C’est l’histoire d’un voyage en Inde d’une dessinatrice qui ne peut s’empêcher d’esquisser des croquis « sur un carnet ou des tickets, aussi bien dans un café qu’à bord d’un bus ». Et puisque ces dessins étaient aussi nombreux que qualitatifs tout en faisant sens en tant qu’ensemble, ce recueil est devenu sa première publication, parue en 2016 en Corée du Sud.
« Merci d’apprécier un raté comme moi. »
─ Silki, Je vais bien ou pas.
La coréenne Silki ayant depuis posé ses crayons en France, sa réputation a grandi dans l’hexagone si bien que L’Association a eu l’excellente idée de traduire cet ouvrage dans la langue de Molière. Je vais bien ou pas composé d’une à quatre vignettes par page, tient en 200 pages d’une BD à l’élégant format carré et à la couverture orangée rigide. Cependant, outre la qualité de l’objet, c’est bien par son contenu que sa lecture se justifie.
Et l’autrice attaque fort en donnant le ton dès les premières pages, en cassant habilement bon nombre de préjugés inhérents à la relation d’aide. Non, imposer son point de vue à une personne qui va mal ne constitue pas une aide précieuse. Non, proposer son aide pour ensuite se plaindre de la charge qu’elle génère ne soulage pas l’individu attristé. C’est sur ces paradoxes – et bien d’autres encore – que Silki construit son récit en soufflant le chaud et le froid.

Ce qui pourrait ressembler de prime abord au (très bon) travail d’un Voutch s’avère finalement plus profond et subtil. Plus sombre, aussi. On ne rit pas aux éclats mais on sourit, comme avec cette vignette où l’un des animaux questionne : « tu manges encore » et que le lapin répond : « oui, je joue les prolongations en tout ». On sourit également devant les paradoxes de ces personnages animaliers qui pourraient parfois évoquer ceux de Lewis Trondheim, avant de ressentir de la gène, de la compassion ou de la tristesse en retrouvant quelque chose de nous dans ces animaux dont personne ne comprend réellement les peines et, plus largement, les émotions. Mais surtout, à la manière de la saison 2 de Bref, on se sent parfois désarçonné – et, avouons-le, un peu idiot – de constater à quel point nos propres mécanismes d’aide sont parfois inadaptés voire contre-productifs.
Je vais bien ou pas constitue donc un tremplin vers une introspection sur notre capacité à évoluer dans une relation, particulièrement quand l’un des protagonistes va mal. S’il est assez aisé de faire grandir une amitié quand chacun voit la vie en rose, il est plus difficile – pour l’un comme pour l’autre – de conserver ce lien inconditionnel et soutenant lorsque l’horizon se teinte de gris. « Merci d’apprécier un raté comme moi » indique même l’un.e des protagonistes dénué d’âge et de genre (un choix de l’autrice qui, comme ses personnages, attend sans doute que la bonne main lui soit tendue), forcément trop sévère avec lui/elle-même. D’ailleurs, progressivement, c’est l’absence de relation – l’isolement – donc, qui devient un thème phare, tout comme le surmenage, autant dû aux contraintes extérieures que fixées personnellement.

Enfin, la répétition confère de la puissance à l’ouvrage. Récurrence des personnages, des formes ou des sujets, sans jamais sombrer dans la redite pure et simple. La répétition, à l’inverse du radotage, est nécessaire pour ancrer une information. Cependant, pour qu’elle soit efficace, il faut qu’elle prenne des formes variées pour s’adapter à son récepteur. C’est dans ce cas une démarche d’ouverture à l’autre et Silki dispose assurément de cette capacité qu’elle décline aussi bien dans la forme que sur le fond.