[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]vec Brotherocean, en 2010, Syd Matters était parvenu à l’aboutissement de sa démarche entamée huit années plus tôt. Cet album de toute beauté reposait bien en équilibre sur ses trois pieds : folk d’inspiration américaine, pop indé européenne et fourmillement rythmique emprunté à une partie de la musique africaine. Le travail remarquable accompli en sus sur les harmonies vocales permettait au groupe de Jonathan Morali de diffuser un triple sentiment de sérénité, de plénitude et de rayonnement. On s’était demandé ce qu’il pourrait accomplir pour franchir encore un cap la fois suivante. La réponse ne s’est pas faite attendre (enfin plutôt, si) : rien. Syd Matters est discographiquement taisant depuis six ans maintenant.
Rémi Alexandre est (il semble que l’on puisse encore parler au présent) l’un des chanteurs, guitaristes et claviers du groupe. Sous l’alias Shorebilly, il vient de publier Wipeout, un EP constitué de six morceaux originaux dont certains avaient déjà été diffusés depuis le début de l’année dernière et attiré l’attention de notre rédactrice en chef, qui lui avait consacré un interview, et d’une reprise en bonus. Très vite, on perçoit à la fois ce qui rapproche Shorebilly de Syd Matters, et dans le même temps ce qui l’en éloigne. Dans la première catégorie, on classe le chant en anglais, la voix sans trop d’aspérités, et ces passages instrumentaux qui durent et aspirent à une forme de transe calme, posée (Drifting towards the unknown, le morceau d’ouverture). Shorebilly aime d’ailleurs répéter certaines formules comme des mantras (le refrain de We care about you boy). On en conclut logiquement que soit Rémi Alexandre était pour une part importante dans l’alchimie de sa maison mère, soit il en a importé quelques principes essentiels pour son aventure solo.
Mais le multi-instrumentiste se distingue aussi de ce pour quoi il est essentiellement connu, d’abord par son utilisation pantagruélique des synthétiseurs. Sur les quatre premiers morceaux, loin de la folk pop de Syd Matters, ils sont partout, parfois à la limite du pouet-pouet, parfois faisant de l’oeil à certains morceaux de M83, parfois encore entêtants ou même stridents. Rémi Alexandre nous entraîne alors dans un monde opiacé, bien représenté par la pochette aux teintes pastel et au dessein surréaliste. Il utilise à l’occasion des gimmicks de faux cuivres qui contribuent à rendre I used to think about us, aux accents légèrement r’n’b, addictif.
Et puis, avec No grudges, le cinquième morceau, brusque changement de décor pour une pop plus classique, concise et enlevée, avec encore, quand même, une joyeuse fanfare synthétique à l’intérieur. Suit Shorebilly le morceau, dans la même veine beaucoup plus organique : le corps de la chanson n’aurait pas été renié par le Pink Floyd de Syd….. Barrett, tandis que le long pont évoque le Floyd planant et progressif des années 70. Deux époques d’un même groupe en une seule chanson, donc. Et pour le EP, quasiment deux disques en un avec cette rupture de ton si marquée aux deux tiers.
Wipeout se termine, dans sa version longue, par une reprise très réussie du magnifique On the beach de Neil Young, qui semble contenir à la fois une immense peine et son entière consolation. La conclusion d’un disque sans doute pas aussi abouti que Brotherocean, mais qui nous fera une alternative très appréciable à la vague de la pop-variété-Michel-Berger-le-retour dont on nous annonce l’invasion pour incessamment sous peu.