration dans les beats assassins de T.I.W.Y.G. C’est tout naturellement que l’ex ado énervé retrouvera cette rapidité frénétique, cette addition et addiction des sens à rendre vert de jalousie le combo dont Alison Mosshart et Jack White sont les têtes de gondole. Au diable la subtilité, ça claque dans tous les coins ! Au rayon des élixirs de jouvence, les prescripteurs d’aspartames peuvent encore faire les gros durs en salle d’attente.
Adore Life dont le conducteur reste branché sur la prise Passif –Agressif se décline d’une dimension mystique obscure. Mechanics qui achève le propos se pose et s’oppose avec recul. A son écoute c’est l’ensemble qui transparaît dans cette résonance de la vie, cette essence de l’intime, ce frémissement intérieur. Parfois, il vaudrait mieux que la colère ne s’y taise point, qu’elle explose à tout rompre car une fois maîtrisée elle n’en est que plus redoutable.
Implorer le silence, adorer la vie … Certainement mais à quel prix ?
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