Septembre 2000, le magazine Les Inrockuptibles insère dans son numéro de rentrée un CD où sont échantillonnés dix-sept titres. Piste 14, je suis conquis par Starálfur, extrait du deuxième album de Sigur Rós. En 1999, Ágætis Byrjun faisait déjà la fierté des mélomanes Islandais. Désormais, confortée grâce au tremplin offert notamment par Radiohead, la planète musique découvre cette nouvelle sensation venue du froid. La singularité des intéressés s’articule au gré d’un post-rock progressif, nourri le plus généralement d’un crescendo envoutant, d’un archet qui se frotte sur la guitare avec son lot d’effets et de décibels, le fausset de Jón Þór Birgisson, alias Jónsi, en prime. Les détracteurs parlent du chant des baleines (ils n’avaient pourtant pas connu l’intriguant et peu abordable Von, première pierre à l’édifice naissant). Pour ma part, j’envisage bien autrement le parcours artistique en gestation, me délectant à chaque nouvelle publication, chaque émouvant concert, chaque diffusion à ranger au rayon des merveilles.
Après sept réussites implacables et une évolution vers des sphères plus pop, une mise en suspension s’impose à la suite d’une sordide affaire judiciaire. En octobre 2018, Orri Páll Dýrason quitte la formation réduite désormais à un duo privé de batteur (Jónsi demeure officiellement accompagné par le fidèle bassiste Georg Hólm). En parallèle d’une tentative de maintenir en vie le projet artistique au travers des escapades en solo, quelques nouvelles illustrations plus ou moins notables ou encore des rééditions, les difficultés extérieures viennent pourrir la perspective même d’une suite. C’était sans compter le retour inattendu de Kjartan Sveinsson, pianiste de la troupe (il avait quitté celle-ci en 2013) et contributeur de la tonalité propre à Sigur Rós au titre de ses précieux arrangements orchestraux.
Cette renaissance est révélatrice des composantes de l’album ÁTTA, traduction de « huit » destiné naturellement à nommer ce huitième album studio. D’emblée, nous avons la sensation de replonger dans les humeurs ouatées de Valtari, opus qui voguait sur une mer d’huile, à la grande surprise d’un public pas forcément préparé à ce virage bien plus atmosphérique. J’ai envie de dire idem avec l’album dévoilé, dans un premier temps exclusivement en streaming, après dix années de silence. Sigur Rós étonne encore voire dérange du fait de ce parti pris venu vider sa substance grondante pour mieux la remplir d’ambitions planantes. La cohérence des enchaînements ajoute alors à l’unité d’expression.
Blóðberg symbolise ce désir de mener l’auditoire vers l’image forte d’un désordre affectif sous de vastes catalyseurs apaisés. L’univers est dévasté et la roche de sang est la marque d’une réverbération sensible mais, de manière hautement métaphorique, il s’agit d’une élévation où les nappes synthétiques s’animent telles des gouttes de vapeur… et de concert, nous flottons en direction de cette brillance mélancolique guidée par l’impeccable apport du London Contempory Orchestra.
La douceur des mouvements se décline alors au gré des murmures puis des déchirantes emphases vocales de Jónsi. La résultante procure immédiatement quelques picotements délicats sous la peau. La magie opère de plus belle et les battements martiaux de Klettur n’effaceront pas l’impression d’amertume qui se glisse en filigrane de la seule composition en relief.
Si les distorsions sont placées sous cloche, les ailes se déploient pleinement pour un envol empreint de toute noblesse. Preuve qu’il n’est nul besoin d’invoquer le vacarme afin d’insuffler le frisson.
L’écoute attentive d’ÁTTA s’avère pourvue d’un systématisme retenu, le tout au bénéfice d’une expérience intimement puissante. Après la pluie viennent poindre les rayons du soleil et, de facto, le spectre de lumière ravive les cœurs bercés à la lueur d’un épatant arc-en-ciel. A ce titre, Gold pourrait être comparé à une transfusion de spleen injectée dans nos veines mais dont le but ultime serait de nous aider à mieux nous redresser face à l’adversité. Cette parure est incroyablement stylisée et se mérite malgré les brulures cryogénisées au contact d’une mélodie céleste, un air magnifié par les prouesses hyperboliques d’un ange confronté aux tracas des humains. Encore un voyage extraordinaire !
Crédit Photos : Tim Dunk
Sigur Rós · ÁTTA
BMG – 16/06/2023 (sortie physique le 1er/09/2023)